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Le pouvoir gabonais surveille ce patron d’ONG écolo et anticorruption, pionnier d’une société civile africaine.

Portrait De Marc Ona Essangui, Secrétaire Exécutif de Brainforest,
publié par Libération le 16 février 2010 par THOMAS HOFNUNG.
Sur la table de chevet de sa chambre d’hôtel, un livre : l’Afrique humiliée, signé par l’ancienne ministre malienne du Tourisme, Aminata Traoré. Mais chez Marc Ona Essangui, aucune once de revanchisme ou de déploration postcoloniale. Calé dans son fauteuil roulant – il a contracté la poliomyélite enfant -, le patron de la petite mais dynamique ONG Brainforest (une quinzaine de permanents, le double de volontaires) parcourt la planète pour tenter d’empêcher la destruction de la forêt primaire du Gabon. Il était ainsi à Copenhague, début décembre, lors du sommet sur le climat. Entamé il y a dix ans, son combat a été couronné, en mai 2009, par l’attribution du prestigieux prix Goldman, décerné par une fondation américaine en faveur des défenseurs de l’environnement. 900 000 euros de récompense.
Le jackpot n’est pas monté à la tête de ce père de trois enfants (dont des jumeaux), marié à une secrétaire : il vit toujours dans son modeste appartement de Libreville, la capitale du Gabon. Cette reconnaissance internationale le protégera-t-elle, désormais, des foudres du pouvoir ? Pas sûr. Il y a un an, Marc Ona avait été jeté en prison avec plusieurs activistes gabonais. Tous étaient accusés de vouloir déstabiliser le gouvernement alors que le président Omar Bongo se mourait. Sous la pression internationale, suite notamment à un courrier officiel de la speaker de la Chambre des représentants des Etats-Unis, la démocrate Nancy Pelosi, cet homme timide de 47 ans a été relâché, après une dizaine de jours de cachot dans des conditions sanitaires épouvantables.
Un vrai poison que ce Marc Ona pour le pouvoir gabonais. Il fait partie de cette poignée de militants africains qui, en marge d’une sphère politique largement gangrenée par la corruption, ont décidé de faire bouger leur pays de l’intérieur. Avec l’aide active des ONG du Nord. A son tableau de chasse, l’activiste a déjà accroché un projet d’exploitation minière concédé par le gouvernement gabonais aux Chinois au beau milieu d’une réserve naturelle. Devant le scandale, révélé par Brainforest, l’investisseur – une banque chinoise -a préféré renoncer. Marc Ona œuvre aussi au sein de la branche gabonaise de la coalition internationale «Publiez ce que vous payez», qui milite en faveur de la transparence dans le secteur pétrolier. Un véritable défi dans ce pays qui, jadis, fit les beaux jours d’Elf Aquitaine.
Forcément, le clan du Président a cru déceler sa main dans l’affaire dite des «biens mal acquis» qui a tant miné la fin du «doyen», Omar Bongo, décédé en juin 2009, après plus de quarante ans passés au sommet de l’Etat. A la suite d’une plainte déposée par des ONG en France, la police a inventorié le patrimoine immobilier de la famille régnante du Gabon. Plutôt impressionnant : une vingtaine de propriétés à Paris et sur la Côte d’Azur, des comptes bancaires en pagaille et des voitures de luxe à gogo, dont certaines ont été payées par le Trésor public du Gabon. Mais pour une fois, Marc Ona n’y était pour rien, même s’il soutient pleinement la procédure, que la justice française s’apprête à enterrer.
Pour lui, l’intronisation de Bongo reste intimement liée à un drame personnel : celui de sa maladie, et du handicap à vie qui en a résulté. Né dans un village du nord du Gabon, au lendemain de l’indépendance de cette ex-colonie française, Marc est atteint par un mal mystérieux alors qu’il n’a pas 7 ans. Ses muscles ne répondent plus. Son père, un planteur de cacao relativement aisé, passe de guérisseur en guérisseur. «Dans les années 1960, au fin fond de la brousse, personne n’avait jamais entendu parler de la poliomyélite. Mon père était persuadé qu’un oncle jaloux m’avait jeté un mauvais sort», explique-t-il. Il porte à jamais une cicatrice sur le flanc, séquelle d’un bain brûlant qui était censé vaincre le mal.
Passé le temps de l’incompréhension, le jeune garçon et sa famille font face. Ses parents se débrouillent pour l’emmener coûte que coûte à l’école. «Quand, découragé, je refusais parfois d’y aller, mon père me battait, confie-t-il. Il a toujours voulu que je fasse et que je sois comme les autres.» Dans son malheur, Marc a une chance : il est né au sein de l’ethnie majoritaire du pays, les Fang, où l’enfant – qu’il soit handicapé ou pas – est sacré.
L’élève est doué. Il poursuit avec succès son cursus au sein des institutions catholiques du pays. «J’avais un défi à relever, murmure-t-il. Je n’étais pas comme les autres, je n’étais pas le plus charmant aux yeux des filles. Je voulais avoir de bonnes notes pour me faire remarquer.»
Son amour pour la forêt remonte à l’enfance. «Nos billes ou nos jeux vidéo, c’étaient les parties de chasse ou de pêche dans la forêt. Ce milieu ne m’est jamais apparu hostile.» Un cousin, plus jeune que lui, le trimbale sur son dos en permanence. «Il ne voulait pas que je rate ces bonheurs quotidiens, cette fierté de pouvoir ramener le soir du poisson à sa mère.» Ils ne se sont jamais perdus de vue : son ange gardien est aujourd’hui fonctionnaire à Libreville.
Après avoir obtenu son bac, Marc songe à faire son droit. Mais la fac n’est pas équipée de rampe, impossible d’accéder aux salles de cours. Il se rabat alors sur l’étude des nouvelles technologies, qui vont le passionner. Il trouve rapidement du boulot au sein du bureau du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud). Parallèlement, il s’implique dans des associations de défense des droits des handicapés pour lutter contre «la stigmatisation énorme» dont ils souffrent à Libreville. Mais Marc Ona refuse de se laisser enfermer : «Je suis avant tout un citoyen gabonais qui s’intéresse aux problèmes de la cité.»
Lorsqu’un Italien amoureux du Gabon lui révèle l’existence de chutes magnifiques, celles de Kongou et Mingouli, dans le nord-est du pays, menacées par l’exploitation des bois environnants par une société française, il ne réfléchit pas longtemps avant de s’engager dans ce nouveau combat en faveur de la nature. Curieusement, il ne s’est jamais rendu sur le site de ces chutes. Longtemps, elles ne furent accessibles que par pirogue. Trop dangereux pour un handicapé. Depuis, une route a été construite, mais Marc Ona, qui a tenté de s’opposer à sa construction pour ne pas dénaturer le site, refuse de l’emprunter.
«Ce sont les sociétés civiles qui vont balayer Ali Bongo [qui a succédé à son père en août] et consorts, pas les partis», assure-t-il. Comme de nombreux Gabonais, il se dit persuadé que le fiston a été propulsé au pouvoir avec l’aide active de la France, avec laquelle il entretient des rapports dépourvus d’affect. Et de citer Obama : «L’Afrique n’a pas besoin de dirigeants forts, mais d’institutions fortes.»
En 6 dates
17 septembre 1962
Naissance dans le nord du Gabon.
1967
Omar Bongo devient président.
1998
Création de l’ONG Brainforest.
Décembre 2009
Incarcéré durant dix jours à Libreville.
Mai 2009
Lauréat du prix Goldman. 8 juin 2009 Omar Bongo meurt des suites d’un cancer.

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