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Le statu quo de Sarkozy sur la Françafrique

Après des années Chirac teintées de conservatisme, quelle est la position de Nicolas Sarkozy par rapport à l’Afrique? Dans son nouvel ouvrage, Vincent Hugeux détaille les nouveaux rapports de force qui animent le continent noir.

Vincent Hugeux, grand reporter à L’Express, ne blâme ni ne loue l’Afrique: il la raconte et, surtout, la connaît. L’Afrique rend fou ou sage. Ou les deux. Dans un dialogue entre Cassandre et Candide, arbitré toujours par le journaliste et souvent conclu par l’humaniste, Vincent Hugeux détaille les grandes métamorphoses qui traversent le continent noir. C’est là une terre de malheurs, non de malédictions: rien n’y est définitif, rien n’y est fatal. La France, elle, « creuse avec un entêtement troublant la tombe où reposera bientôt le « lien privilégié » entre l’ex-métropole et l’ancien empire ». Les fautifs? Quelques incurables de la Françafrique.

Le règne élyséen de Jacques Chirac fut, vis-à-vis de l’Afrique, celui de l’archaïsme placide, du conservatisme tranquille; l’ère Sarkozy aura été, au moins durant les trois premières années du quinquennat, celle des occasions manquées et des vaines promesses. Si le discours puise largement dans le lexique du changement – « rupture », « rénover », « refonder », « moderniser » – la pratique perpétue pour l’essentiel les travers de la Françafrique. […] Nicolas Sarkozy a en quelque sorte délégué la conduite de la rupture à des partisans du statu quo. Or, nul ne peut espérer moderniser une relation avec le concours de revenants de l’ère Foccart. Et personne n’oserait prétendre la dépassionner en prenant appui sur des émissaires enclins depuis des lustres à privilégier la magie frelatée des liens personnels. […]

Bourgi, l’inoxydable

Le chef de l’État français a-t-il vraiment besoin de l’entregent légendaire de l’avocat Robert Bourgi pour renouer le dialogue avec Laurent Gbagbo? Évidemment non. Un téléphone en état de marche ferait fort bien l’affaire. […] Tout l’art d’un Bourgi consiste à convaincre « Nicolas » que son carnet d’adresses lui est indispensable. Toute l’erreur d’un Sarkozy est de concourir à entretenir l’illusion. « Ce genre de types, grince un vétéran de l’arène subsaharienne, vous pique votre montre pour vous donner l’heure. » Gageons que l’image parlera à l’homme de l’Elysée, grand amateur de tocantes de luxe devant l’Eternel. Parfois, ce jeu de bonneteau prend un tour plus intime. « Bob » Bourgi se prévaut ainsi d’avoir obtenu, par l’entremise de « Papa Bongo », le bref impromptu avec Nelson Mandela auquel la première dame, Carla Bruni-Sarkozy, tenait tant. Au fond, il est tentant de reléguer ces manoeuvres d’antichambres au rang de dérisoires jeux d’influence. A ceci près que l’activisme de Me Robert sape le patient travail de dépoussiérage accompli deux années durant sous l’impulsion de Bruno Joubert par la « cellule africaine » de l’Elysée et parasite, voire contredit, le catéchisme officiel.

Des émissaires enclins depuis des lustres à privilégier la magie frelatée des liens personnels

Un exemple parmi cent. En août 2009, à l’approche d’une présidentielle gabonaise précipitée par la mort du « Doyen », la France claironne urbi et orbi qu’elle « n’a pas de candidat ». Bourgi, lui, décerne à Ali Bongo, fils et dauphin du défunt, le titre de « meilleur défenseur des intérêts » hexagonaux, tout en revendiquant celui d' »ami très écouté » du président. Lors de la troisième visite de Sarkozy à Libreville, le 24 février 2010, l’ami Bob figure sur la liste des « invités personnels » du président. Et c’est lui qui l’aurait convaincu de s’incliner dès son arrivée sur la tombe du défunt Omar, au mausolée de… Franceville. Là, sur le tarmac de l’aéroport, la fanfare de l’association Manganèse accueille la cohorte élyséenne aux accents tonitruants de son dernier tube. Le titre: Opération France-Afrique au beau fixe, amitié légendaire! […] Quand, fraîchement installé à l’Elysée, Nicolas Sarkozy lui épingle au revers du veston les insignes de chevalier de la Légion d’honneur, il le gratifie d’un éloge fleuri, assorti d’une formule qui vaut tous les mandats: « Je sais pouvoir compter sur ta participation à la politique extérieure de la France, avec efficacité et discrétion. » Pour l’efficacité, les paris sont ouverts. Mais s’agissant de la discrétion, c’est raté. […] Ce qui lui vaudra un ferme rappel de l’Elysée et, en septembre 2009, cette mise au point du secrétaire général et néanmoins ami Claude Guéant, dans Le Journal du dimanche: « Robert Bourgi connaît bien l’Afrique et ses dirigeants. A ce titre, il est utile dans la compréhension que nous avons du continent. Mais cela ne fait de lui ni notre agent ni notre porte-parole. […] Il ne peut se poser en représentant de la France ou de son président. »

Une réprimande pour la galerie: au jour le jour, Guéant continuera de solliciter ses conseils et son concours. Autre indice de la mansuétude du Château : « Bob » sortira vainqueur aux points de la guérilla d’usure qui l’oppose à Bruno Joubert, archétype du grand serviteur de l’État assez conscient des servitudes de sa tâche pour encaisser les coups sans broncher, se taire mais n’en penser pas moins. Et qui troquera son vaste bureau sur jardin du 2, rue de l’Elysée contre la résidence de l’ambassadeur de France au Maroc. Son successeur? André Parant, un rescapé de l’époque Chirac, diplomate averti venu de Dakar via Beyrouth, héritier d’une lignée d’Africains émérites: son grand-père fut gouverneur du Gabon au temps de la coloniale; et son père conseiller spécial dépêché auprès de l’Ivoirien Félix Houphouët-Boigny par Jacques Foccart.

Guéant, l’incontournable

[…] Qui cornaque Alain Joyandet, le successeur de Bockel, lorsqu’il vient se faire adouber à Libreville par Bongo? Guéant. Qui orchestre, épaulé en cela par l’ami Bob, la normalisation au pas de charge avec le putschiste mauritanien Mohamed Ould Abdelaziz? Guéant. Qui arbitre les conflits d’ego et de territoires entre Kouchner et Joyandet, y compris lorsqu’il s’agit de savoir lequel d’entre eux aura l’insigne honneur de dîner dans les salons de l’hôtel Meurice au côté du même Abdelaziz? Guéant. Qui, enfin, va verrouiller à Kigali le cessez-le-feu diplomatique entre la France et le Rwanda, que Nicolas Sarkozy ira sceller in situ trois mois plus tard? Devinez…

Balkany, l’imprévisible

[…] Que connaît du continent noir le député maire UMP de Levallois-Perret? Des palais, des palaces, des salons d’aéroport, une poignée d’affairistes. Et, bien sûr, ce qu’il apprit jadis entre Cameroun et Gabon, au temps où ce hussard sans états d’âme jouait les estafettes de la Légion étrangère de Charles Pasqua, alors grand sorcier corse des Hauts-de-Seine et du RPR. Dès 1992, il l’accompagne à São Tomé et Principe, dont Charly rêve de faire une zone franche doublée d’un paradis fiscal. […]

Depuis 2007, l’ex-Pasqua boy sillonne l’Afrique avec pour tout viatique son statut, volontiers brandi, d’intime de « Nicolas ». Ce qui, sous les lambris et les stucs, vaut bien davantage que le maroquin de ministre ou la dignité d’ambassadeur. […] Le « vieux pote » est de tous les périples subsahariens d’un président que sa gouaille amuse. On a vu cet épicurien hâbleur plastronner, havane aux lèvres, de Dakar à Brazzaville ; et on l’y a entendu claironner des à-peu-près teintés d’un paternalisme anachronique. […] Quitte à s’acoquiner avec de sulfureux intermédiaires, tel le Rwandais Fabien Singaye, conseiller du Centrafricain François Bozizé et, à l’occasion, porte-coton du Tchadien Idriss Déby, il met son entregent au service des entreprises phares de l’Hexagone. Ce fut le cas pour Areva, n° 1 mondial du nucléaire civil, en RCA comme dans l’ex-Zaïre.

Depuis, Balkany collectionne les couacs. En Mauritanie, l' »ambassadeur itinérant » – titre revendiqué – a soutenu ostensiblement le général putschiste Abdelaziz. Mais c’est en Guinée que notre Tartarin donna toute la mesure de son talent, adoubant sans nuance le chef de la junte, Moussa Dadis Camara, une semaine avant le carnage (157 civils tués) perpétré par ses nervis. A ses yeux, le clown tragique de Conakry est « un citoyen comme les autres », dont la candidature à la magistrature suprême « ne pose aucun problème ». L’Afrique « balkanysée » a mauvaise mine… « On peut être l’ami du chef de l’État et dire des conneries », grince une éminence du Quai d’Orsay. La bourde vaudra d’ailleurs à « Patrick » une avoinée du Château.

Par Christophe Barbier, Vincent Hugeux.

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