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Gabon : Le CNC accuse les professionnels de la communication de “s’enrichir sur le dos du Gabon”

À la suite de la signature d’un décret gouvernemental, instituant une nouvelle taxe exclusivement destinée aux entreprises travaillant dans l’édition, la publicité et la communication, le Président du Conseil National de la Communication (CNC) a convoqué le vendredi 24 octobre l’ensemble des professionnels du secteur afin de discuter des conditions d’application de ce nouveau texte. Une dizaine de chefs d’entreprise, pour la majorité issus de l’édition, étaient présents afin de faire valoir que cette taxe leur semblait injuste et disproportionnée dans l’état. Le décret demande à ces entreprises de payer, chaque année, en plus des impôts normaux sur les bénéfices et des diverses taxes déjà en vigueur, une redevance allant de 500 000 F à 1 000 000 F CFA (pour les entreprises du secteur de l’édition, cette redevance pouvant aller jusqu’à 15 000 000 F CFA par an pour le secteur de l’audiovisuel) et une taxe publicitaire de 5% sur leur chiffre d’affaires. C’est cette dernière taxe, très lourde, qui pose vraiment problème.

Demander à aux entreprises qui travaillent dans le domaine de la communication de reverser un pourcentage de leur chiffre d’affaires à l’État, par l’intermédiaire du CNC, pose de nombreuses questions, pour le moment restées sans réponses. Le CNC argumente qu’il s’agit d’une décision gouvernementale et qu’il n’a le pouvoir que de discuter des conditions de mise en application. Pourtant, il est le principal bénéficiaire de ce nouvel impôt (à hauteur de 50% pour le fonctionnement du CNC selon l’arrêté 975 du 1er avril 2006 “accordant une délégation d’émission des ordres de recette au CNC”, les 50% restants étant destinés aux recettes de l’état) et sa justification officielle, mais non inscrite dans les textes, est d’abonder le fond de soutien à la presse, d’après le Président du CNC. Aux yeux de la profession, c’est prendre d’une main ce que l’autre s’engage à donner… Le Président du CNC a poussé plus loin son raisonnement, reprochant à la profession de “s’enrichir sur le dos du Gabon sans en faire profiter l’État”.

Le point de vue des professionnels du secteur est très différent. D’après leurs représentants, la redevance annuelle permettant d’obtenir un visa d’exploitation est justifié par la présence sur le marché gabonais de nombreux acteurs informels qui, non seulement, ne s’acquittent pas de leurs devoirs envers l’état, mais utilisent des pratiques anticoncurrentielles avérées et entretiennent la corruption, en particulier sur des marchés d’État et dans l’administration. Si cette redevance permet d’assainir le marché et de professionnaliser la profession, tout le monde a, effectivement, à y gagner. La présence du visa d’exploitation délivré par le CNC permettra de justifier que l’entreprise qui édite un support est bien en règle avec la législation fiscale et s’engage à respecter la déontologie en cours au Gabon.

Il en va de même avec les intervenants étrangers, dont certaines pratiques qualifiées de “tourisme prédateur” par le Président du CNC seront régulées par l’acquisition d’un visa temporaire d’exploitation et une représentation fiscale au Gabon, au travers d’une entreprise locale répondant du paiement des impôts et diverses taxes légales.

En échange de cette redevance annuelle, le CNC s’engagerait, de son côté, à lutter contre la fraude et serait chargé de la régulation de ces marchés.

La pierre d’achoppement vient de cette taxe sur le chiffre d’affaires dont les modalités d’application sont très imprécises au regard du décret gouvernemental. Du point de vue des opérateurs économiques, cette décision relève d’une absence de connaissance des secteurs de l’édition, de la publicité et de la communication, avec lesquels la plupart des fonctionnaires n’ont que des contacts faussés par ceux-là mêmes que la profession rejette dans l’informel et l’illégalité. La plupart des marchés avec l’État, dans la publicité et l’édition, ne concernent pas les professionnels de la communication. Ils sont tenus par des acteurs informels, fondés en grande majorité sur des alliances de complaisance, et font l’objet, à la fois, de surfacturations importantes et de reversements illégaux tout aussi importants. Sur cette base, il n’est pas étonnant que les autorités considèrent ces acteurs comme des “commandos” à l’affût de “coups” très rémunérateurs, échappant aux contraintes légales nationales. Mais les professionnels présents à la réunion du CNC sont justement ceux à qui ces pratiques font le plus de torts, et ces bénéfices mirifiques évalués par les fonctionnaires du gouvernement ne sont pas leur lot !

Les secteurs de l’édition et de la communication audiovisuelle en particulier sont particulièrement fragiles, au point que divers textes de loi leur ont reconnu un droit à des subventions afin de leur donner les moyens de survivre et, peut-être, de se développer. Pratiquement toute la presse gabonaise est déficitaire, incapable de payer correctement son personnel qui ne travaille, en général, que par motivation et amour du métier. Les journaux sont subventionnés, un peu par l’État, beaucoup par des mécènes privés, ou s’appuient sur des activités de production, indépendantes du marché de la publicité. Pour ces acteurs important de la démocratie et de l’information, la survie est un combat quotidien. Bien peu, d’ailleurs, parviennent à tenir plus de quelques mois. La vente de publicité est, pour la presse gratuite, la radio ou la télévision, leur seule ressource et pour la presse payante, l’apport indispensable qui leur permet de travailler avec des professionnels et fournir un support de qualité. Demander à ces entreprises de payer une taxe sur leur chiffre d’affaire est tout simplement mortel pour la plupart d’entre eux, avec à courte échéance, la fermeture de ces supports et la mise au chômage de milliers de salariés. Surtout, taxer le chiffre d’affaires d’une entreprise c’est renier la base même de la définition de l’impôt tel qu’elle est définie dans la constitution, qui doit être juste et assis sur les bénéfices et non sur le chiffre d’affaires. Or les entreprises déclarées du secteur, celle visées par ce décret, payent déjà l’impôt sur les bénéfices au même titre que toutes les autres entreprises gabonaises.

Notons au passage que les médias d’État seraient exonérés de cette taxe de 5% sur le chiffre d’affaires, ce qui ne manquerait pas de créer une distorsion importante entre ces derniers et le secteur privé.

Suite à cette argumentation, la réunion entre les professionnels de la communication et le CNC s’est achevée sur la mise en place d’une commission bipartite, composée équitablement de spécialistes du CNC et de représentants des professionnels, afin d’étudier les possibilités offertes par la discussion pour aboutir à un accord et un partage équilibré des droits et devoirs de chacun des intervenants.

Deux associations de professionnels de la communication, l’une regroupant principalement les éditeurs et agences de communication, l’autre les acteurs de la communication audiovisuelle (radios et télévisions) sont en cours de création sur la lancée de l’opposition à la levée de cet impôt qu’elles considèrent comme injuste et injustifié.

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