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SENEGAL. Voter Macky Sall, c’est « faire du Wade sans Wade » ?

Il affrontera le président sortant au second tour. Mais ses 19 années passées auprès de son ancien mentor lui collent à la peau…

Quand leurs convois s’étaient croisés à Dakar, début février, au lancement de la campagne, ils s’étaient salués. Le temps d’échanger un sourire cordial, et les moteurs s’étaient remis en marche, chacun repartant, de son côté, draguer le même électorat. Dans l’entourage du vieux président, alors qu’on croyait ou voulait encore croire à sa réélection dès le premier tour après 12 ans de pouvoir, on s’inquiétait cependant déjà des dégâts que pourraient causer Macky Sall. Parmi les 13 prétendants au poste, cet ancien-Premier ministre d’Abdoulaye Wade passé dans l’opposition était considéré comme son « concurrent le plus sérieux ».

L’élève

Mercredi, ce qui n’était qu’une inquiétude s’est muée en certitude : Macky Sall est arrivé, lors du scrutin de dimanche, en deuxième position, avec 26,57% des voix, derrière Abdoulaye Wade, qui a en recueilli 34,82%, selon les résultats provisoires rendus publics par la Commission nationale de recensement des votes.

Si l’élève affrontera au second tour son ancien mentor, c’est qu’il a su appliquer ses méthodes. Pendant que les différentes composantes de l’opposition politique et civile rassemblées dans le Mouvement du 23 juin (M23) s’enlisaient dans des débats vains sur la stratégie à adopter pour contrer la candidature du président sortant, ce dernier avait pris le large et battait déjà campagne aux quatre coins du Sénégal. Faisant fi des critiques du M23, Macky Sall a aussitôt décidé de faire cavalier seul en lançant sa caravane sur les mêmes routes que Wade.

Pardon

Mais ce M23 qui le gênait dans sa course lui est aujourd’hui indispensable dans sa pêche aux voix. Car il lui faut désormais séduire un autre électorat que celui de son ancien camp. « Je voudrais vous réaffirmer notre ancrage total et entier au sein du M23 », a-t-il déclaré mercredi lors de sa conférence de presse, en s’expliquant sur sa stratégie « gagnante ». Ses alliés d’hier sauront-ils lui pardonner ? En vertu d’un accord passé entre eux, les 12 candidats malheureux devraient se ranger derrière le mieux placé pour battre « Gorgui », « le Vieux » en wolof, comme les Sénégalais surnomment leur président octogénaire.

Pas revanchards, le collectif des jeunes rappeurs « Y en a marre » et le chanteur Youssou Ndour ont appelé à voter pour Macky Sall, de même que le candidat de l’opposition arrivé en troisième position Moustapha Niasse. Le coordinateur du M23, Alioune Tine, a aussi exhorté l’opposition à serrer les rangs derrière lui, avec pour mot d’ordre : « Wade dégage ! ». Mais le M23 reste néanmoins prudent : il a prévu de soumettre ce vendredi une charte de bonne gouvernance à Macky Sall. La méfiance reste de mise.

Opportunisme

Car l’ancien dauphin de Wade est soupçonné d’opportunisme. Il se voit donc obligé de rendre des comptes sur son passé au côté du « Vieux », auprès duquel cet ingénieur a fait toute sa carrière politique : il en a été le ministre, puis le Premier ministre, le directeur de campagne et enfin le président de l’Assemblée nationale. « Nous avons fait 19 ans ensemble : 11 ans dans l’opposition, 8 ans au pouvoir. Nous avons partagé des choses ensemble, je ne peux pas le nier, ça n’aurait pas de sens », a-t-il déclaré mercredi. D’autant que de cette vie-là, il reste des stigmates : « Comment a-t-il fait pour construire sa magnifique villa alors qu’il n’était qu’un simple ingénieur ? », lâche un haut fonctionnaire. « Comme tous, il a été engraissé par Wade. »

Droiture

Pourtant, Macky Sall a su donner l’image d’un homme intègre lors d’un acte de bravoure qui est resté dans les annales sénégalaises : pour avoir osé convoquer, en 2007, le fils du président, Karim, devant l’Assemblée nationale afin qu’il s’explique sur sa gestion très controversée du sommet de l’Organisation de la conférence islamique à Dakar, Macky Sall a signé son arrêt de mort politique au sein du parti présidentiel.

Libéral comme le « Vieux », c’est cette droiture qu’il met justement en avant aujourd’hui pour marquer sa différence : « Moi je veux une gouvernance sobre, vertueuse, efficace. L’argent public, je le mettrai dans les choses fondamentales pour le développement économique et social », a-t-il annoncé. Ses maîtres mots ? « Justice sociale, équité ». Mais son passé risque de se rappeler à lui avec ce que les Sénégalais appellent « la transhumance politique » : lorsque les anciens soutiens de Wade, voyant le navire amiral chavirer, seront tentés d’aller se refaire une virginité auprès leur ancien ami. Que fera-t-il d’eux alors ?

Du Wade sans Wade

« C’est l’ancien Premier ministre de Wade et ça veut tout dire… 2012 ne sera pas l’année de la rupture. Et en même temps, face à Wade, avons-nous le choix ? », observe, désabusé, Madiaw, jeune comédien et militant au sein du collectif « Y’en a marre ». Nombreux sont ceux, comme lui, qui considèrent que « voter Macky Sall, c’est faire du Wade sans Wade ».

Bécaye Gaye, qui était chargé de communication du candidat de l’opposition Ibrahima Fall jusqu’à ce qu’il se voie démis de ses fonctions pour ses propos, pense, lui, que les électeurs ne se rallieront pas forcément derrière Macky Sall, en dépit de l’appel du M23 : « Des jeunes de la coalition sont très frustrés contre Macky Sall qui ne s’est pas conformé au mot d’ordre du M23 juin. Ils voient en lui un opportuniste qui a profité d’une situation, donc ils sont mêmes prêts a voter pour Wade au second tour. »

Wade pourrait aussi compter sur « certains candidats qui peuvent trouver un intérêt à retourner leur veste. Ils pourraient préférer attendre une élection dans deux-trois ans et donc s’allier avec Wade au second tour », estime un diplomate européen. Des militants aussi font ce calcul :  » Je préfère voter Wade plutôt que Sall. Si Wade est réélu, il mourra sûrement au cours de son mandat. Ça donnera lieu à des élections anticipés qui permettront à Tanor [le candidat du PS, arrivé loin derrière Macky Sall] d’avoir ses chances, » estime un socialiste.

La logique mathématique voudrait que Macky Sall, en bénéficiant du report de voix des autres opposants, l’emporte aisément. Mais entre ceux qui préfèreront voter pour Wade et les déçus, comme Nazaire, professeur d’éducation artistique, qui n’iront « sûrement pas voter au second tour », c’est dans un certain brouillard que se profile le deuxième round, prévu pour le 18 mars. Dans ce contexte, le taux de participation, qui avait atteint avec peine les 51% au premier tour, pèsera probablement dans la balance.

Sarah Halifa-Legrand avec Katia Touré à Dakar

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