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Zone Franc : Comment contrer la crise financière ?

A l’issue de la réunion des ministres des Finances de la Zone Franc qui s’est tenue les 16 et 17 avril derniers à Ouagadougou, au Burkina Faso, de gros espoirs reposaient encore sur l’accroissement de l’aide promis par les institutions de Bretton Woods, mais toujours pas de potion miracle. Dans l’interview qu’il accorde au journal Le Faso, le commissaire chargé des politiques économiques et de la fiscalité intérieure de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), El-Hadji Abdou Sakho, président du Comité de convergence de la zone franc revient sur la place de la monnaie commune dans la lutte contre la crise financière actuelle et ses retombées sur les économies nationales. Quelles sont les missions assignées au Comité de convergence de la zone franc dont vous êtes le président ?

Le Comité de convergence de la zone franc est une structure créée en 1999 par la réunion des ministres de cet espace pour renforcer la surveillance multilatérale dans la zone. A ce titre, le Comité rend compte de la situation économique et financière de la zone. Il suit le fonctionnement de la surveillance multilatérale des politiques macroéconomiques des Etats membres et rend compte des progrès accomplis. Il formule également des recommandations propres à renforcer l’exercice de surveillance.

Quelle est la situation économique de la zone à la fin 2008 ?

Dans son ensemble, la situation économique de la zone est difficile. Cela a un rapport avec l’environnement international actuel et avec la soudaineté du reflux des cours mondiaux des produits de base, conjuguée aux effets de la crise financière mondiale. Au cours du premier semestre de 2008, le maintien à un niveau élevé des cours des principales matières premières exportées par les pays membres a largement profité aux économies exportatrices, tout en exacerbant les tensions inflationnistes. A l’inverse, le second semestre de l’année 2008 a coïncidé avec un retournement brusque des cours mondiaux des produits de base, dû à l’éclatement de la crise financière.

La dépression annoncée dans les principaux pays partenaires commerciaux de la zone franc, va réduire la demande des matières premières dont le pétrole, et cette contraction de la demande va induire un mouvement baissier des cours des matières premières, dans un contexte de baisse des échanges commerciaux projetée à -10%. La baisse des cours mondiaux va entraîner une contraction des recettes budgétaires des Etats et les contraindre à des ajustements budgétaires. Il est à craindre que ces ajustements ne se fassent au détriment des dépenses d’investissement et de celles directement liées au processus productif. Déjà en projection, les taux de croissance aussi bien pour l’UEMOA que pour la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC) ressortent en baisse.

S’agissant de l’inflation, les facteurs qui en étaient à l’origine, c’est-à-dire les hausses des prix des produits alimentaires et énergétiques, ont commencé à se dissiper depuis le second semestre de 2008 et la déflation attendue dans l’Euroland en 2009, va contribuer à ralentir la hausse des prix dans la zone franc. Le ralentissement de l’activité économique dans les sous-zones (UEMOA, CEMAC et Union des Comores) va détériorer les soldes budgétaires et courants, entraînant des difficultés de trésorerie et de balance des paiements si rien n’est fait pour conjurer les effets de la crise.

Quels sont les résultats auxquels les ministres des Finances de la zone ont abouti au cours de leur réunion des 16 et 17 avril 2009 à Ouagadougou ?

Les ministres ont examiné l’état de la convergence à l’intérieur des sous-zones. Ils ont relevé le niveau insuffisant du rythme de convergence et constaté le recul enregistré par rapport à l’année 2007 du fait de la conjonction du choc exogène dont principalement la crise financière. Ils ont souligné également la fragilité de la situation économique de la zone imputable en grande partie, à une trop grande vulnérabilité de nos économies par rapport aux chocs exogènes et plaidé pour la poursuite des réformes macroéconomiques et sectorielles susceptibles de mieux asseoir nos économies sur des bases réelles solides, capables de porter sur le long terme, les performances en matière de convergences nominales. A ce sujet, ils ont instruit le Comité de convergence de leur remettre lors de la réunion d’automne 2009, un rapport sur le potentiel de croissance de la zone franc.

Une attention particulière a été accordée à la résolution de la crise énergétique et au traitement de la crise financière. Sur le premier point, ils ont formulé des recommandations pour développer l’offre énergétique dans la zone. Elles visent essentiellement à renforcer la planification et l’équilibre financier du secteur et à accroître la mobilisation des ressources pour le financement des projets dans le secteur.

S’agissant de la crise financière, les ministres ont recommandé la mobilisation de tous les instruments de politique économique disponibles dans les Etats et les Unions, pour soutenir l’activité économique et atténuer les effets de la crise sur les couches sociales vulnérables. En complément à ces efforts internes, les ministres ont recommandé une concertation entre les pays de la zone franc pour s’entendre sur les modalités d’utilisation des ressources de financement dégagées lors du sommet du G20, soit plus de 1000 milliards de dollars. Ils ont insisté sur la nécessité pour ces ressources, d’être concessionnelles. Ils ont appelé les institutions de Bretton Woods et les banques multilatérales de développement à améliorer l’accessibilité de ces ressources supplémentaires et à alléger les conditionnalités. Ils ont convenu de prendre des initiatives dans ce sens.

Quels sont les mécanismes envisagés pour contrer les facteurs exogènes dans la zone ?

La zone franc est une instance qui regroupe des sous-zones. Les ministres ont recommandé de mobiliser tous les instruments de politique économique disponibles au niveau des Etats et des sous-zones. Il y a donc des instruments qui vont être mobilisés et mis en œuvre au niveau de chacune sans compter que les Etats auront la discrétion de mettre en place des instruments supplémentaires. Pour prendre l’exemple de l’UEMOA, la Conférence des chefs d’Etat s’était déjà penchée sur la question. Un groupe de travail est actuellement à pied d’œuvre pour voir comment améliorer le financement de l’économie des Etats.

Au niveau des Etats eux-mêmes, il leur est recommandé d’accroître la mobilisation des ressources internes car c’est un élément important. Il faut sans doute, revenir sur les mesures fiscales qui avaient été supprimées lors de la survenue des tensions inflationnistes en 2008. Au niveau des sous-zones comme l’UEMOA, le groupe de travail va sans doute, formuler des propositions pour une sortie de crise ou imaginer des instruments pouvant la favoriser.

La situation économique reste difficile. Elle le sera encore en 2009. Mais au niveau de la zone, ce n’est pas tant les effets qu’il faut craindre mais l’absence de réactions. Nous nous attelons à mettre en place des plans de relances budgétaires avec des instruments au niveau sous-régional pour les soutenir. Il faut souhaiter également que les mesures préconisées puissent faire l’objet de consensus.

Le rôle de la Commission de l’UEMOA, c’est justement de faire en sorte que les politiques économiques puissent descendre des techniciens vers les populations. Il faut à ce sujet, réadapter un certain nombre de directives sur la transparence dans la gestion des finances publiques. Sur la conduite des politiques fiscales, il n’est plus question dans notre zone sous peu, si le conseil des ministres nous suit, que les initiatives en matière fiscale puissent émaner d’ailleurs que des ministères des Finances et des parlements. Parce que dans toute société moderne, le pouvoir de lever l’impôt incombe au parlement.

Nous allons également conférer aux populations, par l’intermédiaire de leurs représentants, le pouvoir de suivre l’emploi des revenus fiscaux ainsi que de suivre la détermination de l’assiette des taux de la fiscalité. S’agissant des autres aspects liés aux finances publiques, notamment les problèmes de déficit budgétaire, nous œuvrons à une impulsion politique des programmes économiques. Dans ce cadre, nous nous attelons à y impliquer davantage les parlements, la société civile, les syndicats, afin d’aider à bâtir un consensus autour de certaines valeurs : les notions d’équilibre budgétaire, de transparence, de fiabilité des statistiques.

Vous avez parlé d’un rapport sur la croissance dans la zone franc. N’est-ce pas l’appartenance au franc qui explique des taux de croissance dans la zone, inférieurs à ceux observés en dehors, notamment au Ghana ou au Nigéria ?

Non, l’appartenance à la zone ne comporte ni de prix à payer, ni de coût à payer. La politique monétaire en zone franc comporte plusieurs avantages dont les autres pays non membres ne bénéficient pas : taux d’inflation faibles, risque de change réduit. Si cette stabilité monétaire ne s’est pas accompagnée de taux de croissance plus élevés, c’est pour des raisons qui n’ont pas grand-chose à voir avec la monnaie. Celles-ci reposent plutôt sur la faiblesse de la productivité des facteurs, sur les coûts de production et de transport, sur des facteurs institutionnels.

Certains pays non membres de la zone franc ont des taux de croissance plus élevés, mais ils connaissent également des situations d’hyper inflation qui ont des effets sociaux qui touchent les plus pauvres. En effet, dans ces pays, les déficits budgétaires des Etats sont financés par la création monétaire, d’où cette hyper inflation. Donc, les populations ne profitent nullement de la croissance et la monnaie, à travers l’inflation, est utilisée pour opérer des transferts de pouvoir d’achat des populations vers l’Etat.

Que répondez-vous à ceux qui disent que la zone franc est une survivance coloniale ?

Comme disait le général De Gaulle, il n’y a pas de politique qui vaille en dehors des réalités. De nos jours, l’indépendance n’a de sens que dans l’interdépendance. Une interdépendance imposée par l’histoire, la géographie ou le voisinage. Une interdépendance basée également sur les intérêts et sur la similarité des problèmes auxquels nous faisons face. La croyance en la survivance coloniale est largement répandue malheureusement.

Dans le cadre de la surveillance multilatérale des politiques macroéconomiques dans l’UEMOA, j’avais invité des experts de pays amis à venir prendre part aux discussions sur le rapport semestriel de la surveillance multilatérale. Après les travaux, en dépit des sentiments de satisfaction qu’ils ont tous exprimés, certains m’ont fait remarquer qu’il n’y avait pas de représentants de la France dans la réunion. J’ai éclaté de rire. Ceci pour dire que les appréhensions ne sont pas fondées. La zone franc est plus sérieusement un cadre de partenariat, de dialogue politique et de dialogue sur les politiques. Il est d’ailleurs, plus facile d’en sortir que d’y entrer.

Mais cette zone que vous louez tant est-elle adaptée au contexte actuel de crise financière ?

Parfaitement ! La longévité de la zone ne devrait pas étonner. Au-delà des motivations économiques, la longévité de la zone s’explique par le fait qu’elle est adossée à une solidarité qui puise ses racines dans l’histoire, une communauté de destin, le partage de valeurs de civilisation et d’un outil de communication comme la langue. Son existence permet d’infléchir l’unilatéralisme politique, culturel voire économique ambiant. Soyons attentifs aux tendances lourdes de la géo économie actuelle. Depuis quelques décennies, les centres de gravité de l’économie mondiale migrent vers le Pacifique. La marginalisation progressive qui en découle affectera principalement l’Eurafrique.

Les taux d’intérêt des banques de la zone, jugés trop élevés n’exacerbent-ils pas les effets de la crise financière ?

Les taux d’intérêt des banques posent problème. Depuis la survenue de la crise, les politiques monétaires des principales banques centrales ont été assouplies. Il ne faut pas oublier que dans la zone, la manipulation des principaux taux directeurs n’a aucune influence sur le niveau du crédit, ni sur le niveau de l’investissement, ni sur le coût.

La structure bancaire de nos économies ne permet pas encore à la politique monétaire de jouer réellement son rôle, c’est-à-dire, d’avoir un impact sur le secteur réel. C’est également l’une des réformes à laquelle nous devons nous atteler.

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