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Gabon : L'Express interdit de couvrir les élections

Le quotidien d’information français L’Express aurait été interdit par le ministère gabonais de la Communication de couvrir sur le terrain l’élection présidentielle du 30 août prochain, une décision qui serait motivée en toile de fond par la brouille des autorités gabonaises avec les médias français. Dans une lettre relevée adressée au ministre gabonais de la Communication, que nous publions in extenso, le journaliste Vincent Hugeux dénonce une décision «arbitraire» qui remettrait en question la liberté d’expression et la transparence du processus électoral en cours.

© D.R. – Le journaliste Vincent Hugeux dénonce une décision «arbitraire» qui remettrait en question la liberté d’expression.

«A Madame Laure Olga Gondjout,

Ministre de la Communication, de la Poste, des Télécommunications et des Nouvelles Technologies de l’Information,

Paris, le 27 août 2009

Madame le Ministre,

Ainsi, vous avez, dans votre grande sagesse, choisi d’interdire à L’Express de couvrir in situ le scrutin présidentiel gabonais du 30 août et la campagne qui le précède.

«Décision souveraine que nous n’avons pas à motiver», avez-vous asséné avant de raccrocher brutalement, lorsque notre directeur de la rédaction, Christophe Barbier, s’est enquis auprès de vous par téléphone des raisons de cet oukase.

Oukase d’autant plus insolite qu’il bafoue l’engagement pris le 24 juillet à Libreville, et maintes fois réitéré depuis. Vous aviez alors, à la faveur d’une conférence de presse, promis «de permettre l’arrivée ici des journalistes étrangers pour travailler en toute indépendance».

Puisque vous ne daignez pas justifier le veto qui frappe le premier hebdomadaire français d’information générale, j’ai tenté d’en discerner l’origine. Ce fut chose aisée, avec le concours de votre entourage et d’éminents acteurs de l’échiquier librevillois, souvent embarrassés, parfois consternés, par votre acharnement.

Il paraît que vous ne me pardonnez pas un reportage paru dans nos colonnes en novembre 2005, relatant les dessous de la campagne électorale du président disparu Omar Bongo Ondimba. Des erreurs factuelles ? Des anecdotes inexactes ? Des scènes imaginaires ? Non, rien de tout cela. Mais le «ton», jugé outrageusement ironique, aurait déplu en haut-lieu.

A propos d’anecdotes, nul doute que vous goûterez celle qui suit. Quelques semaines après cette publication, un de vos collègues, porte-parole du gouvernement, René Ndemezo Obiang, alors titulaire du portefeuille de l’Information, se présente sans préavis au siège de L’Express. A l’en croire, la présidence lui a confié cette mission vitale : débusquer sur les bords de Seine les stratèges de «la campagne hostile déclenchée contre le Gabon». L’après-midi même, au bar de l’Hôtel Concorde-Lafayette, le ministre m’invitera à assister à la cérémonie d’investiture du sortant réélu, le 19 janvier suivant, suggérant la confection à cette occasion d’une «interview compensatoire».

Sans doute ai-je, en déclinant l’offre, aggravé mon cas. Tout comme j’aurais semble-t-il accru votre courroux au gré de mes interventions dans des médias audiovisuels très suivis en Afrique, dont France 24, RFI ou TV5 Monde.

Si vous étiez astreinte, chère Madame, à lire mes œuvres complètes -mais je doute que vous méritiez un tel châtiment-, vous conviendriez que j’inflige le même traitement à tous les puissants que je dépeins, qu’il s’agisse de Muammar Kadhafi, Laurent Gbagbo, Benyamin Netanyahu, Nicolas Sarkozy ou Mahmoud Ahmadinejad.

A cet égard, je vous invite à méditer ce paradoxe : un journaliste autorisé à couvrir en juin dernier la présidentielle en Iran, en dépit des anathèmes que lui vaut depuis des lustres son traitement de ce pays, se voit exclu du scrutin gabonais… De même, dans la longue période -trois années- où un contentieux judiciaire opposa la présidence ivoirienne à L’Express, assigné en diffamation, je n’ai à aucun moment été interdit de séjour à Abidjan.

Enfin, l’expérience m’enseigne ceci : on finit toujours par revenir dans les pays qui vous refusent, à un moment donné, le droit de fouler leur sol. Les régimes passent ; les journalistes restent. Du moins quand il parviennent à rester journalistes.

En rire ou en pleurer ? En rire, bien sûr. Et plutôt trois fois qu’une. Vous avez suggéré, me dit-on, que L’Express obtiendrait son sésame à la condition que sa direction vous soumette une autre candidature que la mienne. Il vous a juste manqué le courage de dicter clairement ce marchandage.

L’auriez-vous fait que nous aurions décliné le chantage en ces termes : vous avez à l’évidence beaucoup de pouvoir, dont celui -Dieu quelle prouesse patriotique !- de m’empêcher d’accomplir ma mission au Gabon ; mais vous n’avez pas celui de désigner le reporter jugé digne de votre imprimatur.

Ceci n’est un mystère pour personne : native de Paris, fille d’un ex-sénateur de la République française, vous n’avez jamais porté dans votre cœur les médias hexagonaux, accusés des plus sombres desseins dès lors qu’ils osent décrire les maux du Gabon, si éloquemment dénoncés en décembre 2007, dans un discours resté fameux, par le défunt chef de l’État lui-même.

En guise d’épilogue, permettez-moi de vous témoigner ma gratitude. Si, si. Assigné à résidence en France par vos soins, je vous dois deux week-ends en famille inespérés. De plus, et grâce à vous encore, j’aurai le plaisir d’honorer les invitations des télés et des radios désireuses de décrypter le déroulement et l’issue du scrutin du 30 août.

Vous remerciant pour l’attention que vous ne manquerez pas de porter à ce courrier, je vous prie d’agréer, Madame le Ministre, l’expression -libre celle-là- de ma déférente considération».

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