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Pétrole : « les programmes d’exploration offshore vont incontestablement se ralentir »

Jean-François Hénin, le PDG de Maurel et Prom, revient longuement dans le grand entretien qu’il a accordé à La Tribune sur les conséquences pour l’industrie pétrolière de l’interminable marée noire que BP ne parvient toujours pas à maîtriser.

L’explosion de la plate-forme de BP dans le Golfe du Mexique aura-t-elle des conséquences sur l’industrie pétrolière ?

Deux conséquences majeures sont à prévoir. Tout d’abord, toutes les sociétés petites et moyennes vont être obligées d’abandonner l’exploration et la production off-shore profond. Aucune d’entre-elles ne sera en effet capable d’affronter les conséquences financières d’éventuels dommages écologiques. Ceci aura d’ailleurs pour effet collatéral un affaiblissement de la capacité de négociation des pays producteurs face à des acteurs plus concentrés et donc plus puissants.

Ensuite, les programmes d’exploration offshore vont incontestablement se ralentir. Et les relations entre les compagnies pétrolières et les sociétés de services vont se tendre sur la question du partage des responsabilités. Tout ceci aura un impact en termes de production dans les années 2015/2020, ce qui devrait remettre au goût du jour la théorie du « peak oil » de plafond de la production. J’ajoute que cette marée noire à laquelle personne ne s’attendait contribue au scepticisme général qui s’abat sur les marchés financiers. A l’instar de la crise de la dette souveraine, il existe bien des risques auxquels personne ne s’attend.

Faut-il s’attendre à un renforcement de la réglementation de l’off-shore ?

Bien sûr, mais attendons les conclusions des enquêtes pour connaître précisément les causes de la défaillance des systèmes de sécurité. Ce qui est d’ores et déjà certain est que les grandes compagnies vont se redéployer sur l’onshore, après avoir privilégié l’offshore ces dernières années. Il est vrai que les fonds marins restent encore un territoire vierge, et que les coûts d’exploration y sont paradoxalement moins coûteux qu’en offshore parce que le taux de succès – un sur deux – des forages est bien supérieur à celui constaté sur terre, environ un sur sept, sur des gisements généralement plus petits avec une sismique incomparablement plus efficace et moins coûteuse.

Pensez-vous que le groupe BP puisse survivre à un tel sinistre ?

Tout dépend, là aussi, de l’analyse qui sera faîte de l’accident. S’il s’avère que des négligences ou des décisions hasardeuses sont à l’origine de l’explosion, des poursuites pénales pourraient alors s’engager et mettre en péril la compagnie. En revanche, je ne crois guère au risque d’une OPA à court terme sur le groupe : l’incertitude quant au montant total des dommages que le groupe devra régler constitue en effet une redoutable « poison pill » !

Comment une compagnie pétrolière de la taille de Maurel & Prom a-t-elle traversé la crise ?

Notre modèle de croissance a été clairement remis en cause. A l’instar de l’industrie pharmaceutique, des compagnies comme Maurel & Prom, financent la recherche sur fonds propres et le développement sur des crédits bancaires. Il n’était donc pas anormal d’avoir un ratio de un fonds propre pour deux de dette. Ce schéma est aujourd’hui révolu. Pour une raison simple : la quasi-totalité des acteurs bancaires du secteur pétrolier ont disparu ! Et aujourd’hui, les banques françaises se retrouvent presque seules à financer le secteur, aux côtés d’une ou deux banques internationales.

Ainsi, à l’été 2008, notre ligne de crédit de 800 millions de dollars s’est brutalement trouvée réduite à néant au moment où nos investissions 700 millions au Gabon. Depuis, nous n’avons réuni que 250 millions de dollars pour refinancer un investissement déjà en exploitation. Nous sommes donc obligés de consacrer des fonds propres à des opérations de développement et ces fonds propres ne sont plus disponibles pour l’exploration. Ce qui nous arrive frappe également tous nos concurrents.

Comment vous êtes vous adapté à ce nouvel environnement ?

Nous nous recentrons sur les activités à profil de risque moins élevé. Nous avons eu la chance de saisir une très belle opportunité au Nigéria. Comme dans d’autres pays, le gouvernement a en effet décidé de promouvoir une nouvelle classe d’entrepreneurs nationaux dans le secteur pétrolier et a fait pression sur les grandes compagnies pétrolières afin qu’elles cèdent certains actifs à des nationaux à des prix raisonnables.

Nous avons participé à une opération de ce type en acceptant – c’est une première pour une compagnie étrangère – une participation minoritaire (45%) aux côtés d’associés nigérians. Cette opération nous permet d’envisager une forte croissance du chiffre d’affaires. Pour l’heure les réserves de ces blocs sont estimées à 450 millions de barils dont 178 sont déjà développés, le solde restant à mettre en exploitation. Notre quote-part est actuellement de 20% sur ce total.

Combien avez-vous investi dans ce projet ?

Nous allons investir 180 millions de dollars en cash et nous nous portons forts du même montant pour le compte de nos associés, ce qui peut nous conduire à doubler temporairement le besoin de trésorerie. Une nouvelle loi pétrolière prévoit d’augmenter la fiscalité des grands gisements, en particulier off shore et de diminuer, de 65 % à 35 %, les taxes sur la production des compagnies indigènes. Ce qui augmenterait de facto la valeur de nos actifs.

Avez-vous le sentiment que l’Afrique se réveille ?

Le continent bégaye encore un peu pour prendre son envol. Mais c’est vrai que les Etats essayent de plus en plus de s’approprier leurs richesses pour les réinvestir dans le pays. Nous en voyons les premiers effets avec le boom de l’immobilier. Ce qui manque le plus ce sont de vrais entrepreneurs industriels, comme le sont nos partenaires nigérians.

Quelle différence voyez-vous entre une société comme Maurel & Prom et une « major » pétrolière ?

La force des grandes compagnies repose sur leurs ressources humaines et financières, et leur capacité à gérer des projets complexes de grande taille. Elles ont l’habitude de mutualiser leurs risques avec des consoeurs qui ont la même approche un peu comme le font les grandes banques. Une Société comme Maurel et Prom agit toujours dans les zones frontières délaissées par les majors sur des objets de taille plus modeste. Le « destin » de Maurel & Prom est sans doute de devenir à terme la division internationale d’une compagnie nationale.

Quelles sont vos prévisions sur l’évolution des prix du pétrole ?

La catastrophe de BP nous conduit à penser que les cours devraient rester à un niveau élevé à moyen terme. Certes, une nouvelle révolution se prépare avec l’avènement de nouvelles sources d’énergie, comme le gaz non conventionnel mais aussi les ressources du bois. Tout le monde y pense et investit mais il faudra encore du temps. Reste l’incertitude concernant la croissance et la question est de savoir si nous devons ou non nous attendre à une seconde récession. La situation financière des pays industrialisés (hors Etats-Unis) me semble aujourd’hui dans une impasse : il faut de la croissance pour réduire la dette et non seulement de la rigueur. La solution de l’inflation est inimaginable dans un contexte de marchés devenus globalisés.

Le monde commence donc à redouter, en partie à cause de l’Europe, une nouvelle récession. Il y a une confusion entre le terme de rigueur accepté par tous et qui signifie la réduction des gaspillages et de certaines dépenses de fonctionnement avec un retour trop précipité à un équilibre budgétaire qui ne préserverait pas les investissements structurels nécessaires à la relance.

Quelles seraient, selon vous, les solutions de sortie de crise ?

Honnêtement, je ne vois pas aujourd’hui éclore le moindre schéma de sortie de crise en Europe. La seule solution pour qu’elle retrouve un taux de croissance suffisant -unique moyen pour réduire sa dette en pourcentage de sa richesse- serait une profonde dépréciation de l’euro jusqu’à un niveau de parité de 0,6 pour un dollar selon les calculs de l’institut Turgot. Jamais la BCE ne pourra accepter une telle politique. L’Europe est en train de mourir à petit feu de sa monnaie unique.

Quel avenir voyez vous pour l’euro ?

Le pari des banquiers centraux a été de se servir de l’euro comme d’un moyen de pression sur des politiques jugés par nature dispendieux. Et dans le monde vertueux de leurs rêves, les efforts consentis par les salariés amèneraient à une réévaluation compétitive. Il ne faut pas se leurrer : faute d’une Europe économique, sociale et fiscale – autrement dit une Europe fédérale – la seule variable d’ajustement est le chômage. C’est intenable. Et je ne vois pas comment l’euro pourra survivre à cette crise qui ne fait que commencer.

Quelle est votre analyse du dernier G20 ?

Le monde vient prendre conscience que l’Europe a des pieds d’argile et lui souhaite « bonne chance ».

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