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Le Gabon et les enfants du Biafra par Bruno Ben MOUBAMBA

D’APRÈS PIERRE PEAN –  » AFFAIRES AFRICAINES »
Dès 1963, l’Elysée avait détaché le lieu­tenant-colonel Bichelot au cabinet présidentiel de Côte-d’Ivoire pour aider le vieux président ivoirien à suivre l’évolution politique au Nigeria. Quand Ojukwu, quatre ans plus tard, se lançât dans l’aventure sécessionniste qui consistait à séparer la province biafraise du reste du Nigéria, la Françafrique était prête pour un des ses échecs les plus retentissants.

Le 27 octobre 1967 — cinq mois après la proclamation de l’indépendance du Biafra par Ojukwu —, l’ambassadeur de France au Gabon, Maurice Delauney, envoya une lettre au lieutenant-colonel Ojukwu pour lui annoncer l’arrivée du colonel Fournier et de ses trois collaborateurs appartenant tous au S.D.E.C.E. Les «réseaux Foccart» instal­lés au Gabon suivaient donc déjà de près la guerre du Biafra.

Comment le Gabon fut pris dans l’engrenage biafrais (Nigéria)

A cette époque, le Président gabonais Léon M’Ba agonisait à Paris à l’hôpital Claude Bernard. Certes, sa succession était déjà assurée, grâce à Delauney et à quelques «conseillers techniques», la Constitution ayant été remaniée, leur homme, Albert-Bernard Bongo, fut «régulièrement» élu vice-président de la République avec vocation à devenir le magistrat suprême à la mort du «Vieux», mais les gens de Foccart savaient d’expérience que les Gabonais étaient moins passifs qu’ils ne le paraissaient. Le coup d’état de février 1964, les élections défavorables d’avril et les violentes manifestations de cette année-là avaient traumatisé tous ces nouveaux pygmalions de l’Afrique. Durant cette période de transition, la prudence s’imposait donc.

Tout va pourtant brutalement se précipiter. Léon M’Ba meurt le 28 novembre. Bongo prête serment à Paris, il est, à 32 ans, le plus jeune chef d’Etat du monde. Le 14 mai 1968, Houphouët-Boigny convoque un Conseil national de 1000 cadres du pays, au Palais prési­dentiel. Ordre du jour : débattre du problème biafrais et définir la position de la Côte-d’Ivoire. A l’issue de la séance, un communiqué annonce que la Côte-d’Ivoire reconnaît le Biafra comme entité souve­raine et indépendante. Les soutiens de Paris et d’Abidjan ne suffirent pas cependant à transformer la guerre du Biafra en une bonne cause.

Même Bongo, dont Houphouët faisait le siège depuis des mois, se faisait beaucoup prier pour soutenir Ojukwu. Le 25 avril 1968, le jeune président gabonais déclarât : «II faut être prudent, il faut attendre. Il est encore trop tôt pour en parler». Mais Houphouët-Boigny et Foccart revinrent à la charge pour convaincre leur protégé. Et obtiennent finalement, au début de mai, son adhésion : «Nous ne pouvons pas continuer à assister passivement au génocide qui a lieu actuellement au Nige­ria… C’est une utopie que le Nigeria, avec ses 50 millions d’habitants, puisse subsister sous sa forme actuelle.

Il faudra que le gouvernement fédéral accorde la souverai­neté aux 14 provinces qu’il entend créer…» Bongo, dans cette affaire, n’a évidemment pas eu le choix. Il devait tout au «système Foccart» et continuait à avoir un besoin impé­rieux de son soutien. Les adversaires de Bongo racontent qu’un émissaire français serait ainsi venu régu­lièrement à Libreville, pendant la guerre du Biafra, ap­porter des liasses issues directement du palais présidentiel ivoirien.

Le 13 juillet 1968, d’après le mercenaire Rolf Steiger, «le premier avion français chargé de munitions… venant du Gabon» atterrit à Uli, au Biafra. Toutes les nuits, un véritable ballet aérien s’ordonne à partir de l’aéroport de Libreville. Selon le leader biafrais Ojukwu lui-même, il y avait «plus d’avions atterrissant au Biafra que sur n’importe quel aérodrome d’Afrique, à l’exception de celui de Johan­nesburg».

Libreville vivait alors au rythme des exploits des pilotes et des mercenaires de tout poil qui racontaient leurs faits d’armes dans les boîtes de nuit de la capitale, à la «Paillotte» et au «Frigidaire»…

L’hypocrisie humanitaire au Biafra

Tous les moyens étaient bons dans cette affaire. La Croix-Rouge et les Chevaliers de Malte, Médecins Sans Frontières (du Dr Kouchner) qui canalisaient et ache­minaient officiellement vivres et médicaments au Biafra, ne regardaient pas de trop près les très lourdes caisses qui, manifestement, n’étaient pas remplies de lait en poudre. Pour simplifier les choses, le colonel Merle, conseiller militaire de l’ambassade de France au Gabon, était aussi responsable de la Croix-Rouge..

Le départ du Général de Gaulle, après l’échec du réfé­rendum du 27 avril 1969, sèma une véritable panique parmi tous les protagonistes de cette affaire. Tandis qu’à Paris, par précautions, Foccart déménageait en hâte les armoires du 2 de la rue de l’Elysée, ses collaborateurs accélérèrent les livraisons d’armes à destination de Libreville. Ils ne savaient pas, en effet, si le successeur du Général serait aussi favorable à «leur» politique africaine.

Le nouveau Président français, Georges Pompidou, ne voulut plus soutenir la sécession biafraise dont les lea­ders en étaient alors réduits à exercer un véritable chantage à la famine en essayant d’apitoyer la communauté inter­nationale en faveur de leur cause. Le Washington Post du 11 juillet 1969 écrit : «Le Biafra prive son propre peuple de ce qui est nécessaire à sa subsistance, dans l’espoir évidemment que le spectacle de ses souffrances va inciter les étrangers à imposer des restrictions politiques au Nige­ria… La famine ne saurait devenir une arme de guerre acceptable du simple fait qu’elle est utilisée par un leader­ship aux abois contre sa propre population réduite à l’im­puissance. »

Les gosses biafrais comme monnaie d’échange !

Peu à peu, le Gabon s’efforçait d’oublier son engagement aux côtés du Biafra. Des milliers de petits orphelins que les avions avaient ramenés de nuit des aéroports de fortune du Biafra témoignaient de l’action gabonaise. Toute la presse de l’époque soulignait alors les qualités de cœur de ce jeune Président qui n’hésitait pas à partager le modeste gâteau gabonais avec ces innocentes victimes… La vérité n’est pas tout à fait aussi belle.

Peu avant la fuite d’Ojukwu, Bongo tenta en effet de négocier avec le Nigeria le retour de ces enfants : «Je ne les rendrai au Nigeria qu’après remboursement au Gabon des sommes énormes dépensées pour eux». Or, le gouvernement de Libreville n’avait pas dépensé un seul franc C.F.A. dans l’opération. L’argent venait des organisations humanitaires européennes.

Dans un article intitulé «3 000 gosses de prix», le Canard Enchaîné du 27 mai 1970 décrivit ainsi l’attitude de Bongo : «Aujourd’hui, Bongo ne cherche plus à récupérer la monnaie, mais à obtenir du gouvernement de Lagos qu’il passe l’éponge sur le passé. Le président gabonais s’est trop mouillé dans l’affaire biafraise pour que la défaite n’ait pas compromis gravement son prestige, chez lui et dans les capitales d’alentour.

Comment forcer le Nigeria à faire preuve de mansué­tude ? En se servant des trois mille gosses : ils seront rapa­triés à condition qu’un envoyé officiel de Lagos vienne les réclamer officiellement. D’où une réconciliation sans frais pour Bongo. Mais les Nigérians ne marchèrent pas dans cette combine gabonaise. Ils voulaient que l’opération retour soit organisée par une organisation inter­nationale, genre U.N.I.C.E.F. Bongo protesta que c »était impossible, vu «qu’aucune organisation internationale n’est intervenue lors de la venue au Gabon de ces enfants». En fait, c’est l’ordre de Malte qui avait monté l’évacua­tion des petits Biafrais et ses dirigeants étaient écœurés des micmacs de Bongo. Toute la question est de savoir si tous les enfants sont bel et bien rentrés au Biafra. l’histoire le dira un jour !

Bruno Ben MOUBAMBA – UNION NATIONALE

bruno@moubamba.com

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