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Les jeunes Camerounais déçus par une France timorée sur les droits de l’homme en Afrique

Placardés sur les murs, Mandela, Luther King et Guevara assistent, muets, au procès improvisé : « Depuis quarante ans que la France « aide » le Cameroun, les gens vivent-ils mieux dans ce pays ?, attaque Mouafa Djontu, dirigeant d’une association d’étudiants de Yaoundé. Elle n’est là que pour conforter ses intérêts ! ».
Au coeur d’un village de brousse, un jeune agriculteur exprime autrement des sentiments comparables : « Quand un ministre camerounais vole, c’est notre argent qui va à Paris. La France est notre marraine. Elle ne devrait pas laisser passer ça ! » Nul besoin d’orienter la conversation sur l’image de la France au Cameroun. La présence d’un journaliste blanc suffit à la déclencher, quitte, parfois, à forcer le trait. Jamais d’agressivité personnelle, mais des griefs ordonnés autour de trois thèmes : le soutien de Paris à l’éternel président Paul Biya, l’exploitation des richesses du pays, et la fermeture des frontières de la France.
Latente, l’animosité à l’égard de la France n’est pas l’élément déclencheur des émeutes qui, à la fin février, ont fait plusieurs dizaines de morts au Cameroun. L’explosion des prix du carburant et du riz et la réforme autorisant le président, Paul Biya, au pouvoir depuis vingt-six ans, à briguer un nouveau mandat ont enflammé la rue.
Mais tout le monde l’a remarqué : les entreprises françaises ont été prises pour cibles, au même titre que celles que la population attribue au président. Les stations Total, les agences Orange, les kiosques du PMU ont été pillés. « Les jeunes se sont attaqués à ce qu’ils croient être la cause de leur malheur », résume Pius Njawé, directeur du quotidien Le Messager.
L’hostilité antifrançaise relève du politique. Aucun Européen n’a été pris à partie. Rien à voir non plus avec les années 1990, lorsqu’un mot d’ordre de boycottage des produits français accompagnait la lutte contre le parti unique. « Au Cameroun, rien n’est plus prisé que les marques françaises. Mais l’image de la marque « France », elle, passe mal », sourit Gabin Nguidjoc, 30 ans, consultante en relations publiques.
Branchés sur RFI, TV5 ou Yahoo.fr, les jeunes rêvent de découvrir les richesses qui, comme si elles venaient d’une autre planète, s’étalent sur leurs écrans. « Chacun veut avoir sa chance », glisse une étudiante à qui un visa pour Paris a été refusé.
Entre dépit et colère, les jeunes Camerounais enragent contre une « France qui ne s’aperçoit pas que l’Afrique change » et continue de traiter les Africains en enfants immatures. « Si la France voulait, les choses changeraient ici. »
Paris éternelle responsable ? « Voilà une rhétorique du passé dont il est difficile de se passer, tranche Jean-Jacques Ekindi, député de l’opposition. Le véritable problème du Cameroun, ce sont les Camerounais. »
De façon inattendue, Nicolas Sarkozy a plutôt bonne presse parmi ces jeunes en rogne contre la France. Ils sont nombreux à le créditer d’une énergie inépuisable dont il ne peut sortir que du bien. « Il a demandé aux Africains de se prendre en main. Mais certains trouvent plus commode d’accuser la France », affirme une étudiante.
Mais les diplomates français en prennent pour leur grade : ils sont accusés de parler « toujours par euphémisme alors que c’est d’eux que nous attendons les offensives sur les droits de l’homme et contre la corruption ». « Ils sont vieux jeu, incapables de regarder sous les jupes de l’Afrique qui est tout de même l’épouse de leur propre pays », ose l’éditorialiste radical Shanda Tonme. Les jeunes mettent en exergue les prises de position plus nettes des ambassadeurs américains ou néerlandais sur les atteintes aux libertés.
Mais c’est dans le domaine économique, ultrasensible pour une jeunesse massivement condamnée au chômage, que l’aigreur est la plus marquée. Le réquisitoire est récurrent : « Les Français exploitent notre port, notre bois, nos bananes. Ils se réservent les postes de direction et ne fraient jamais avec les employés. Ils donnent des ordres, mais ne vont jamais sur le terrain, ils ne construisent rien de visible. » Tout le contraire des vertus prêtées aux « partenaires » chinois qui multiplient les chantiers, notamment celui du rutilant palais des sports de Yaoundé.
Dans l’esprit des jeunes rencontrés, la Chine « investit » réellement pour l’avenir du Cameroun. Les ingénieurs envoyés par Pékin vivent dans des baraquements et se contentent de salaires modestes alors que les Français exigent air conditionné, piscine et salaire d’expatrié. « La France dépense de l’argent pour des conférences qui ne nous donne rien sauf des politiciens corrompus. Les Chinois nous facilitent la vie en nous vendant des motos à moitié prix et des objets quotidiens abordables », tranche un jeune agriculteur.
Même si les coeurs restent tournés vers la France et sa langue, les regards d’admiration convergent désormais vers la Chine. Le volontarisme politique des Chinois, la fierté qui les conduit à refuser l’aide internationale sont perçus comme des vertus à importer d’urgence en Afrique. Avec un espoir largement exprimé : que la concurrence asiatique amène la France à considérer l’Afrique autrement.

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