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Promesses et realpolitik: La Françafrique de Nicolas Sarkozy, changement… et continuité

Par Catherine Gouëset.

Candidat à la présidence de la République, Nicolas Sarkozy promettait de rompre avec les archaïsmes de ses prédécesseurs dans les relations qu’entretient la France avec l’ancien pré carré africain. Sa troisième visite au Gabon depuis son élection montre que la rupture est toute relative. Rappel des étapes de la politique africaine du chef de l’Etat.

AVANT

A l’occasion de discours prononcé lors de voyages à Bamako (Mali) et à Cotonou (Bénin) en mai 2006, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur prêche pour un « nouvel état d’esprit dans les relations entre l’Afrique et la France ». Il faut « chasser les vieux démons du paternalisme, du clientélisme et de l’assistanat » et « tourner la page des réseaux d’un autre temps, des conseillers officieux, des officines, des émissaires de l’ombre ». « Il ne faut pas nous contenter de la seule personnalisation de nos relations. » Il faut également faire de l’aide au développement une prime à la « bonne gouvernance ». Le président de l’UMP oppose au passage sa modernité supposée aux archaïsmes de Chirac.

« Sarkozy n’est pas l’héritier de la « Françafrique », renchérit l’un de ses proches. « Il n’a pas besoin de « valoches » [de financements occultes africains]! »

« La France n’apportera son aide au développement qu’aux régimes qui défendent la démocratie et luttent activement contre la corruption » souligne le Programme de l’UMP en 2007 dans son chapitre « aide au développement ».

DEPUIS L’ELECTION PRESIDENTIELLE

A son arrivée au pouvoir, Le nouveau chef de l’Etat transfome la « cellule africaine » de l’Élysée. Le responsable des questions africaines est rattaché à la cellule diplomatique. Énarque et diplomate Bruno Joubert, prend le titre de conseiller diplomatique adjoint aux côtés de Jean-David Levitte. Tous deux tournent le dos aux réseaux tissés jadis par Jacques Foccart, le Machiavel postcolonial. Mais le « tournant » connaît ses ratés:

Pour marquer la « rupture » Ellen Johnson-Sirleaf, la présidente du Liberia, symbole d’une nouvelle Afrique, est la première femme chef d’Etat du continent reçue à l’Elysée le 24 mai 2007, mais il s’en est fallu de peu qu’elle soit devancée par le gabonais Omar Bongo Ondimba, parangon de la Françafrique mais pas de la « bonne gouvernance », qui se présente à l’Élysée dès le lendemain.

En juillet 2007, deux mois après son élection, la première tournée de Nicolas Sarkozy en Afrique, après une visite au Sénégal -lieu incontestable de toute visite inaugurale- passe par le Gabon d’Omar Bongo, brouillant le message de la rupture.

Deux anciens de la Françafrique, Georges Ouégnin, l’ancien « monsieur Protocole » de la présidence ivoirienne, et Robert Bourgi, l’avocat français d’origine libanaise « légataire » de Jacques Foccart, sont décorés de la légion d’honneur en juillet et en septembre 2007. Le même Robert Bourgi, figurait d’ailleurs parmi les happy few conviés à la cérémonie d’investiture du président de la République.

Le faux-pas du discours de Dakar

Devant un parterre d’universitaires triés sur le volet à l’université Cheikh-Anta-Diop : le président absout les colonisateurs qui « ont pillé des ressources » et « ont eu tort » de le faire, mais étaient « sincères ». « Le drame de l’Afrique, déclare-t-il, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire (…). Jamais il ne s’élance vers l’avenir (…). Dans cet univers où la nature commande tout (…), il n’y a de place ni pour l’aventure humaine ni pour l’idée de progrès (…) L’homme africain, animé par « ce besoin de croire plutôt que de comprendre, de ressentir plutôt que de raisonner, d’être en harmonie plutôt qu’en conquête ».
Dakar, 26 juillet 2007En juillet 2007, après la libération des infirmières bulgares à la suite d’une médiation européenne et française, le président se rend en Libye pour une visite officielle et signe avec le colonel Kadhafi, un accord sur le nucléaire civil, provoquant l’émoi des défenseurs des droits de l’Homme. Quelques mois plus tard, la réception en grande pompe du dirigeant libyen à Paris qui coïncide avec la Journée des droits de l’Homme, le 1er décembre, fera aussi tâche.

Avec le Rwanda, Nicolas Sarkozy décide en finir avec les nuages légués par ses prédécesseurs. En décembre 2007, il profite du sommet Europe-Afrique pour renouer le dialogue avec Paul Kagamé. Un mois plus tard, Bernard Kouchner se rend à Kigali et admet que la France a commis en 1994 « une faute politique ». Il prépare ainsi le rétablissement des relations diplomatiques de la France avec le Rwanda en décembre 2009 et sa visite actuelle.

En février 2008, en visite en Afrique du Sud, il reprend l’antienne de la rupture en annonçant la renégociation des accords militaires qui, depuis les indépendances africaines, servent de support juridique à la présence de bases de l’armée française. La France n’a « pas vocation à maintenir indéfiniment des forces armées en Afrique », ni « à jouer un rôle de gendarme ». La « rédaction » des accords militaires de la France avec l’Afrique est « obsolète » car « la présence militaire française repose sur des accords conclus au lendemain de la décolonisation […] Ce qui a été fait en 1960 n’a plus le même sens aujourd’hui ». « Il n’est plus concevable que nous soyons entraînés dans des conflits internes », précise-t-il. Il promet que « contrairement à la pratique passée, ces nouveaux accords seront intégralement publiés. »

Le limogeage de Jean-Marie Bockel

Dans ses voeux à la presse, le 15 janvier 2008, Jean-Marie Bockel, secrétaire d’Etat chargé de la Coopération, regrette que la rupture annoncée à Cotonou tarde à venir « Je veux signer l’acte de décès de la Françafrique […] Je veux tourner la page de pratiques d’un autre temps, d’un mode de relations ambigu et complaisant, dont certains, ici comme là-bas, tirent avantage, au détriment de l’intérêt général et du développement » déclare-t-il, stigmatisant sans les nommer les potentats qui dilapident leur pactole pétrolier. Deux mois plus tard, le « ministre de l’Afrique » est muté aux Anciens combattants, après un intense lobbying d’Omar Bongo et de Denis Sassou Nguesso (Congo-Brazzaville), autre pilier de la Françafrique.

En mars 2008, les militaires français de l’opération Epervier contribuent –une nouvelle fois- à sauver le pouvoir d’Idriss Déby au Tchad menacé par une offensive rebelle, sans exiger la moindre démocratisation de son régime. Si le chef de l’Etat demande la « vérité sur les opposants disparus » au lendemain du soulèvement et la création d’une commission d’enquête internationale, il ne donne pas suite aux conclusions de celle-ci qui met en cause la garde présidentielle et évoque le rôle d’officiers français (voir aussi Le Canard enchainé du 4 mars 2008) Parallèlement, dans la Centrafriquevoisine, Paris maintient une présence militaire de plus en plus contestée par les oppositions locales.

Le président de la République se rend en Angolaen mai 2008 pour « tourner la page » des différends entre les deux pays, dont l’Angolagate, et conclure des contrats.

En visite au Congo Brazzaville, en mars 2009, Nicolas Sarkozy troque la « rupture » pour le « tournant » : « Il est plus que temps de sortir des malentendus. Mon ambition est de refonder une relation privilégiée » avec l’Afrique. Il rend hommage au président Denis Sassou N’Guesso (contesté pour sa gestion opaque des ressources pétrolières), qui selon lui a permis au Congo de « retrouver la sécurité et la stabilité ». Dans la même tournée, il se rend en République démocratique du Congo où plusieurs contrats sont négociés par des entreprises françaises -qui tarderont à se concrétiser. Il y est fraichement accueilli en raison de déclarations antérieures suggérant « un partage de l’espace et des richesses » entre l’immense Congo et le petit Rwanda voisin. Au cours de ce voyage, Nicolas Sarkozy fait un détour par le Niger, deuxième producteur d’uranium au monde, où Areva vient d’obtenir le droit d’exploiter la mine géante d’Imouraren.

A l’automne 2009, l’équipe qui symbolisait le renouvellement de la politique africaine de la France, est démantelée: Bruno Joubert est nommé ambassadeur de France au Maroc. Son adjoint Romain Serman quitte également la « cellule africaine ».

En février 2010, pour la troisième fois en moins de trois ans, Nicolas Sarkozy se rend auGabon -où Ali Bongo a été élu en août 2009 dans des conditions contestées- avec l’ambition de faire de ce pays la vitrine d’un nouveau partenariat entre la France et l’Afrique. Les deux présidents signent un nouvel accord de défense. « Sans clause secrète » et qui sera publié promet Nicolas Sarkozy. « Cette transparence doit permettre d’en finir avec les clichés, les fantasmes, les procès d’intention ».

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