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Henriette Ekwe : «L’Union africaine semble être sous tutelle de l’Occident»

Le 8 mars 2011, à l’occasion de la Journée de la femme, la journaliste camerounaise Henriette Ekwe a reçu à Washington le prix du Courage féminin 2011, décerné par le département d’Etat américain. Quel bilan tirer de l’année 2011 ? Est-ce une année exceptionnelle ?Au micro de Christophe Boisbouvier sur RFI, elle donne son point de vue, depuis Douala sur cette année vraiment pas comme les autres.

RFI : Est-ce que l’année 2011 restera dans l’histoire ?

Henriette Ekwe : Tout à fait. Pour moi oui, parce que nous avons eu les révolutions arabes qui ont montré que des peuples déterminés peuvent venir à bout des dictatures, même quand ces dictatures semblent soutenues par les grandes puissances occidentales. La deuxième chose, ce sont les bombardements en Côte d’Ivoire et en Libye où la solution politique n’était pas du tout acceptée par l’Occident et ce qui s’en est suivi. Et la troisième chose, ce sont ces oppositions qui sont allées récemment aux élections et qui ont appelé au secours la communauté internationale pour plus d’équité, pour la transparence. Je pense par exemple à l’opposition au Gabon qui n’a pas pu obtenir cet arbitrage-là et donc on a l’impression qu’il y a deux poids, deux mesures. L’Afrique est un peu désemparée face aux positions de l’Occident.

RFI : Quelle est l’image la plus forte que vous garderez de cette année ?

H. E. : Mon prix, qui m’a beaucoup impressionnée bien sûr (rires).

RFI : Le Prix du courage féminin que vous avez reçu à Washington des mains d’Hillary Clinton, la secrétaire d’Etat américaine ?

H. E. : Tout à fait. Et puis, évidemment ces femmes africaines qui ont eu le Prix Nobel de la paix, avec ceci de particulier que ce prix est plus souvent décerné à ceux qui ont la culture anglo-saxonne plutôt qu’aux francophones. Le Prix Nobel en Afrique revient le plus souvent à des hommes politiques ou à des personnalités africaines, mais plutôt de culture anglo-saxonne comme Desmond Tutu, Nelson Mandela, Kofi Annan, Wangari Maathai et aujourd’hui Ellen Johnson Sirleaf… et d’autres. C’est peut-être une particularité du Nobel.

RFI : Quelles sont les images qui vous ont choqué cette année ?

H. E. : La mort de Mouammar Kadhafi [ex-leader libyen, ndlr] bien sûr. La façon dont il a été traîné et exécuté sous l’œil d’un vidéaste amateur. Et puis, peut-être pas le transfert de Laurent Gbagbo [ancien président de Côte d’Ivoire, ndlr] à la Cour pénale internationale (CPI), mais la façon dont on l’a sorti de son bunker.

RFI : Mais certains disent que ces deux hommes l’ont cherché ?

H. E. : (rires). Je ne sais pas s’ils l’ont cherché parce que Kadhafi, je sais qu’il tenait la dragée haute à l’Occident. Mais les émissaires de l’Union africaine (UA) avaient proposé une sortie politique du conflit qui l’opposait à Benghazi. Et je pense qu’on aurait pu débarquer Kadhafi sans ces bombardements. Tout ça pour ça.

RFI : Et Laurent Gbagbo, est-ce qu’il ne l’a pas un petit peu cherché lui aussi ?

H. E. : A partir du moment où il a proposé le recomptage des voix, il ne l’a pas obtenu et puis je ne suis pas sûre que les droits de l’homme soient plus respectés sous Alassane Ouattara depuis qu’il est au pouvoir. Mais la façon dont lui et sa femme ont été traités, ce sont des images quand même qui touchent un peu les Africains et qui font penser que le panafricanisme est plus que jamais à l’ordre du jour, une réelle unité à l’Union africaine. Or l’Union africaine semble être sous tutelle et subir un peu ce que veut l’Occident. C’est dommage.

RFI : À un moment cette année, au vu des évènements au Cameroun, au Burkina Faso, on a cru que le vent du printemps arabe pouvait souffler jusqu’en Afrique subsaharienne. Et puis non, rien n’a changé. Est-ce que le « printemps arabe » a un effet chez vous ou pas du tout ?

H. E. : Ca a un effet. Lorsqu’on discute avec les gens, il y a un effet. Les gens se demandent dans la rue quand une telle étincelle pourrait avoir lieu. Le « printemps arabe » a de l’effet chez les intellectuels, chez les classes moyennes et chez les jeunes aussi, qui subissent un chômage massif. Maintenant, pratiquement, tout le monde a le câble, dans les villes notamment, et les jeunes regardent et suivent ce qui se passe là-bas avec beaucoup d’attention et d’intérêt. C’est certain.

RFI : Vous parliez du Gabon et du Cameroun. On pourrait aussi parler du Congo-Kinshasa ou du Congo-Brazzaville. Pourquoi y a-t-il alternance dans la plupart des pays d’Afrique de l’Ouest et pas dans les pays d’Afrique centrale ?

H. E. : Les pays d’Afrique centrale sont très riches. Les pays de la Cemac [Commission de la communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale, ndlr], le golfe de Guinée, c’est un petit conglomérat d’émirats. Donc, les chefs d’Etat des pays du golfe de Guinée sont très riches et ils ont une capacité de corruption extraordinaire. S’ils font en sorte que les oppositions sont souvent glissantes, on ne sait pas très bien, on est ferme un moment et après on lorgne du côté du pouvoir. Donc, il y a une capacité de corruption assez importante. Il y a aussi le fait qu’en tant que réservoir de matières premières, ces pays sont souvent protégés par les pays occidentaux, les pays amis, les Etats-Unis pour un pays comme la Guinée équatoriale, la France pour le Gabon, le Cameroun et les autres. Et compte tenu de cela, même la répression dans ces pays n’aura pas le même retentissement qu’ailleurs. Je me souviens qu’en février 2008, il y a eu une répression féroce des marches des jeunes, mais on n’en a pas beaucoup parlé ! Par contre, au mois de septembre 2009 lorsque Moussa Dadis Camara fusille à peu près 150 personnes dans un stade à Conakry, tout de suite ça prend de l’ampleur. Le procureur de la Cour pénale internationale descend à Conakry etc… Mais dans les pays du Golfe de Guinée où il y a une répression constante, on n’a pas l’impression que cette répression a le même effet sur les pays amis, les pays occidentaux.

RFI : Le ministre français des Affaires étrangères, Alain Juppé, a jugé que la présidentielle d’octobre dernier dans votre pays, le Cameroun, était « acceptable ». Qu’en pensez-vous ?

H. E. : Là, il nous a choqués. Il faut se souvenir qu’Alain Juppé a été à l’époque du RPR délégué au congrès fondateur du RDPC [Rassemblement démocratique du peuple camerounais, ndlr] en 1985 à Bamenda. Il a des amis au Cameroun. Le fait de dire que c’était « acceptable » pour les Camerounais, c’était une insulte. C’était comme dire qu’on peut avoir une démocratie à deux vitesses et la nôtre serait la deuxième vitesse.

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