spot_imgspot_img

Gabon : Le vœu de Jean-Yves Ntoutoume

Jean-Yves Ntoutoume, journaliste et directeur de la publication du bimensuel gabonais « Le Temps », a été relaxé le 31 octobre après une incarcération de 5 jours pour délit de presse. Dans cette interview, le journaliste évoque son séjour pénitencier et la nécessité de dépénaliser le délit de presse.
L’affaire est-elle définitivement réglée ?

«Oui elle l’est. En fait c’était une contrainte par corps, c’est-à-dire que je devais forcément payer les 9 millions restant sur les 10, car on avait déjà avancé un million. Nous avons payé le 29 octobre et l’ordre de mise en liberté a été signé le même jour. Mais les lourdeurs administratives ont fait que je ne sorte que deux jours plus tard, car le directeur de la prison centrale de Libreville et le greffe ne travaillaient pas ce jour-là. L’affaire est définitivement clause.

Comment était votre séjour en prison ?

Il faut d’abord dire qu’il n’y a pas de petit ou grand prisonnier. Il est vrai que les cellules ne sont pas toutes semblables mais vous êtes tous prisonniers. Vous êtes enfermés, vous avez tous la même ration, un pain et un poisson frit par jour. Maintenant, c’est à vous de vous organiser ou de faire appel aux parents à l’extérieur, parce que avec cette ration il est difficile pour un adulte de bien vivre. Cela a été une grande expérience et une grande découverte pour le journaliste que je suis, de savoir dans quelles conditions vivent les détenus à la prison centrale de Libreville.

Le fait de n’avoir pas été placé dans les quartiers populaires de la prison a facilité votre séjour ?

Disons que je n’ai pas demandé à être là-bas. Lorsque que j’ai été enregistré on m’a tout de suite dit « Spécial C », c’était mon quartier. Là-bas, il n’y a pas plus de 7 détenus, vous n’êtes pas serrés. Je pense que c’est un quartier qui est réservé aux gens qui ne sont pas des bandits de grand chemin.

Après cette expérience pensez-vous qu’il faut dépénaliser le délit de presse ?

Oui et le débat est même d’actualité. Récemment à Montreux, lors du dernier sommet de la Francophonie, il y a eu un plaidoyer de l’Union international de la presse francophone sur la dépénalisation du délit de presse dans les pays qui ne l’ont pas encore adopté comme le Gabon. Je me souviens qu’en 2003, lors des assises de la presse francophone, l’ancien chef de l’Etat gabonais, Omar Bongo, avait reçu plus de 200 journalistes et avait solennellement pris l’engagement de dépénaliser le délit de presse. Le sommet de la Francophonie qui suivait à Ouagadougou, on croyait qu’une déclaration forte allait être faite par les autorités du pays sur cet engagement. Mais jusqu’à aujourd’hui, c’est le statu quo.

En quoi consisterait la dépénalisation du délit de presse ?

C’est-à-dire qu’un journaliste ne devrait pas être mis en prison s’il est coupable d’un délit presse. Il faut remarquer qu’au Gabon les journaux sont confrontés à deux sortes de tribunaux, il y a le Conseil national de la communication (CNC) avec ses sanctions administratives qui vont de la mise en demeure aux suspensions allant de un à six mois d’interdiction de paraitre. A cela s’ajoute justement la peine de prison pour le journaliste. C’est vraiment très lourd.

Sur l’affaire qui vous a envoyé en prison, il semblerait que vous ayez fait une confusion de termes…

Ce qui nous emmène en prison c’est l’article que nous avons fait à la suite du braquage qui a eu lieu en plein centre ville en août 2004, et au cours duquel l’un des gardes du corps du comptable du Parti démocratique gabonais (PDG) a été tué. Nous avons ouvert un faisceau de soupçons sur le comptable, qui avait été entendu par la Police judiciaire(PJ). Et le journaliste s’était un peu mêlé les pinceaux en écrivant que le comptable avait été mis aux arrêts au lieu d’être entendu par la PJ. C’est ce détail qui a fait en sorte que nous soyons traduits en justice et condamnés à payer 10 millions de francs CFA. Or, le fond du problème n’a pas été démenti : à la suite de ce braquage l’argent s’est volatilisé, le comptable a été viré par son employeur, le PDG. Et jusque là il n’a jamais été rétabli dans ses fonctions si tant est qu’il était innocent dans cette affaire.

Sur ce coup la profession n’est pas du tout irréprochable

C’est vrai que l’œuvre humaine est perfectible. Et nous avons l’obligation de travailler davantage pour prévenir ce type d’écart. D’ailleurs, s’il y a une profession où les gens se remettent en question tous les jours, c’est bien la notre car chaque édition est différente et a ses contraintes spécifiques qu’il faut gérer à bon escient. Il ne s’agit surtout pas d’excuser les fautes, nous travaillons chaque jour davantage pour éliminer nos faiblesses et consolider l’expertise d’une profession en pleine mutation et traversée par des contingences d’un modèle économique obsolète. C’est un défi permanent pour espérer assurer avec clairvoyance notre rôle dans la société. Ceux qui aiment et veulent faire ce métier doivent toujours chercher à se perfectionner, soit par le biais d’une formation classique, soit à travers des séminaires organisés chaque année, où les plus expérimentés apportent leurs expertises aux plus jeunes.

Justement, quel est le rôle des organisations de presse par rapport à ce défi permanent ?

Fédérer l’ensemble des professionnels des médias dans une grande organisation chargée d’organiser notre secteur d’activité et être l’interlocuteur de la profession face aux différents pouvoirs et groupes de pressions serait vraiment l’idéal. Pour l’instant nous accusons un déficit en matière de culture associative, les journalistes gabonais ne s’intéressent pas vraiment au regroupement. L’Observatoire gabonais des médias est là depuis, il y a un bureau, mais personne ne s’intéresse à cette organisation, qui pourtant pourrait nous permettre de bâtir une instance de régulation interne et mieux organiser la profession. Toutefois, je ne désespère pas car nous n’avons pas d’autre choix que de nous unir. D’ailleurs, aucun journaliste qu’il soit du secteur public ou privé, qu’il soit dans un organe riche ou pauvre, ne saurait échapper à ce que je viens de vivre. L’avenir de la profession est dans l’union.»

Exprimez-vous!

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

spot_imgspot_img

Articles apparentés

spot_imgspot_img

Suivez-nous!

1,877FansJ'aime
133SuiveursSuivre
558AbonnésS'abonner

RÉCENTS ARTICLES