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Ali Bongo Ondimba/André Mba Obame : les frères ennemis du Gabon

C’est Omar Bongo Ondimba qui les a fait se rencontrer. Mais à sa mort, en juin 2009, les appétits se sont aiguisés. Aujourd’hui, rien ne va plus entre le président Ali Bongo Ondimba et l’ancien ami André Mba Obame, devenu opposant.

L’un est installé à la présidence du Gabon. L’autre rêve de l’en déloger. Vingt-cinq ans d’amitié ont viré, le temps d’une transition mal négociée, en un duel implacable. Face à face : Ali Bongo Ondimba (ABO), 52 ans, proclamé vainqueur de l’élection présidentielle en août 2009, et André Mba Obame (AMO), 54 ans, arrivé troisième. À Libreville, la classe politique compte les coups.

Germain Ngoyo Moussavou, sénateur de la Nyanga et chef du groupe parlementaire du Parti démocratique gabonais (PDG, au pouvoir), est un familier des deux hommes. De Mba Obame, qu’il connaît depuis les années 1980, il dit aujourd’hui que « le courage n’est pas sa qualité première ». Il a levé les yeux au ciel lorsqu’il a appris, le 25 janvier, un an et demi après l’élection, que l’ancien ministre de l’Intérieur revendiquait la présidence de la République. « Et à peine a-t-il orchestré sa prestation de serment qu’il a filé se cacher dans les bureaux du Pnud [le Programme des Nations unies pour le développement, NDLR] », soupire-t-il. Ngoyo Moussavou a renoncé à réconcilier ses deux anciens amis et a choisi son camp. Pour lui, c’est « Ali ».

Déclarée pendant les obsèques d’Omar Bongo Ondimba (OBO), décédé le 8 juin 2009, la guerre qui oppose les « frères ennemis » n’a plus connu de répit. Mêlant la politique et l’intime, elle empoisonne la classe politique et divise les Gabonais. « Mon ami d’enfance, qui est ministre au gouvernement, ne m’adresse plus la parole », raconte Franck Ndjimbi, encarté à l’Union nationale de Mba Obame. Le duel a déjà fait des victimes. Les premiers à tomber furent ceux qui avaient frayé avec AMO. Parmi eux, des fonctionnaires, à l’instar de Jean-Gaspard Ntoutoume Ayi, un énarque désormais au chômage qui travaillait comme conseiller auprès du ministre délégué aux Finances. C’est comme ça. Quand on choisit son camp, on s’expose aux balles de l’autre. Tour à tour alliés, complices puis concurrents, « Ali » et « André » ne se sont plus reparlé depuis juillet 2009. Les attaques se font par médias interposés. « Je préfère être un amateur de la politique qu’un professionnel du ridicule », dit le chef de l’État de son rival.

La rencontre

L’histoire avait pourtant bien commencé. En 1984, le président Bongo met les deux jeunes gens en relation. À 27 ans, Mba Obame vient de rentrer au Gabon avec un doctorat de sciences politiques en poche et, déjà, un passé d’agitateur. Il est membre du Mouvement de redressement national (Morena), parti d’opposition qu’il anime aux côtés de l’ancien adversaire historique du régime, Paul Mba Abessole, qui vit alors en exil à Paris. Bongo apprécie ce jeune homme ambitieux et déterminé au point de le recommander à son fils.

Au cabinet du chef de l’État, au secrétariat général de la présidence, puis d’un ministère à l’autre, Ali et André apprennent le métier. À eux les missions sensibles, telles que la négociation, en 1989, du retour puis du ralliement de Mba Abessole. Puis viennent les années 1990 et le temps des combats contre les caciques du PDG, opposés à la rénovation de l’ancien parti unique. Zacharie Myboto, aujourd’hui passé à l’opposition, en fera les frais. Le Vieux, qui connaît leur passion pour les belles voitures, couvre ses protégés de cadeaux. Mercedes, Lexus, Bentley et Porsche Cayenne garnissent le parc automobile d’Ali. Pour ses 40 ans, le président offre à André une Jaguar de collection. Les jeunes gens apprécient également les petits plats que leur mitonne Patience Kama Dabany, ex-madame Bongo et mère d’Ali. Tous deux se connaissent des ennemis, et avec toutes ces histoires de barons empoisonnés que l’on se raconte à la cour de Bongo père, on n’est jamais trop prudent.

Lorsque Ali épouse Sylvia Valentin, en 2000, André est tout naturellement le témoin que choisit le marié. Les deux prendront des parts dans le capital de l’agence immobilière montée par la jeune femme et mettront la chaîne de télévision TV+ et Radio Nostalgie, créées par AMO, au service de leurs ambitions. À cette époque, les amis sont communs. Parmi eux, un jeune agent immobilier parisien, Maixent Accrombessi. Sa sœur, Isnelle, est la meilleure amie de l’épouse béninoise de Mba Obame, dont il est aujourd’hui divorcé. Au départ proche d’AMO, « Maixent » devient un intime d’ABO, dont il est le collaborateur au ministère de la Défense, avant d’être promu tout-puissant directeur de cabinet du président au sein de la nouvelle administration.

Autre point commun, et pas des moindres : les deux hommes fréquentent la même loge maçonnique, la Grande Loge du Gabon, même si l’ancien séminariste Mba Obame se rend à la messe avec la régularité d’un jeune communiant, tandis que « Baby Zeus » cultive sa foi islamique.

La rupture

Pendant les dernières années du long règne du « Boss », l’un est à la Défense et l’autre à l’Intérieur. Ils sont dans l’antichambre du pouvoir. Mais OBO vieillit. Il a vu et revu le film Gladiator de Ridley Scott, s’est repu de l’inimitié entre le fils et le protégé de l’empereur Marc-Aurèle. Il sent monter la rivalité entre son fils biologique et le fils adoptif et, selon ses visiteurs, s’en inquiète. Le « Patriarche » se sent-il dépassé par des appétits qu’il a intentionnellement aiguisés ?

Les premières fissures apparaissent mi-juin 2009. Depuis quelques mois déjà, ABO et AMO ne se sont plus entretenus en tête-à-tête. Dans les jours qui précèdent le retour du corps d’OBO, décédé en Espagne, un remaniement ministériel est opéré et AMO perd le portefeuille de l’Intérieur. André en est sûr, ce limogeage, c’est à Ali, « son frère », qu’il le doit. Sentant venir l’orage, Robert Bourgi, l’éminence grise de Nicolas Sarkozy pour le Gabon, propose sa médiation. Il essaie de reconstituer le « ticket » AMO-ABO, propose la direction de la campagne du candidat Ali Bongo Ondimba à Mba Obame et lui fait miroiter le poste de Premier ministre. Bourgi, entretemps tombé en disgrâce au Palais du bord de mer, a-t-il surestimé son influence ? AMO voulait-il plus ? Difficile à dire. Mais pendant et après les obsèques, les deux s’ignorent. Las d’attendre un signe de son « frère », AMO s’envole vers Paris, où il rencontre notamment le patron de la cellule Afrique de l’Élysée, Michel Joubert, et Brice Hortefeux, alors ministre de l’Immigration. Sa décision est prise, il se lance dans la course.

Mba Obame est convaincu que Bongo père n’a jamais souhaité une succession « dynastique » à la tête du Gabon. L’Ivoirien Laurent Gbagbo, habitué de Libreville quand il était opposant et fin connaisseur de la politique intérieure gabonaise, soutient le contraire. « Bongo m’avait clairement dit qu’il souhaitait que son fils lui succède », nous a-t-il confié juste avant le second tour de la présidentielle ivoirienne.

AMO est donc candidat, mais quelles sont ses chances de l’emporter ? Lui que l’on disait impopulaire pour avoir été longtemps « ministre de la police »… Comment pouvait-il seulement y penser, lui qui fut l’âme damnée du président, celui qui embastillait les trublions de la société civile, retenait les passeports des hommes politiques en disgrâce, multipliait les voyages discrets en Falcon 50 entre Libreville et Paris pour négocier le retrait des plaintes dans l’affaire dite des biens mal acquis visant la famille présidentielle ? Comment osait-il, lui qui fut accusé par ses ennemis d’avoir tenté de « vendre » l’île de Mbanié à la Guinée équatoriale ?

Dans cette guerre fratricide, Ali laisse les caciques du PDG en première ligne. Mais Mba Obame a beau susciter imprécations et anathèmes, l’homme n’est pas du genre à reculer devant l’obstacle. Imperturbable, il entame une campagne électorale qui révèle l’animal politique au cuir épais et le tribun populiste. Déboulant de son Hummer ou de son avion loué en Afrique du Sud et peint aux couleurs d’« AMO président », il danse, harangue les foules, demande à genoux l’absolution pour les « fautes » commises quand il était aux affaires. La magie opère. Pourtant, le 30 août 2009, il ne réunit officiellement que 25,33 % des suffrages. Résultat qu’il conteste aussitôt.

La médiation

Ali Bongo Ondimba, lui, a surpris. Relooké et bien préparé par une équipe de journalistes français, il s’est révélé télégénique. Sur les podiums de la campagne marathon, on l’a vu donner la réplique à des rappeurs. Devenu chef de l’État, il essaie de prendre de la hauteur. Officiellement, c’est avec mépris qu’il traite le président de la « République du Pnud ». En privé, pourtant, il a clairement dit son mécontentement. Y compris au chef de la délégation du Pnud à Libreville, à qui il a demandé des comptes.

AMO, lui, a quitté les locaux de l’organisation onusienne avec son gouvernement mais a annoncé qu’il ne renonçait pas à faire valoir ses droits. En attendant, les médiateurs ne se bousculent pas. La France, dont les relations avec le Gabon sont tendues depuis l’affaire des biens mal acquis et la diffusion de Françafrique, 50 années sous le sceau du secret (un documentaire de Patrick Benquet), ne tient pas à s’impliquer dans l’affaire. Le Congolais Sassou Nguesso, qui n’entretient que de distantes relations avec ABO, non plus. Quant au président équato-guinéen, Teodoro Obiang Nguema (que certains, à Libreville, disent très proche de Mba Obame), c’est ABO qui ne veut pas en entendre parler. Même le Gabonais Jean Ping, le président de la Commission de l’Union africaine, est gêné aux entournures. Reste le Camerounais Paul Biya, qui peut revendiquer une influence sur l’un comme sur l’autre. Mais difficile d’imaginer qu’ABO et AMO puissent un jour se réconcilier. Encore que. On a vu au Gabon retournement plus inattendu.

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