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Gabon: La Paix du système Bongo (Pax romana ou Shalom biblique ?)

Le mot paix peut se comprendre de différentes façons. Il y a par exemple la « Pax romana » ; il y a aussi l’assertion biblique de Paix et justice : le Shalom.

Pax romana 

Aux premiers siècles de l’ère chrétienne, la paix régnait dans l’empire romain depuis César Auguste. Cette paix que les historiens  désignèrent par pax romana  reposait sur quatre facteurs.

Le premier facteur, un aspect militaire. C’était une paix acquise sur les champs de bataille. Elle s’appuyait sur la puissance incontestée des Romains. Une des caractéristiques était que lorsque les peuples lointains étaient soumis, Rome collaborait le plus souvent avec des groupes d’autochtones proconsuls et autres satrapes pour imposer la loi de l’empire. Le second facteur était économique. Le troisième juridico-politique faisait valoir la loi romaine qui était appliquée dans tout l’empire. Cette influence s’exerçait aussi dans le domaine culturel. Enfin, le quatrième facteur était le fait que la cohérence de l’empire était garantie par une unité de croyance. C’est-à-dire une seule façon de penser et de concevoir la vie.  Ce que l’empereur décidait était considéré comme vérité, justice et loi.

Cette compréhension de la paix, n’est pas sans analogie avec la situation que nous vivons. C’est une paix similaire que Omar Bongo Ondimba a imposé sur le Gabonais pendant presque un demi siècle.  .

Par ailleurs, la pratique du régime  actuel s’apparente fort au système marocain du  Makhzen[1] : La  pratique de « gouvernementalité » au Royaume du Maroc sous Hassan II. C’est «l’ordre jugé nécessaire et consolidé par un recours illimité à la violence d’État ». Plus profondément, il renvoie aux modes de subjectivation. Dar-al-Makhzen, qui est l’unique pourvoyeur du système, en symboles d’autorité, et le siège de la crainte révérencieuse qui constitue le fondement du pouvoir royal marocain

Sous la paix ainsi conçue, le peuple et la société sombrent dans une crise profonde, une crise très grave et très dangereuse. Cette crise se nourrit de la peur, de la corruption, de l’apathie et de l’indifférence chez les populations. C’est ce que nous désignons par la « paix des cimetières »

Rappelons-le ici une fois de plus : Ce n’est pas Omar Bongo Ondimba n’a pas apporté la paix au Gabon. De mémoire de gabonais, il n’y a jamais eu de conflit ethnique encore moins de guerre tribale entre les groupes peuplant le territoire gabonais avant, pendant ou après la colonisation française

Non, Omar BONGO ONDIMBA n’aura pas été celui qui a apporté la paix au Gabonais ! Le système dont il s’est servi n’a tout simplement fait que maintenir les équilibres ethniques, sous la forme de la « Pax romana » et la corruption, pour asseoir un pouvoir sans base. Le mythe Omar Bongo Ondimba ayant établi la paix au Gabon est totalement faut.    

Le peuple gabonais, toutes les ethnies qui le composent réunies, est d’essence un peuple pacifique.  Cependant, il a prouvé à plusieurs reprises qu’il est prêt à   payer le prix s’il le faut. Beaucoup d’entre ses fils l’ont prouvé, depuis aussi loin que nous pouvions aller dans notre histoire, avec l’occupation française ? Nos ancêtres ont payé de leur vie pour résister aux colonisateurs, à l’instar des grands chefs de notre peuple comme : M’Bombé chez les Mitsogho, Mavurulu chez les Punu ou encore ces onze chefs Sangha-Sangha exécutés sans autre procès à Viel dans le bas Ivindo en 1908.[2]  

Dans son ouvrage : La Révolte des masses, l’un des plus célèbres ouvrages de philosophie politique parus au XXe siècle, publié pour la première fois en 1929, José ORTEGA Y GASSET, prenant l’exemple du peuple espagnole écrit : « L’encanaillement n’est rien d’autre que l’acceptation en tant qu’état habituel et normal, d’une irrégularité, d’une chose qui continue d’apparaître anormale, mais que l’on continue d’accepter. Or, comme il n’est pas possible de convertir en une saine normalité ce qui, dans son sens même, est criminel et anormal, l’individu décide de s’adapter lui-même à la faute essentielle et de devenir ainsi « partie intégrante » du crime et de l’irrégularité qu’il entraîne.(…) Toutes les nations ont traversé des époques pendant lesquelles quelqu’un qui ne devait pas les commander aspirait pourtant à le faire. Mais un fort instinct leur fit concentrer sur-le-champ leurs énergies et expulser cette illégitime prétention au commandement. Elles repoussèrent l’irrégularité transitoire et reconstruisirent ainsi leur morale publique. Mais l’Espagnol a fait le contraire : au lieu de s’opposer à être commandé par quelqu’un qui lui répugnait dans son for intérieur, il a préféré falsifier depuis des décennies tout le reste de son être pour l’accommoder à cette fraude initiale-  

Il en a été ainsi du peuple gabonais depuis 1967, avec le pouvoir irrégulier mis en place par l’ancienne puissance coloniale, contre la volonté du peuple gabonais.

Au Gabon, depuis 1967, la majorité du peuple gabonais subi cette fraude initiale, alors qu’une petite minorité de compradores l’a cautionné en s’y intégrant corps et âme. 

La grande question que l’on peut se poser est : pourquoi les Gabonais se sont comporté comme ils l’on fait sous le règne prédateur de Bongo ? C’est-à-dire, accepter l’encanaillement :

La réponse pourrait se trouver dans la parabole suivante :

« Il était une fois un riche et avare magicien qui possédait de nombreux troupeaux de moutons. Il n’engageait pas de berger ni ne clôturait les pâtures. Les moutons s’égaraient dans les forets, tombaient dans les ravins et surtout s’enfuyaient à l’approche du magicien, car ils soupçonnaient ce qu’il faisait de leur viande et de leur toison.  Si bien que le magicien trouva le seul remède efficace. Il hypnotisa les moutons et leur suggéra d’abord qu’ils étaient immortels et que les écorcher était excellent pour leur santé. Ensuite, il leur suggéra qu’il était un bon  guide, qu’il était prêt à tous les sacrifices pour ses chers moutons qu’il aimait tant !… Après quoi, le magicien mit à la tête de chaque troupeau des moutons qui n’étaient plus du tout des moutons. A ceux-ci, il suggéra qu’ils étaient des lions, des aigles ou même des magiciens. Ceci fait, le magicien vécut sans souci. Les moutons restaient éperdument attachés à chaque troupeau ; ils attendaient avec sérénité le moment où le magicien les tondait et les égorgeait. »

Voilà ce qui est arrivé au Gabonais, réduit et  transformé en « Makaya ».

Makaya, mot d’origine de l’ethnie Vili qui signifie les feuilles mortes. Makaya est le « Pauvre bougre » sans importance pour ceux qui compte. Pour le peuple, le nom Makaya a fini par désigner sous le régime de Bongo, la très grande majorité des indigènes, dominés toutes sortes d’individus allogènes « les Mamadou ». Le régime prédateur et tyrannique s’est allié à ceux-ci, qui ont pris le monopole de l’économie. Le Makaya, l’indigène gabonais, s’est vu progressivement marginalisé dans la maîtrise de son pays

Quand le chrétien rencontre cet ordre dans le Premier Testament de la Bible : « Il n’y aura pas de pauvre chez toi »[1], la compréhension du mot pauvre renvoie à celui qui est courbé, abaissé, accablé, comme l’est aujourd’hui la très grande majorité de Gabonais : les « Makaya ».

Le Gabonais Makaya, est aujourd’hui le plus pauvre parmi les pauvres. Car, comme disait Mère Teresa : « La plus grande pauvreté, c’est de ne compter pour personne » ; autrement dit, être considéré de Makaya : les feuilles mortes.

La pauvreté ainsi vécue renvoie à l’insignifiance, elle est certes économique, mais aussi culturelle, morale et relationnelle.

Pire, le Gabonais « Makaya » connaît la misère. Il est miséreux. Selon la distinction féconde de  Thomas d’Aquin, le pauvre est celui qui manque du surplus. Le miséreux, lui, manque même du nécessaire. La pauvreté se qualifie par les principes de simplicité et de frugalité.   Alors que la misère désigne la chute dans un monde sans repère où toutes les forces du sujet sont orientées vers la survie, quel que soit le prix. Voilà ce à quoi a été réduit l’indigène gabonais  par le régime prédateur qui sévit au Gabon depuis bientôt un demi siècle.

Paix et justice : Le Shalom biblique

La paix dans une société démocratique s’inscrit dans le Shalom biblique. Elle se caractérise par trois éléments constitutifs : Elle induit un minimum de bien être matériel et de prospérité qui consiste à vivre sans être menacé par la violence ou la faim (…) Une société qui jouit de cette paix n’est pas seulement une société sans conflit ouvert, mais une société où les gens vivent de façon paisible et responsable : « En paix », à l’abri des besoins élémentaires. Cette conception du mot paix est indissociable de la justice. Alors que la paix romaine repose sur la domination, la paix en démocratie ne saurait s’affirmer tant que règne l’injustice parmi le peuple. Enfin, la paix dans une société démocratique est indissociable de l’honnêteté et de la droiture. Elle établit par voie de conséquence un système pénal équitable et sans fraude qui instaure des relations justes et bienfaisantes entre les personnes et les groupes.

Cette paix ne se contente pas d’être une absence de conflit, elle conduit à une société dans laquelle prévaut la justice et l’harmonie entre les hommes.  Il n’y a pas de vraie paix sans bienveillance ni vérité ni justice. C’est de cette paix dont parle le psalmiste lorsqu’il dit dans le Psaume 85 : « La bienveillance et la vérité se rencontrent, la justice et la paix s’embrassent ». La paix véritable comme le Shalom biblique ne peut s’instaurer par la violence. On n’a jamais vu dans l’histoire que la violence engendre l’harmonie et la justice.

C’est ainsi que nous ne devons pas confondre la paix de Bongo qui s’identifie à la  pax romana, et la vraie paix à laquelle le peuple gabonais aspire. Cette dernière implique la reconnaissance de l’autre et de ses droits légitimes, et la justice pour tous.

Dans notre pays, les dirigeants claironnent la paix sociale, une paix que je désigne par la « paix des cimetières ». La « paix sociale » du despote qui assujettit les Gabonais depuis de longues décennies est plus près de la  pax romana. Elle correspond à cette paix dont parle le prophète Ezéchiel quand il proclame : « Parce qu’ils ont égaré mon peuple en disant : « Paix !  » alors qu’il n’y avait point de paix,  et parce qu’ils enduisaient de crépi le mur que mon peuple bâtissait, dis à ceux qui enduisent de crépi – car il tombera – : Il viendra une pluie torrentielle ; et vous, les grêlons, vous tomberez et le vent des tempêtes éclatera. Une fois que le mur sera tombé, ne vous dira-t-on pas : « Où est le crépi dont vous l’aviez couvert ? » C’est pourquoi, ainsi parle le Seigneur DIEU : Dans ma fureur je ferai éclater le vent des tempêtes ; ma colère enverra une pluie torrentielle et ma fureur des grêlons destructeurs. J’abattrai le mur que vous avez enduit de crépi, et je le précipiterai à terre et ses fondations seront mises à nu. Il tombera et vous disparaîtrez là, au milieu »[3]

Nous luttons quant à nous pour la paix véritable, des âmes et des esprits de notre peuple, la paix qui s’apparente au Shalom biblique.

Martin EDZODZOMO-ELA

Source et copyright: BDP-Gabon Nouveau (https://www.bdpgabon.org)


[1] Le makhzen marocain – appareils sécuritaires, partis «administratifs » – attaché à l’opacité du système.

.[2]Voir: Roland Pourtier, Le Gabon t. 2 , L’Harmattan , 1989, p. 97-98

[3] Ezéchiel, 13-10

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