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Mieux qu’un polar : l’Angolagate

Ses 468 pages se dévorent comme un roman. L’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel de Paris de la quarantaine de prévenus poursuivis dans le dossier de l’Angolagate évoque à bien des égards l’affaire Elf. On y hume le même parfum de soufre des relations franco-africaines, sur fond de corruption et de diplomatie parallèle. L’argent s’y compte en milliards – de francs -, voyage dans les paradis fiscaux, fait un détour par du financement politique occulte et se glisse dans les poches de personnalités. Une précaution, cependant. Ces pages, signées du juge d’instruction Philippe Courroye, reprennent largement le réquisitoire définitif et donc le point de vue de l’accusation. Visite guidée.

Au commencement est l’Angola

Cette ancienne colonie portugaise est déchirée par une guerre civile qui oppose le MPLA du président élu, José Eduardo Dos Santos, à l’Unità de son rival, Jonas Savimbi. Au début des années 1990, le premier, qui cherche à équiper son armée, se heurte à la diplomatie française, selon laquelle on ne livre pas d’armes à un pays en guerre. S’esquisse alors une diplomatie parallèle, avec, par ordre d’entrée en scène, le fils aîné du président, Jean-Christophe Mitterrand, ancien membre de la cellule africaine de l’Elysée, qui se charge de mettre en relation le président angolais avec l’homme d’affaires Pierre Falcone, lui-même très lié à Jean-Charles Marchiani, conseiller du ministre de l’intérieur Charles Pasqua. Un contrat de livraison d’armes est conclu en 1994 entre la société de Falcone, Brenco, et l’Angola, pour un montant de 4 milliards de dollars via une société slovaque, dont Arcadi Gaydamak, ex-colonel du KGB devenu homme d’affaires, est l’un des mandataires. Ni Alain Juppé, ministre des affaires étrangères, ni Edouard Balladur, premier ministre, ne sont au courant. En 2001, après les péripéties qui vont mettre au jour ce trafic, le ministère de la défense porte plainte.

Une secrétaire si consciencieuse

L’instruction se cogne aux sociétés écrans. Heureusement, il existe, chez Brenco, une collaboratrice consciencieuse, Isabelle Delubac. Lors d’une perquisition à son domicile, les enquêteurs dénichent 26 disquettes informatiques qui contiennent tous les « mémos » rédigés à l’intention de son patron. M. Falcone lui verse, outre un salaire de 15 000 francs par mois, doublé en espèces, un « cadeau » de 6 500 000 francs destiné à l’achat de sa résidence. Son silence est précieux.

Les visiteurs de l’avenue Kléber

Installés dans un hôtel particulier de l’avenue Kléber dans le 16e arrondissement de Paris, dotés d’hôtesses ravissantes, les bureaux de Brenco reçoivent des visiteurs réguliers. Lorsque Jean-Christophe Mitterrand, Jean-Charles Marchiani, l’écrivain Paul-Loup Sulitzer ou le directeur général de RMC, Jean-Noël Tassez, sont annoncés, le rituel est immuable. Isabelle Delubac descend au sous-sol, où sont entreposées des espèces, et remplit des enveloppes, sans oublier de noter sur ses fameux « mémos » les initiales parfois codées des bénéficiaires ainsi que la date et le montant alloué.

Les sacs en plastique de « Galilée »

Un coup de téléphone de Mme Delubac, une demande « 500, urgent », et Samuel Mandelsaft, un vieil ami de M. Falcone surnommé « Galilée » dans les mémos, ne tarde pas à arriver avenue Kléber, affublé d’un sac en plastique.
L’enquête démontrera qu’il était chargé d’un réseau de blanchiment d’argent entre la France et Israël. Mais, à quelques jours de la première convocation de Pierre Falcone à la brigade financière, en novembre 2000, M. Mandelsaft se volatilise. Le dernier achat constaté sur sa carte bleue est un aller simple Paris-Tel Aviv.

Très cher M. Mitterrand

« Sans Jean-Christophe Mitterrand, il n’y aurait pas eu de contrat (de vente d’armes), de la même manière que, sans femme, il n’y aurait pas de bébé », avait expliqué un des prévenus aux enquêteurs. Pour avoir mis en relation MM. Dos Santos et Falcone, le fils de l’ancien président sera généreusement rétribué par ce dernier : 14 millions de francs, selon l’accusation, versés sur des comptes suisses auxquels s’ajoutent des billets d’avion et des frais de séjour à Bali et à Phoenix, à un moment où M. Mitterrand, licencié de la générale des eaux – on est en octobre 1995, son père n’est plus à l’Elysée – touche pendant un an une allocation chômage supérieure à 300 000 francs.

Les démarches de Jacques Attali

En 1997-1998, le ministre des affaires étrangères, Hubert Védrine, est régulièrement sollicité par l’avocat de Pierre Falcone, Alain Guilloux – lui-même prévenu dans le dossier – pour trouver un arrangement concernant le redressement fiscal signifié à la société slovaque, qui a permis le commerce des armes avec l’Angola. « Eluder », répond à chaque fois le ministre. Invité à déjeuner chez son ami Jacques Attali, M. Védrine y rencontre un jour Me Guilloux, qui lui remet un nouveau dossier. « Je préfère l’Attali intellectuel à celui qui fait ce genre de démarche », dira aux enquêteurs M. Védrine. Quelques mois plus tard, M. Attali se voit confier une mission sur le microcrédit en Angola, qui sera payée 200 000 dollars par une société de M. Falcone.

Le mérite agricole pour Gaydamak

En juillet 1996, à Toulon, Arcadi Gaydamak reçoit des mains de Jean-Charles Marchiani, alors préfet du Var, et en présence de M. Falcone, les insignes de chevalier de l’Ordre du mérite. Cette décoration, sollicitée par le président du conseil général des Hauts-de-Seine Charles Pasqua auprès du président Jacques Chirac, au motif du rôle joué par M. Gaydamak dans la libération des pilotes français otages en Bosnie, sera étrangement prise sur le quota du ministère de l’agriculture. Aucune enquête de moralité n’a été conduite sur l’heureux bénéficiaire, que les renseignements généraux présentent alors comme « l’un des relais de la mafia russe sur notre territoire ». Le même mois, l’association France Afrique Orient, support du mouvement Demain la France de Charles Pasqua, reçoit 1 500 000 francs de Brenco.

Initiales « C. P. »

En décembre 2001, les enquêteurs saisissent chez M. Marchiani un papier comportant des dates, des prénoms, des initiales, « C. P », le nom de Brenco, auxquels correspondent des montants accompagnés de la mention « cash » ou « virés ». Au juge qui l’interroge sur ces initiales, M. Marchiani répond : « C. P, ça peut vouloir dire 36 trucs. Chef de poste ou correspondant permanent si c’est une opération de renseignement. Je ne pense pas que cela peut vouloir dire Courroye Philippe. »

Pour une « authentique justice ».

En 1997, l’Association professionnelle des magistrats (APM, droite), alors présidée par Georges Fenech, substitut général à Lyon – devenu député UMP depuis -, reçoit 100 000 francs de subvention de Brenco, soit 50 % de son budget de fonctionnement. « Merci de préciser : sur ordre de Pierre Falcone », lit-on sur l’ordre de virement. M. Fenech se fend d’une lettre de remerciement au donateur pour son « aide spontanée », qui permettra de défendre les « valeurs auxquelles nous croyons », au premier rang desquelles figure la volonté de « restaurer une authentique justice ».

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