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« Accord France – Gabon » relatif aux flux migratoires : intervetion de Jean-Pierre BRARD à l’Assemblée Nationale

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, chers collègues, nous voici réunis afin d’examiner l’accord relatif à la gestion concertée des flux migratoires et au codéveloppement signé entre la France et le Gabon le 5 juillet 2007 à Libreville. Cet accord prétend répondre aux préoccupations des deux États devant ce que votre texte, madame la secrétaire d’État, appelle « l’ampleur des flux de migrants clandestins entre l’Afrique et l’Europe ».

Mais un texte doit toujours être éclairé par son contexte. En l’occurrence, nous étions en plein débat sur l’immigration choisie, et vous aviez besoin d’un faire-valoir ! Vous avez choisi le Gabon, pays qui présente la caractéristique d’avoir très peu de ressortissants en France. (Sourires.) Vous aviez donc besoin d’un partenaire auquel vous ne pouvez rien refuser parce qu’il ne vous refuse rien : le Président de la République gabonaise.

Ainsi, dès l’exposé des motifs, nous nous éloignons de ce que pourrait être une vraie et belle politique de codéveloppement, pour entrer dans une interprétation idéologique de la complexité du monde et des relations internationales.

Votre vision et votre politique de l’immigration, nous les subissons depuis 2002. Elles reposent sur une approche utilitariste, sécuritaire et discriminatoire, censée répondre au credo gouvernemental : stopper l’immigration subie et promouvoir une immigration choisie. Mais – et vous le savez bien – c’est un leurre ! Quand on voit les émeutes de la faim qui se produisent aux quatre coins de la planète du fait du renchérissement du prix des denrées, on se rend bien compte que, lorsque les gens sont poussés par la faim, rien ne peut les arrêter. Je vous invite à vous rendre sur les plages de Nouakchott et à y rencontrer ceux qui partent dans des barques, en sachant qu’ils n’ont que peu de chances d’arriver vivants au terme de leur voyage.

Vous ne voyez dans l’immigré qu’une force de travail devant alimenter notre machine économique, un peu comme à la sinistre période de la Traite. Ainsi, madame la secrétaire d’État, il nous faudrait accepter de donner l’image d’une France qui choisirait ses immigrés, comme on choisissait autrefois les esclaves sur l’île de Gorée – que vous connaissez bien, et qui n’est pas si éloignée des côtes du Gabon dont nous parlons aujourd’hui.

Pourtant, d’autres politiques migratoires sont possibles. Elles sont fondées sur un vrai dialogue entre partenaires égaux et sur une coopération renforcée avec les pays qui, depuis des décennies, sont liés à la France par l’Histoire. Le véritable courage politique consisterait à choisir une voie plus audacieuse : une politique de l’immigration respectueuse des étrangers, et une vraie politique de coopération fondée sur le respect, accordant un poids égal à chaque État.

Cette politique, nous nous sommes efforcés de la mettre en œuvre à Montreuil, avec des programmes et des actions de codéveloppement. C’est pour moi l’occasion de souligner le rôle essentiel que jouent les migrants dans notre pays – en l’occurrence Maliens et Mauritaniens. Bien que vivant dans des conditions souvent épouvantables, ils participent à l’élaboration des objectifs et des projets de codéveloppement, ainsi qu’à leur financement et à leur mise en œuvre, au prix d’efforts et de sacrifices importants.

Si je cite le Mali, c’est parce qu’en septembre 2002, notre ministre de l’intérieur de l’époque, Nicolas Sarkozy, avait affirmé que ce pays serait l’un des premiers partenaires de ce qu’il appelait déjà « la nouvelle politique de l’immigration ». Mais les nombreuses organisations qui aident, conseillent et accompagnent les étrangers et leurs familles dans leurs démarches administratives savent bien, elles, que votre politique a rendu la vie impossible à des dizaines de milliers de personnes et rempli les centres de rétention, qui fonctionnent aujourd’hui dans des conditions inhumaines. Je vous défie, madame la secrétaire d’État, de m’accompagner, quand vous le voudrez – la nuit prochaine ou une autre fois –, au centre de rétention de Vincennes, ou à la préfecture de Bobigny, où des migrants font la queue toute la nuit, et souvent davantage, afin d’obtenir, pas même leurs papiers, mais un numéro en vue d’un hypothétique rendez-vous !

Le codéveloppement ne se décrète pas ; il se construit, dans le respect des identités et des réalités de chaque partenaire. C’est la recherche, avec les pays d’émigration, de solutions de long terme pour la maîtrise des flux migratoires. C’est moins de tensions internationales, moins de populations déracinées errant d’eldorados illusoires en paradis introuvables. C’est davantage d’échanges économiques entre partenaires de dignité égale. C’est la coopération plutôt que la domination.

Nous n’en sommes malheureusement pas là. Aujourd’hui comme hier, la plupart des immigrés sont des réfugiés économiques. Il faut répéter qu’ils ne quittent pas leur terre natale et leur famille par goût des voyages, mais pour tenter d’échapper à la misère et chercher ailleurs le moyen de venir en aide à ceux qui sont restés au pays. Cela favorise l’entrée de ressources indispensables dans leur pays d’origine, mais prive irrémédiablement ceux-ci de leurs forces vives – que, quoi qu’en dise le rapporteur, votre politique d’immigration vise à piller de manière sélective.

C’est pourquoi il est indispensable d’agir en France pour que les travailleurs immigrés bénéficient des mêmes droits, y compris politiques, que les Français ; et il est tout aussi fondamental de mener une action déterminée afin de garantir le droit au développement des pays d’origine.

Vous avez pris le chemin opposé – et la signature d’un traité avec tel ou tel partenaire ne suffira pas à dissimuler la réalité de votre politique de l’immigration. Elle ne suffira pas non plus à faire oublier les propos outrageants du Président Sarkozy à Dakar, le 26 juillet 2007, une vingtaine de jours seulement après la signature du présent traité, que l’on voudrait nous présenter comme un blanc-seing.

Remémorez-vous, madame la secrétaire d’État, la réaction d’Alpha Oumar Konaré, ancien président du Mali et président de la Commission de l’Union africaine, qui avait déclaré, le vendredi 27 juillet, dans une interview à Radio France Internationale : « Ce discours n’est pas le genre de rupture qu’on aurait souhaitée. Ce discours n’est pas neuf dans le fond, il rappelle des déclarations fort anciennes, d’une autre époque, surtout quant à l’appréciation sur les paysans que je n’approuve pas ».

Nicolas Sarkozy s’était en effet aventuré – certainement sous l’inspiration de son brillant porte-plume M. Guaino – à déclarer :
« Le paysan africain ne connaît que l’éternel recommencement du temps, rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles. Dans cet imaginaire où tout recommence toujours, il n’y a de place ni pour l’aventure humaine, ni pour l’idée de progrès. »

Honte à qui a écrit cela, et à qui a prononcé ces paroles ! C’est tout à l’honneur d’Alpha Oumar Konaré d’avoir eu cette réaction ; il s’est inscrit ainsi dans la filiation des meilleurs fils de l’Afrique, comme Patrice Lumumba, Modibo Keita ou Nelson Mandela – qui n’ont rien en commun avec vos obligés, comme le Président de la République gabonaise. On ne vous entend d’ailleurs pas protester contre les atteintes aux libertés dans ce pays, ni contre celles qui ont lieu au Togo ou au Tchad. On aimerait que vous fassiez preuve de la même indignation qu’au sujet du Tibet : les droits de l’homme ne sont pas divisibles !

Le Zimbabwe également, absolument ! Je le répète, mon cher collègue : il ne faut pas diviser l’indignation car elle ne saurait être sélective, selon qu’on aurait intérêt ou pas à l’exprimer.

En conclusion de mon propos, qui, vous l’aurez compris, se traduira par un vote d’abstention sur ce texte dont l’ancrage idéologique nous dérange, je voudrais reprendre à mon compte cette fort juste et pertinente recommandation d’Alpha Oumar Konaré à l’adresse du Président de la République : « Je suis certain que le Président souhaite la rupture […]. Je pense que pour l’aider dans la rupture, il a besoin de mieux connaître l’Afrique » et, j’ajouterai pour ma part, de l’écouter, de l’aimer et de la respecter. Notre Président a encore beaucoup de marge de progression.

Jean-Pierre BRARD
Député de Seine-Saint-Denis
Département de Seine-Saint-Denis
Groupe de la Gauche Démocrate et Républicaine

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