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« Les Gabonais ne sont que locataires de leur pays »

En 1967, c'est à l'ambassade du Gabon à Paris qu'Albert-Bernard Bongo (à gauche) prête serment à l'heure de remplacer Léon M'Ba (à droite). AFP

Par Vincent Hugeux.

Cinquante ans après l’indépendance du Gabon, l’historien Wilson-André Ndombet revient pour L’Express sur les traces et la mémoire de la colonisation dans son pays.

Docteur en histoire et en science politique (Paris-I-Sorbonne), Wilson-André Ndombet enseigne à l’université Omar-Bongo de Libreville. Actuellement stagiaire au Centre d’études des mondes africains (Cemaf), il a consacré au Gabon une trilogie publiée chez Karthala : Transmission de l’Etat colonial (1946-1966), Partis politiques et unité nationale (1957-1989), Renouveau démocratique et pouvoir (1990-1993). Cet « esprit libre » – ainsi se définit-il – a également dirigé chez L’Harmattan un ouvrage intitulé Savoirs et développement au Gabon, paru en mai dernier.

Quelle est la portée du Cinquantenaire au sein de la société gabonaise?

En dehors de la classe politique, des intellectuels dans une moindre mesure, et d’une presse inféodée pour l’essentiel au pouvoir, il s’agit d’un non-événement. Et ce en dépit de quelques initiatives, tel l’ouvrage collectif sur le demi-siècle écoulé entrepris sous l’égide de l’Institut de recherche en sciences humaines (IRSH) de Libreville. Du côté des médias, on peut mentionner un projet initié par le gouvernement, consistant à envoyer dans l’intérieur du pays une équipe de journalistes, historiens et sociologues, chargés de recueillir des témoignages. Les récits collectés par cette caravane, qui devait parcourir ainsi le Gabon jusqu’au 22 juin, seront mis à la disposition du grand public par la RTG, la Radio Télévision gabonaise.

Y a-t-il, s’agissant du scénario de 1960, une spécificité gabonaise?

le Gabon n’est pas véritablement indépendant. Pour preuve, l’utilisation par la France des ressources du sous-sol.
Globalement, les indépendances ont été octroyées par la France, sans même que les Etats naissants ne donnent leur avis. La particularité gabonaise réside dans les accords de coopération, notamment militaires, signés le 17 août 1960. Ceux-ci permettent à Paris d’intervenir à la demande des autorités, en cas de menace extérieure ou intérieure. On peut se demander, à la lumière de divers événements survenus depuis lors, si le pays est parvenu à sortir de cette logique et à échapper à son statut de post-colonie. Voyez comment, en février 1964, l’armée française rétablit le président Léon M’Ba, brièvement renversé par un coup d’Etat militaire. Idem lorsque la ville de Port-Gentil entre en ébullition, au lendemain de l’assassinat, sur fond de conférence nationale, de l’opposant Joseph Redjambe. A ce moment, le pouvoir d’Omar Bongo vacille, ce qui oblige la Légion étrangère à rétablir l’ordre, permettant au chef de l’Etat de reprendre la main. Sans l’irruption des forces françaises, le régime aurait pu, comme en 1964, être emporté. Plus près de nous, lors du scrutin présidentiel d’août 2009, consécutif au décès de Bongo père, on verra de nouveau les militaires français sillonner le pays. Comment s’étonner que les Gabonais se sentent non pas propriétaires, mais locataires de leur pays? A juste titre: le Gabon n’est pas véritablement indépendant. Pour preuve, l’utilisation par la France des ressources du sous-sol, à commencer par le pétrole et l’uranium.

Appelé en 1967 à suppléer un Léon M’Ba mourant, le futur Omar Bongo Ondimba, alors prénommé Albert-Bernard, prête serment dans l’enceinte de l’ambassade du Gabon à Paris. Faut-il y voir le symbole d’une allégeance?

A cet instant, comme lors du choix de M’Ba lui-même, une chose est claire: les réseaux de Jacques Foccart ont fait en sorte que l’élu de Paris ne se heurte à aucune opposition. La continuité est ainsi assurée. Impossible dans de telles circonstances d’invoquer une légitimité adossée au suffrage universel. Les décisions se prennent ailleurs. S’il change au fil des ans, le contexte n’est pas exempt de réminiscences. Nul ne sait par exemple qui a véritablement gagné le scrutin présidentiel de 2009. Après une décennie de désaffection politique, le corps électoral s’était pour une fois mobilisé afin de favoriser l’alternance. Même si les hommes censés l’incarner, du moins ceux qui s’agitent le plus, viennent pour la plupart des rangs du Parti démocratique gabonais (PDG), héritier du parti unique. En la matière, les expériences des élections de 1993, 1998 et 2005 tendent à montrer que le critère de la volonté populaire n’a jamais été admis par les militants d’un PDG assez puissant pour garder le contrôle du pouvoir. Cela posé, l’opposition vient de remporter deux des quatre sièges de députés à pourvoir lors des législatives partielles du 6 juin. Qui sait? Peut-être faut-il voir là un début de transparence [allusion aux victoires de Jean Eyeghé Ndong et André Mba Obame, deux anciens barons du régime, NDLR].

Quel impact sur l’échiquier politique aura eu la longévité d’Omar Bongo Ondimba, disparu en juin 2009?

Elle a eu notamment pour effet d’anesthésier les ambitions au sein de l’ex-parti unique. Le « bongoïsme » repose sur le partage du gâteau, le saucissonnage du pouvoir. En fait, rien n’a vraiment bougé. Bien sûr, l’actuel président affiche quelques ambitions novatrices. Mais les hommes qui animent le parti ou pèsent sur la vie politique sont toujours ceux qui, déjà, jouaient un rôle majeur sous Bongo père. Ce qui explique l’indifférence de nombre de Gabonais: si c’est toujours le même topo, à quoi bon s’y intéresser?

Patente sous Omar, la primauté des cadres venus de la province du Haut-Oogoué, le fief de la famille, perdure-t-elle avec Ali?

Celui-ci essaie de redistribuer les rôles dans certaines provinces, y compris dans le bastion du Haut-Oogoué, où, contre toute attente, plusieurs barons ont été évincés. D’autres jouent désormais un rôle analogue à celui d’un président de conseil d’administration doté de prérogatives très réduites.

Ali Bongo peut-il, sans renier l’héritage paternel, rompre vraiment avec les pratiques en vigueur durant des décennies et réconcilier le Gabon avec la modernité?

S’il réussit à se débarrasser des caciques de l’ancien régime, à imposer une vraie rupture quant à la gestion du parti gouvernemental, peut-être peut-il encore couper le cordon ombilical. Mais une fois encore, des acteurs très influents au temps du parti unique figurent toujours parmi ses conseillers les plus écoutés. Ils peuvent gangrener son action et perpétuer l’immobilisme. Chez eux, il y a une volonté feutrée de préserver les acquis et les intérêts. Or, ce dont a besoin le pays, c’est de changement.

Une opposition digne de ce nom a-t-elle émergé dans l’année écoulée?

Aujourd’hui, le Gabon souffre de la comparaison avec ses voisins immédiats.
Ses cadres ont géré le pays pendant des décennies, sans jamais peser sur la gestion du défunt Omar Bongo. Ils se sont contentés de pratiquer la politique du ventre, jusqu’au moment où ils ont senti le vent tourner et décidé d’endosser le costume de nouveaux opposants. Trop tard à mon sens. Ils auraient dû, quand il en était encore temps, convaincre le défunt président d’accélérer le moteur du développement. Aujourd’hui, le Gabon souffre de la comparaison avec ses voisins immédiats. Au regard du passif en matière de gestion des deniers publics, il est à craindre que Libreville ait un jour à emprunter de l’argent à un pays tel que la Guinée équatoriale.

Ali Bongo a d’emblée promis d’en finir avec la corruption. Le peut-il?

Il faudrait pour cela revenir aux pratiques en vigueur sous Léon M’Ba, instaurer la transparence, qu’il s’agisse de l’origine ou de la gestion de nos ressources naturelles, gage d’une meilleure lisibilité budgétaire. Car pour l’heure, tout reste opaque. La prédation aux dépens des deniers publics n’est pas sanctionnée. Il seraitvain de prétendre sévir sans avoir aupréalable dressé un inventaire completdes détournements.

Les partisans d’un assainissement de la gouvernance peuvent-ils miser sur la société civile?

Pour exister, pour être fiable, crédible, celle-ci doit s’organiser, s’assigner des objectifs précis et disposer des moyens de sa politique. A ce stade, c’est peut-être le cas dans le secteur social, avec les syndicats, mais pas dans la sphère économique. D’autant que cette dernière reste dominée par les entrepreneurs étrangers, au détriment des acteurs gabonais.

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