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Au Mali, des militaires renversent « ATT »

Par Philippe Bernard avec Jean-Philippe Rémy (Niamey, envoyé spécial)

Tenue pour un exemple de démocratie en Afrique francophone depuis vingt ans, la République du Mali semble ne pas avoir résisté à la triple onde de choc née du terrorisme islamique au Sahara, de la révolution libyenne et de la rébellion touareg.

Dans la nuit du mercredi 21 au jeudi 22 mars, des militaires se réclamant d’un « Comité national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l’Etat » (CNRDRE) ont pris le contrôle du palais présidentiel de Koulouba, situé sur les hauteurs de la capitale malienne, Bamako. La télévision nationale, dont les mutins se sont emparés, a retransmis, jeudi matin, les images tremblantes du lieutenant Amadou Konaré, porte-parole de la junte, annonçant qu’il avait été « mis fin au régime incompétent et désavoué » du président Amadou Toumani Touré (dit « ATT »). Ce dernier avait probablement quitté auparavant le bâtiment blanc de Koulouba, tandis que s’engageaient des combats nocturnes. Les « bérets rouges » de la garde présidentielle n’ont pas résisté à l’assaut, au point que leur loyauté peut être mise en cause.

Le capitaine Amadou Sango, chef de la junte, a ensuite annoncé un couvre-feu. Les mutins dénoncent « l’incapacité notoire du régime à gérer la crise qui sévit au nord du Mali » et « l’inaction du gouvernement à doter de moyens adéquats les forces armées pour défendre l’intégrité du territoire national ». A plus de 1000 km de Bamako, le nord du pays, désertique, est secoué par une rébellion touareg attisée par le retour de Libye de combattants surarmés autrefois fidèles au régime du colonel Kadhafi, et par les terroristes d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), qui retient en otages treize Occidentaux, dont six Français.

« CLIMAT D’INCERTITUDE »

Ironiquement, les putschistes, qui ont suspendu la Constitution, dissous « toutes les institutions » et fait arrêter plusieurs ministres, reprochent au régime d’avoir « entretenu un climat d’incertitude » pour la tenue de l’élection présidentielle dont le premier tour devait avoir lieu le 29 avril.
Humiliée par ses défaites sur le terrain contre la rébellion du Nord, secouée par de multiples affaires de corruption et de trafic de drogue, l’armée malienne bruissait de rumeurs de révoltes depuis plusieurs semaines. Le 2 février, des femmes de militaires avaient organisé une marche de protestation – fait rare – depuis la ville de garnison de Kati, située à 15 km de Bamako, jusqu’au palais présidentiel. Elles scandaient : « Des munitions pour nos maris! » et dénonçaient « la mollesse du pouvoir » face aux rebelles touareg.

Mercredi, c’est précisément du camp militaire de Kati qu’est venu le putsch, au moment d’une visite du ministre de la défense Sadio Gassama. De jeunes militaires ont réclamé davantage d’armes pour combattre la rébellion touareg et certains voulaient fleurir les tombes de camarades morts au combat. Le ministre venu discuter avec eux a été pris à partie. Des soldats lui ont jeté des pierres puis ont tiré en l’air. Au cours des heures qui ont suivi, plusieurs membres du gouvernement auraient été arrêtés par les mutins, dont la première ministre, Cissé Mariam Kaïdama Sidibé, le ministre des affaires étrangères, Soumeylou Boubèye Maïga, et celui de l’administration territorial (intérieur), Kafougouna Koné.

DÉTOURNEMENTS DE SOLDE

Le putsch semble être parti d’officiers subalternes révoltés par les détournements de solde et les incessantes difficultés d’approvisionnement en armes, en carburant et en renforts, qui ont souvent fait capoter des offensives et causé de lourdes pertes. L’affectation dans des garnisons du Nord, dont ils sont originaires, de soldats issus d’anciennes rébellions touareg nourrit aussi le mécontentement des soldats, majoritairement originaires du Sud et appelés à combattre très loin de chez eux.
L’incapacité du président Toumani Touré à admettre les échecs militaires subis dans le Nord et à en tirer les conséquences semble aussi avoir attisé les braises.

Lui-même général, « ATT » est considéré par les Occidentaux comme un maillon faible dans la lutte contre AQMI. En 1991, alors lieutenant-colonel, il avait commandé le putsch qui avait permis de renverser la dictature de Moussa Traoré. Cas rarissime, il avait rendu le pouvoir aux civils lors d’élections démocratiques. Les mutins d’aujourd’hui suivront-ils son exemple ?

Philippe Bernard avec Jean-Philippe Rémy (Niamey, envoyé spécial)

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