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Affaire Bourgi: la colère noire des Africains

Les accusations de Robert Bourgi sur le financement des campagnes électorales françaises par les chefs d’Etat du continent provoquent la colère de l’opinion publique africaine.

«Faux» et «archi-faux»! Les autorités sénégalaises ont été les premières à régir aux accusations fracassantes de Robert Bourgi dans l’affaire «des valises de billets». Comme cinq autres chefs d’Etat africains, le président sénégalais Abdoulaye Wade et son fils Karim ont été mis en cause dans le financement occulte de la campagne de l’ancien président français Jacques Chirac en 2002. Karim Wade qui, selon Bourgi, a remis 500 millions F.CFA (762 millions d’euros) à Villepin, a porté plainte le 13 septembre 2011 contre l’avocat à Paris.

Deux jours avant, dans Le Journal du dimanche, l’avocat franco-libanais a dénoncé vingt-cinq ans de pratiques occultes, et précisé que par son intermédiaire, les présidents Abdoulaye Wade, Blaise Compaoré (Burkina Faso), Omar Bongo, Denis Sassou Nguesso (Congo),Teodoro Obiang Nguema (Guinée équatoriale) ainsi que l’ex-président ivoirien Laurent Gbagbo et feu Omar Bongo (Gabon) auraient financé à plusieurs reprises les campagnes d’hommes politiques français.

Le parquet de Paris a annoncé l’ouverture d’une enquête préliminaire pour entendre Robert Bourgi, qui a notamment mis en cause l’ancien président Jacques Chirac, l’ancien Premier ministre Dominique de Villepin et l’ex-président du Front national, Jean-Marie Le Pen, lors de l’élection présidentielle de 2002.
Avalanche de démentis

Alors que le Burkina Faso qualifie de «grotesque» l’implication du président Blaise Compaoré, le Congo-Brazzaville s’appuie sur les règles de décaissement de fonds en vigueur dans le pays.

«Il est très difficile d’arriver à sortir de telles sommes sans que le Trésor public soit au courant», explique Bienvenue Okiémy, le porte-parole du gouvernement congolais.

Quant au président gabonais, Ali Bongo, qui n’était pas encore au pouvoir en 2002, il ne se sent tout simplement «pas concerné», a-t-il déclaré à l’AFP. En Guinée équatoriale, le conseiller spécial du président Obiang Nguema, Miguel Oyono a dénoncé, sur les antennes de RFI, «une campagne de diffamation contre les chefs d’Etat africains».

Seule la Côte d’Ivoire n’a pas participé à cette avalanche de démentis. Mamadou Koulibaly, ex-numéro 2 du régime de Laurent Gbagbo, a même explicitement confirmé les accusations qui pèsent sur l’ancien président ivoirien:

«Robert Bourgi a parfaitement raison il y a eu un transfert d’argent entre Laurent Gbagbo et Jacques Chirac, en 2002», a déclaré M. Koulibaly, faisant état «d’environ deux milliards de FCFA (environ trois millions d’euros) transportés d’Abidjan vers Paris par valise».

Une affaire franco-française?

A cette exception près, les chefs d’Etat africains déclarent à l’unisson qu’il s’agit «d’une affaire franco-française», qui donne «une image peu respectable de la France». C’est d’ailleurs le point de vue de certains journaux du continent, qui s’intéressent surtout aux implications de l’affaire côté français. Un regard souvent critique sur les pratiques hexagonales.

«Quelle mouche a piqué Bourgi?», se demande le Fasozine. Pour le journal en ligne burkinabè, en jetant «un pavé dans la mare», l’avocat révèle surtout «à quel point le jeu électoral est dévoyé dans ce pays —la France— qui prétend trop souvent donner des leçons au reste du monde».

Le porte-parole du gouvernement sénégalais ne passe pas quatre chemins pour s’interroger: «Qui est derrière Bourgi? Qui paye Bourgi?» , partageant ainsi les préoccupations de nombreux observateurs. Beaucoup pensent que les déclarations de l’avocat sont fortement liées à l’approche de l’élection présidentielle de 2012 en France.

«Bourgi ne dit rien sur Nicolas Sarkozy», s’étonne Le journal du Mali, alors que l’avocat affirme avoir agi de son propre chef, sans que personne ne lui ait «dicté cette interview». Abidjan.net va beaucoup plus loin, estimant que l’affaire éclabousse directement Nicolas Sarkozy. Citant un avocat de Laurent Gbagbo, le journal écrit:

«La Françafrique en Côte d’Ivoire, ce n’est pas du côté de Gbagbo qu’il faut la voir mais bien du côté de Ouattara que Sarkozy a installé au pouvoir.»

«Que la justice tranche!»

«Ce jeu de mallettes et de valises pleines (…) est aussi vieux que nos indépendances à deux sous, écrit le journal Demain le nouveau Congo Brazzaville. Ce qui nous intéresse, c’est de voir comment Denis Sassou Nguesso va intervenir: s’il garde le silence, il renforce l’accusation de Robert Bourgi.»

La négation catégorique des faits est trop facile, confirme Le Pays. Le quotidien de Ouagadougou, estime «qu’il y a certainement une part de vérité dans ce qu’il a dit», et demande que «la justice tranche», comme l’indique sa une du mardi 13 septembre. Le journal souhaite que les présidents africains incriminés portent plainte contre Bourgi, «ce qui permettra non seulement de laver leur honneur, si tant est qu’ils sont irréprochables, mais aussi de rassurer leurs opinions».

La société civile ne souhaite pas non plus en rester là. «C’est une particularité des régimes à gestion néo-patrimoniale où les gens pensent que l’argent public c’est leur bien», a commenté Mouhamed Mbodj, coordinaeur du Forum civil, une ONG sénégalaise qui travaille sur des questions de gouvernance. Il recommande tout de même la prudence face aux déclarations de Bourgi et aux risques de manipulation, c’est pourquoi, ajoute-t-il, «les juges devraient se saisir de l’affaire».

Le site Guineeconakry.info se demande pour sa part «si la pratique s’est arrêtée, comme le clame Robert Bourgi, (…) qui essaie de faire passer Nicolas Sarkozy pour l’homme de la rupture, celui de la fracture avec ces pratiques « d’un autre âge » ». Et le journal d’apporter sa réponse:

«Rien ne l’indique, si on en juge par le contenu de « La République des mallettes », le nouveau livre de Pierre Péan.»

Omar Bongo, l’un des principaux mis en cause par Bourgi, et décédé en 2009 après 41 ans à la tête du Gabon, n’est plus là pour se défendre. Interrogée par l’AFP, la porte-parole de la présidence, Clémence Mezui Me Mboulou, a appelé à respecter «les traditions gabonaises qui veulent qu’on laisse en paix les baobabs qui se sont couchés pour l’éternité».

Célia Lebur

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