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France-Gabon: divorce ou scène de ménage?

Le pouvoir et les médias gabonais goûtent peu la saisie fin février de deux comptes en banque appartenant au président Omar Bongo, ainsi que les nombreuses enquêtes, dont celle de L’Express, consacrées aux biens immobiliers du régime. Ces temps-ci, à Libreville, les dictionnaires des synonymes font les trois-huit. Outrés par le « complot » imaginaire ourdi sur les bords de Seine contre le Gabon, les journaux et les dignitaires du régime n’en finissent plus d’épuiser le lexique de la conspiration. A l’origine de cette surenchère verbale, la « campagne orchestrée » par des médias français « aux ordres » contre le président Omar Bongo Ondimba, sa famille et le peuple tout entier.

En clair, les reportages et enquêtes consacrés au patrimoine immobilier du clan Bongo comme aux actions en justice intentées par des ONG locales ou internationales enclines à dénoncer les « biens mal acquis » attestent, à en croire la prose en vigueur, une entreprise de déstabilisation conduite sous le regard complice de l’Elysée et du Quai d’Orsay. Facteur aggravant: la saisie, le 26 février, de deux comptes bancaires détenus en France par Bongo, après la condamnation de ce dernier à rembourser les 457 347 euros versés par un Français pour obtenir la libération de son père, qu’un contentieux commercial opposait au « Vieux ».

Puisant aux sources du discours patriotique et anticolonialiste, l’artifice rhétorique recueille au pays un réel écho. « Partisans du pouvoir ou pas, commente un expatrié, tous les Gabonais se sentent blessés par ce qu’ils perçoivent comme un injuste acharnement. » Aussi sincère soit-elle à la base, cette indignation est bien entendu amplement alimentée et manipulée par l’entourage du « patron », rentré voilà peu d’un séjour privé au Maroc, où son épouse Edith-Lucie est hospitalisée. « Le retour du boss a changé la donne, observe un expert du marigot gabonais. Depuis, ça canarde de partout. Comme s’il fallait, sur fond de guerre de succession larvée, faire assaut de loyauté. »

« C’est fini l’époque où le colon français fouaillait les nègres gabonais »

La lecture de l’édition du jour de L’Union, seul quotidien gabonais, s’avère à cet égard des plus instructives. Ouvrons le bal avec le billet de Une signé Makaya, censé refléter les engouements et les rancoeurs du citoyen lambda, mais souvent inspiré par le Palais. On y dénonce donc « une campagne médiatique d’une bassesse abjecte, sordide, écoeurante ». « Jusqu’à quand, lit-on ensuite, allons nous continuer à supporter que des petits plumitifs -des pédalos se shootant aux drogues dures pour la plupart- prennent notre ?présida’ pour leurs serpillières sur lesquelles ils viennent s’essuyer leurs pieds pleins de gadoue et qui sentent le camembert? »

Suit la référence au temps révolu de l’esclavage: « C’est fini l’époque où le colon forestier français blanc, race supérieure, fouaillait les nègres gabonais, race inférieure, dans les chantiers (…). Le pillage de notre bois d’ébène et de nos bois divers en sus. » Vient enfin la menace voilée: « Il faut que là-bas à Paris, les mains noires qui poussent à la roue dans l’ombre prennent conscience qu’il y a plus de Français au Gabon que de Gabonais en France. Que les communiqués de protestation qui se multiplient pour dénoncer cette cabale nauséabonde peuvent se transformer en marches musclées contre les Français d’ici et leurs multiples intérêts économico-financiers. » Ailleurs, on souligne que Paris n’a rien à gagner à voir le Bongoland se tourner vers des partenaires moins procéduriers ou plus respectueux des usages, à commencer par la Chine.

Soyons justes: les officiels, eux, s’abstiennent de brandir le spectre de représailles violentes, invoquant la « sagesse proverbiale » de Son Excellence Omar Bongo. « Pour l’heure, insiste un diplomate en poste à Libreville, nos compatriotes ne sont nullement en danger. » Dans le même numéro de L’Union, le lecteur a droit au récit de la réunion du Bureau politique du Parti démocratique gabonais (PDG), maître absolu de l’Assemblée comme du Sénat, qui « invite instamment le gouvernement et le parlement à réexaminer en profondeur les Accords de coopération entre la France et le Gabon, afin d’opérer une ?rupture’ d’ailleurs préconisée par les plus hautes autorités françaises. » Allusion transparente aux promesses de campagne -d’ailleurs largement trahies à ce jour- du candidat Nicolas Sarkozy, hier résolu à en finir avec les turpitudes des réseaux de la Françafrique et les méfaits des émissaires occultes. En dessous de ce compte-rendu, un membre zélé du Conseil national du PDG stigmatise à la faveur d’une « Tribune libre » la presse française et ses « sbires stipendiés », tous à la botte de l’Elysée. On conviendra donc que le commentaire qui suit aura à coup sûr été rédigé sous la dictée des stratèges du Château.Pendant des décennies, Omar Bongo a bénéficié de la part des autorités hexagonales d’une forme d’immunité. Chaque fois que la justice tricolore scrutait d’un peu trop près les agissements du successeur de Léon M’Ba, promu avec l’aval de Jacques Foccart, sorcier africain de Charles de Gaulle, l’intéressé émettait à destination de Paris des messages plus ou moins subliminaux. Ce fut notamment le cas au plus fort de l’affaire Elf. Les mises en garde de El Hadj Omar Bongo Ondimba, converti à l’islam en 1973, prenant des tournures diverses. Du billet de Makaya au livre d’entretiens codé, tel celui publié en 2000 chez Grasset avec le concours du journaliste Airy Routier, sous le titre « Blanc comme nègre ». Il arrivait aussi à Bongo de lâcher au détour d’une conversation téléphonique avec son ami Jacques Chirac une sentence lassée et laconique, dans le genre: « Jacques, tes petits jugent m’emmerdent. »

Et de fait, les magistrats français ont longtemps été invités à ne pas… importuner cet allié fidèle de Paris, patron incontesté d’un émirat pétrolier du Golfe de Guinée. Il faut dire que celui-ci en a suffisamment sous la talonnette pour, sinon faire trembler la République, du moins épouvanter le Landerneau politique franco-français, qu’il connaît à merveille. Lui sait mieux que personne les largesses dont il a gratifié depuis trois décennies, à l’heure des campagnes électorales, plusieurs partis tricolores, à commencer par ceux de la nébuleuse néo-gaulliste.

Ces habiles investissements lui ont jusqu’alors valu indulgence plénière. Mais il n’est pas exclu que le vent tourne. « Nos amis africains, avancent un conseiller élyséen, doivent comprendre que les temps ont changé. Que les médias sont chez nous très jaloux de leur indépendance. Et que nos magistrats se battent pour la leur. Ajoutez-y la pugnacité de la société civile et des ONG… Au fond, ils le savent, mais ont du mal à s’y résoudre. » On pourrait ici broder à l’infini, mais le temps presse: il faut de toute urgence que l’auteur de ces lignes file au Palais de l’Elysée implorer le maître de céans de lui octroyer son imprimatur avant la mise en ligne de ce papier, énième avatar de l’éternelle conjuration…

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