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Sessions criminelles, crimes rituels : les limites de la méthode Ouwé

La série de sessions criminelles spéciales en cours n’aidera pas à l’éradication de la pratique des crimes rituels. On présage que de nombreuses affaires, ici évoquées, ne seront pas rouvertes parce qu’elles concernent quelques personnalités politiques. La méthode Ouwé ne serait alors qu’un pétard mouillé.

L’annonce de Sidonie-Flore Ouwé, procureur de la République près le tribunal de première instance de Libreville, le 24 avril dernier, a réjoui un grand nombre de Gabonais. La dame a en effet annoncé les mesures sécuritaires qui devraient permettre de stopper la criminalité dans le pays. Dans la foulée et comme pour donner une suite à son annonce, les sessions criminelles spéciales annoncées par le président de la République lors du Conseil de ministres du 3 mai dernier, se sont ouvertes le 7 mai au tribunal de première instance de Libreville.

Dès la première journée de ces sessions criminelles, un élu était cité par Pambou Moussounda Aristide, accusé d’assassinat avec préméditation sur une fille de 12 ans. L’homme qui a écopé de la prison à perpétuité, a indiqué que son homicide avait été instigué par le sénateur du département du Komo Kango, Ekomi Eyeghe Gabriel. Ouvrez le ban !

Dès le 8 mai, le journal La Nouvelle République a mentionné : «Sidonie-Flore Ouwé n’oubliait certainement pas qu’elle parlait de s’attaquer à des personnalités qui gravitent autour du pouvoir (…) Madame le procureur a-t-elle réfléchit un seul instant aux femmes et hommes qu’elle trouvera sur son chemin ?» Le bimensuel s’indignait également de ce que de nombreuses enquêtes finissent dans l’impasse dès qu’une personnalité politique est concernée. Il suffit en effet que, du haut de son statut politique, le commanditaire du crime invoque la fourniture de preuves, au demeurant impossible à fournir dans un contrat verbal, pour que l’affaire s’enlise. Alain Claude Bilié Bi Nzé, porte-parole de la présidence de la République gabonaise, a d’ailleurs évoqué la question de la preuve, le 11 mai, alors qu’il était interrogé sur la plausibilité d’entendre et d’écrouer également les hautes personnalités politiques commanditaires de crimes rituels.

Quelques affaires oubliées, faute de «preuves»…

Ceci n’est pas sans rappeler le procès récent de deux journalistes traduits en justice par le vice-président de l’Assemblée nationale, Daniel Ona Ondo, pour avoir publié des articles portant sur la mort d’Ondzingui Assoume, son adversaire à une élection législative. Le tribunal a estimé que le procès-verbal d’huissier ayant servi de base à la rédaction des articles incriminés n’était pas une preuve. Les présumés assassins d’Ondzingui Assoume étaient passé aux aveux ainsi que l’indique la déposition devant un huissier de justice de la veuve Ondzingui. L’affaire est toujours pendante devant les juridictions d’Oyem et l’un des présumés assassins, Essono Medzegué, est détenu à la prison de cette ville. Mais elle semble s’être enlisée et pourrait ne pas figurer dans la session criminelle spéciale en cours dans cette ville.

On se souvient également qu’en mai 2011, le gardien de Maxime Ngozo Issoundou, ancien ministre du Travail, de l’Emploi et de la Prévoyance sociale, avait été «enlevé» et n’a plus jamais été retrouvé. La police avait mis aux arrêts le petit frère du ministre et celui-ci avait même commis un avocat en vue d’examiner le cas. On n’en a plus jamais parlé. Que vaut d’ailleurs la vie d’un gardien ?

On pense également à la ville de Booué où le jeune Ferdinand Kangoué avait été tué, délesté ses organes reproductifs et de son cœur avant d’être placé sur le chemin de fer en vue de simuler un écrasement par le train. Des membres du Parti démocratique gabonais (PDG, au pouvoir) avaient été interpellés par la gendarmerie en janvier 2011. Notamment Iloubou Boussengui, un responsable de cette formation politique dans la localité, et Madeleine Benga, infirmière et simple militante. Au terme d’un micmac judiciaire, Rigobert Ikambouayat Ndeka, actuel directeur général de l’Office des ports et rades du Gabon (OPRAG) et ancien ministre délégué à la Communication, vers lequel pointait un faisceau de présomptions, fut entendu au tribunal de Makokou. Les conclusions de l’affaire semblent être parties en fumée.

De même, l’ancien ministre gabonais de la Justice et dernier ministre de l’Économie forestière d’Omar Bongo, Martin Mabala, devait être entendu, il y a quelques mois au tribunal de Lambaréné, ainsi que l’avait indiqué Gabonpage. Il est ici question d’un crime rituel qui avait défrayé la chronique il y a plus cinq ans et qui concernait quatre personnes, dont un nourrisson, tuées avant d’être brûlées dans un campement sur l’axe Lambaréné-Fougamou. L’exécuteur du crime, décédé entre temps, a laissé auprès du juge une déposition enregistrée sur une bande magnétique dans laquelle il raconte avec moult détails l’exécution de sa sale besogne, pour une promesse de 3 millions de francs CFA dont il n’aurait reçu que 30 000 francs en guise d’acompte. L’affaire s’est également envasée dans l’Ogooué.

On n’oubliera pas, alors qu’il était ministre de la Justice, Garde des Sceaux, que le même Martin Mabala avait demandé au parlement, en 2007, la levée de l’immunité parlementaire de Joseph Mboumba, alors député du 2e siège du département de Ndoungou (Gamba) dans la province de l’Ogooué-Maritime. L’élu était alors soupçonné d’un double meurtre présumé dans sa circonscription électorale lors des législatives de décembre 2006. S’adressant à la représentation nationale, Martin Mabala écrivait alors : « en raison de l’implication de l’honorable député dans cette affaire (…) j’ai l’honneur de solliciter la levée de l’immunité parlementaire (…) afin de permettre au juge de l’entendre». Ne voulant pas créer un précédent, qui se révèlerait fatal dans l’avenir pour d’autres députés, l’Assemblée nationale, fort de nombreux arguments et subterfuges juridiques, avait réussi à soustraire l’élu de la justice en s’opposant à la levée, demandée, de l’immunité parlementaire.

L’organisation de sessions criminelles spéciales à travers le pays va certainement occulter ces affaires dont la prescription n’est pourtant pas arrivée à péremption. Ou alors, s’arc-boutant sur la fourniture de la preuve, de nombreux commanditaires présumés d’assassinats ne seront nullement inquiétés. Pourtant, ailleurs dans le monde, des Nazis ont été condamnés sur la base de témoignages verbaux et, plus près de nous, la confirmation des charges contre Jean-Pierre Bemba à la Cour pénale internationale (CPI) s’est faite sur la base de témoignages. Au Gabon, les témoignages, ainsi qu’on l’a vu dans l’affaire Ona Ondo, n’ont aucune valeur juridique.

Un système judiciaire malade

Mais le vrai problème avec cette série de sessions criminelles spéciales et même avec les mesures prises par Mme Ouwé, consistant en la mise en place d’une unité d’enquête spécialisée en matière d’homicide volontaire avec un effectif de 27 agents et officiers de police judiciaire, est que le système judiciaire gabonais est malade. Depuis des années, on n’a pas cessé de dénoncer des procès inéquitables, une police judiciaire truffée de ripoux, des magistrats âpres au gain et même une garde pénitentiaire passoire. Les autorités gabonaises gagneraient donc d’abord à toiletter, réformer de fond en comble la machine judiciaire gabonaise, l’épurer de ses nombreux dysfonctionnements. Ce n’est qu’à ce prix que la méthode Ouwé pourra fonctionner.

Les sessions criminelles spéciales se poursuivent du 14 au 31 mai à Oyem et 21 au 31 mai à Lambaréné. Hormis le sénateur du Komo Kango, aucun autre commanditaire de crime n’a été indexé ou cité. Que se passe-t-il donc quand on sait qu’au nombre des dossiers présentés aux magistrats, Libreville compte 50 affaires dont 17 crimes de sang soit, 34% ; Oyem 36 affaires dont 19 crimes de sang, soit 52% et à Lambaréné on enregistre 20 affaires dont 4 crimes de sang, soit 20%. Il y a pourtant bien des personnes qui commanditent ces crimes. Où donc sont-elles passées ?

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