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Gabon : Jean EYEGHE NDONG : Lettre à mes collègues parlementaires

Jean EYEGHE NDONG
Ancien Premier Ministre Libreville, le 1er décembre 2010
Député à l’Assemblée Nationale
(1er siège du 2e arrondissement de Libreville)

Lettre à mes collègues parlementaires

Honorables Députés et Vénérables Sénateurs,

En vous adressant ces quelques réflexions, je suis habité de la même considération que vous accordez à ce qui nous est commun et cher : le Gabon notre pays et son soubassement : la constitution.

Dans mon esprit, la question qui se pose ici, s’agissant de la révision de la constitution est son opportunité ; pourquoi ne pas le dire, sa légitimité.

Il est des moments dans l’histoire des hommes comme dans celle des nations où la conscience et la responsabilité des hommes politiques sont gravement interpellées, bien au-delà de leur condition de citoyen ordinaire. Ces responsables doivent alors se surpasser pour davantage emprunter une posture républicaine et patriotique mue par l’intérêt supérieur de la Nation qui dépasse les simples clivages partisans.

C’est de ce point de vue que je voudrais vous inviter à la réflexion, à la suite du communiqué final du Conseil des Ministres du 19 octobre 2010 qui a indiqué que « le président de la République, Chef de l’Etat, a décidé d’initier une révision de la constitution de la République » pour la corriger et l’adapter.

Une révision constitutionnelle n’est jamais un acte banal ni innocent, car il s’agit de la loi fondamentale qui organise le fonctionnement des principales institutions de l’Etat. C’est d’ailleurs pourquoi la plus haute autorité de l’Etat doit veiller à son respect comme l’exprime l’article 8 alinéa 1 de la constitution gabonaise du 26 mars 1991. De même, la juridiction qui en assure l’interprétation et le respect est qualifiée par cette même constitution en son article 83 de « plus haute juridiction de l’Etat ». Au demeurant, l’encadrement des modalités de sa révision en révèle le caractère quasi sacré.

Si l’initiative récente de réviser la constitution est conforme aux dispositions de l’article 116 de notre loi fondamentale, il convient cependant de relever que cette condition nécessaire n’est certainement pas suffisante au regard de l’opportunité politique – et c’est ici que je voudrais inviter chacun et tous à mesurer en toute conscience la situation.

Oui ! Avec la disparition d’Omar Bongo Ondimba le 08 juin 2009, c’est la fin d’une période de quarante deux ans de pouvoir d’un homme à la tête du pays, marquée par vingt deux années de monopartisme, puis par le tournant de 1990 qui permit la restauration du multipartisme, étape nécessaire pour la liberté démocratique.

L’un des grands acquis de la conférence nationale tenue du 23 mars au 19 avril 1990 aura été le dessin, par l’ensemble des acteurs de la conférence, de l’architecture de la Constitution qui sera adoptée le 26 mars 1991. Ainsi donc, la charte fondamentale de la République a été, malgré quelques imperfections, l’expression d’un consensus. C’est ce consensus qu’il convient de retenir plutôt que de se prévaloir des exemples dont, au fond, on connait les limites.

Faut-il rappeler que le préambule de notre Constitution mentionne bien c’est « le peuple gabonais [qui] … adopte la constitution. Evidemment, cette adoption peut être acquise par le peuple souverain lui-même qui le ferait alors par référendum avec vote à la majorité simple, mais elle peut également être le résultat d’un vote à la majorité qualifiée des deux tiers des membres du Parlement réunis en Congrès.

En tout état de cause, au-delà de la lettre, l’esprit de la loi fondamentale renseigne sur l’importance du sceau de la légitimité politique dont une constitution doit être frappée, tout comme les causes et les formes de sa révision. Il ne suffit donc pas d’être à la tête de l’Etat pour que la révision soit légitime.

L’examen du contexte n’est pas le moindre élément d’appréciation de la nécessité ou non de procéder à une révision constitutionnelle. De ce point de vue, quelle est la situation ?

Pour ce qui est de la légitimité, pris tels qu’ils ont été donnés officiellement, indépendamment de la juste contestation de l’opposition, les résultats de l’élection présidentielle du 30 août 2009 sont un repère d’une importance éclairante.

Avec : 807 402 électeurs inscrits, 357 621 votants, 17 443 bulletins nuls, 340 178 suffrages valablement exprimés, le candidat du Parti Démocratique Gabonais aurait obtenu 141 952 voix, soit 41,73%, chiffres, faut-il encore le rappeler, contestés avec force par toute l’opposition gabonaise.

Même dans l’hypothèse de ce score, quelle légitimité ? Quelle adhésion ? Car en réalité, en matière politique, au-delà de la légalité, c’est l’appui du peuple par l’onction du suffrage universel qui justifie et solidifie l’action.

Or, ces résultats révèlent tout simplement que plus de 58% des électeurs ne se sont pas prononcés pour le candidat du PDG. Oui ! le scrutin à un tour permet d’être légalement élu avec moins de 50% des voix, mais hélas dans ce cas il laisse entier le problème de légitimité, dont la dimension politique est cruciale pour une jeune nation en construction comme la nôtre.

Certains voudraient alors arguer de ce que la majorité parlementaire soutient l’action de l’exécutif PDG. Comment ne pas rappeler ici qu’il s’agit là de la majorité que le peuple a donné à Omar Bongo Ondimba en 2006 pour l’aider à mettre en œuvre le projet de société « mon projet des actes pour le Gabon » sur la base duquel il avait été élu en décembre 2005.

Certes, c’est le même parti qui a présenté et soutenu la candidature d’Ali Bongo Ondimba. Mais au regard du résultat, quelle est donc l’étendue de la légitimité du PDG aujourd’hui ? Je crois que des indices suffisants peuvent étayer le recul du PDG.

En effet, voilà un parti politique qui, en 2006, a conquis l’Assemblée Nationale en remportant 81 des 120 sièges, l’opposition n’ayant pu en obtenir que 16. Ensuite avec sa large victoire en 2008 aux élections locales, en janvier 2009, le PDG a obtenu 75 des 102 sièges à pourvoir au Sénat. En dépit de l’abstention qui a caractérisé ces consultations, dans les deux cas, le Parti Démocratique Gabonais pouvait se targuer d’avoir une certaine légitimité. Avec tous ces éléments, un regard sur la carte électorale rendait rapidement compte du maillage de l’ensemble du territoire national.

Qu’a-t-on observé lors de l’élection présidentielle du 30 août 2009, malgré ce qui aurait dû être des atouts indéniables ? Le candidat présenté et soutenu par le Parti Démocratique Gabonais avec l’avantage des médias publics et des moyens financiers colossaux sans commune mesure avec ceux des autres candidats, n’a pas pu réunir 50% des votes sur son nom. Comment ne pas déceler dans ce cas de figure le recul manifeste du PDG et son corolaire – une perte significative de légitimité.

Cette analyse se confirme par la mauvaise tenue du PDG aux élections législatives partielles de juin 2010, (n’en déplaise aux griots de service du « parti de masses ») : il y avait en compétition cinq (5) sièges tous détenus par le PDG. A l’issue de l’élection, il en a perdu deux (2) et conservé trois (3) avec le concours bienveillant de la Cour Constitutionnelle. Cet épisode ne marque-t-il pas un recul du parti au pouvoir ? D’autres diraient un refus de plus en plus marqué du pouvoir PDG par l’opinion.

Je pose encore la question : Quelle légitimité ?

Non ! Non et non, il n’est pas sage dans ces conditions de réviser la constitution. Indépendamment de nos différences politiques, la constitution de la République doit faire l’objet d’un consensus qui rentre dans le référentiel de tous les Gabonais.

Cependant, si l’exécutif décide de réviser la constitution par voie référendaire, alors je dirai oui, cela est raisonnable puisque le peuple souverain lui-même se prononcera à la suite des immanquables débats qui précèderont le scrutin. Dans ces conditions, il n’y aurait plus d’équivoque sur la légitimité. A propos de référendum, un homme politique français du 19e siècle, Emile Ollivier a si justement écrit que « les législateurs populaires ont établi en maxime qu’on viole le droit du peuple chaque fois qu’on lui fait faire par représentation ce qu’il peut faire lui-même ».

L’exécutif pourrait envisager de réviser la constitution après les législatives de 2011 ? C’est-à-dire, après que le peuple se soit prononcé pour une majorité à l’Assemblée Nationale, avec l’espoir d’une confiance sans ambigüité, une légitimité bien établie, dont pourraient se prévaloir les promoteurs d’une initiative de révision constitutionnelle. Attendre un peu plus de douze (12) mois, est-ce trop ? Y aurait-il péril en la demeure ? Non ! Assurément non. A moins que le pouvoir soit en proie à une anxiété, à une inquiétude qui l’étreint et le presse dans ses derniers retranchements.

En effet, en jetant un regard, même rapide, sur le projet de révision constitutionnelle annoncé par le gouvernement, les corrections et adaptations proposées sont un véritable changement de régime. Un changement de régime qui vise à renforcer les pouvoirs du président de la République.

C’est l’économie générale de l’article 28 de la constitution qui est remise en cause en la changeant de manière profonde. La manœuvre est insidieuse et sournoise, voilà un changement de régime qui ne veut pas dire son nom.

Tout indique que le projet du pouvoir exécutif est de renforcer la position du président de la République au détriment du gouvernement, le sortant alors davantage de son rôle d’arbitre. Veut-on un régime à l’américaine ou à l’ivoirienne ? Il faut franchement le dire et ouvrir le débat.

En réalité, avant l’annonce de cette révision, la présidence de la République avait déjà amorcé le rétrécissement du champ de compétence du gouvernement au profit du président de la République en créant le 20 février 2010 l’Agence Nationale des Grands Travaux – l’Union Nationale a eu le courage politique de le dénoncer à cette époque. L’inspiration semble venir de la Côte d’Ivoire où le Bureau National d’Etudes Techniques et de Développement (BNETD) relève du président de la République.

Alors que j’étais Premier Ministre, j’avais, en son temps, pour ma part, et pour des raisons institutionnelles évidentes, combattu une initiative similaire qui, du reste, n’a pas prospéré. La Délégation Générale des Grands Travaux dont le titulaire devait avoir rang et prérogatives de Premier Ministre et relever du président de la République. Ne riez pas, c’est vrai…

Si en Côte d’Ivoire le BNETD, administration de gestion, peut être placé sous l’autorité du président de la République, cela est rendu possible par les dispositions de l’article 41 de leur constitution qui indiquent que « le président de la République est détenteur exclusif du pouvoir exécutif », en outre l’article 46 dispose que « le président de la République est le Chef de l’Administration ». En toute logique, le gouvernement dans ce pays n’est pas responsable devant l’Assemblée Nationale.

Rien de tel au Gabon où, pour conduire la politique de la nation, le gouvernement dispose de l’Administration et des forces de défense et de sécurité (article 28 alinéa 2). C’est en raison de cela qu’il est le pan de l’exécutif responsable devant l’Assemblée Nationale.

D’ores et déjà, avec la création de l’Agence Nationale des Grands Travaux, le plus gros du budget d’investissement sera affecté à une structure (la présidence de la République) dont le chef qui est politiquement irresponsable, selon la terminologie constitutionnelle, échappe au contrôle parlementaire. Comment le gouvernement devrait-il répondre d’actes qu’il n’a pas posés ? Faut-il qu’il rende compte de l’utilisation des crédits dont il n’a pas disposé ?

A cette incohérence, il faut ajouter qu’en parfaite violation des dispositions de l’article 14 de la constitution, le chef de l’exécutif s’est permis d’exercer une autre fonction publique en présidant le Conseil d’Administration de l’Agence. Pour ajouter à ce viol de la constitution, dont il est chargé de veiller au respect, l’intéressé a publiquement mis en balance la loi fondamentale de la République avec sa volonté de suivre lui-même les dossiers. C’est simplement incroyable. Ne pas relever cela, ce n’est pas rendre service à notre pays.

Chacun de nous devrait s’approprier la maxime de Lamartine selon laquelle : « la légalité est la propriété de tous, car elle est le droit de tous. Elle est le sol moral de la patrie ».

Je ne commenterai pas plus avant l’extraordinaire recul démocratique annoncé par le communiqué final du Conseil des Ministres en touchant aux conditions des élections, qui ne reflètent en rien les préoccupations maintes fois réitérées de la classe politique et dont les très volumineux contentieux « post-élections » attestent de la justesse.

Oublier de limiter le nombre de mandats présidentiels, de réintroduire le scrutin à deux (2) tours, proposer allègrement de renouveler les chambres du Parlement intégralement un (1) mois au moins et six (6) mois au plus avant l’expiration de la législature en cours, c’est là la preuve indubitable que l’on prend de haut les électeurs gabonais.

Enfin, en matière de défense, l’on se demande que signifie « à ce titre, les questions de défense et de sécurité relèvent de son domaine de compétence exclusive ». Quid du gouvernement qui dans notre constitution dispose aussi des forces de défense et de sécurité (article 28). Les dispositions de notre constitution sont similaires à celles de la constitution française et en l’état le président français s’en accommode bien avec une armée aux effectifs très importants et qui est présente sur de nombreux théâtres d’opérations.

En tout état de cause, le gouvernement gabonais ne motive pas davantage sa position en se référant, sur ce point, à la constitution du Sénégal qui, en réalité relève d’un autre contexte et d’une histoire différente – du reste, sans nier les qualités d’un pays qui a su montrer sa vitalité démocratique, à propos de cette réminiscence – s’agit-il vraiment d’une bonne référence ?

Ce qui est excessif est insignifiant, mais ici il faut s’en inquiéter, car l’observateur averti ne peut négliger cette propension à la mise en place d’un pouvoir qui entend reposer d’abord et de manière subreptice sur la force.

Le contexte, l’environnement et les hommes sont les ingrédients qui façonnent l’histoire des peuples, c’est pourquoi nous devons toujours les avoir à l’esprit comme la torche indispensable pour éclairer notre chemin dans la nuit. Alors travaillons avec comme objectif fondamental et premier le développement de notre pays.

En croyant bien faire pour soi-même, en réalité on ne sait jamais pour qui l’on fait le travail. Il y a plusieurs siècles déjà un mémorialiste fameux observait que « les gens faibles ne plient jamais quand ils le doivent ». Prenons garde d’être des gens faibles quand il s’agit de l’avenir de notre pays.

Nous avons le temps, nous avons les femmes et les hommes intellectuellement outillés pour éviter à notre pays le spectre du naufrage et l’impasse politique.

Ces femmes et ces hommes, c’est nous les parlementaires que nous sommes au-delà de nos chapelles. La conscience et le courage doivent être des compagnons au quotidien des politiques. La discipline du parti n’a pas de place lorsqu’il est question de l’Etat qui se veut … démocratique.

Au moment où ce projet de révision constitutionnelle sera soumis à votre examen, la véritable question que chacun d’entre nous devrait se poser en toute conscience est : est-ce vraiment ce type de régime politique que nous devons léguer à nos enfants et petits enfants ? Car, il apparait à l’évidence que ce projet est une demande de monsieur Ali Bongo Ondimba et de ses inspirateurs non seulement pour la préservation, mais surtout et davantage encore pour le renforcement de son pouvoir personnel.

L’appel que je formulais déjà le 16 juin 2009 au cours de l’oraison funèbre que je prononçais à la Présidence de la République lors des obsèques du président Omar Bongo Ondimba parait tout à fait d’actualité. Inutile d’en dire davantage !

La démocratie, chers compatriotes, exige aussi de la sagesse et de l’humilité, valeurs essentielles qui devraient accompagner toute ambition.

Modestement.

Jean EYEGHE NDONG

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