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Afrique centrale : bienvenue chez les Fangs !

Oyem, capitale du "Fangland", est la quatrième ville du Gabon. Vieilles routes "yougoslaves", hôpital fermé, gouvernorat à l'abdandon... Les habitants d'Oyem ont le sentiment d'être oubliés. Le voyage entre Libreville et le Woleu-Ntem n'est pas aisé. La route est bitumée sur quelques tronçons seulement. © Baudoin Mouanda pour J.A.
Ils vivent au Cameroun, au Gabon ou en Guinée équatoriale. Ils partagent la même culture, les mêmes langues et ont produit des générations de dirigeants. De quoi alimenter tous les fantasmes sur leurs ambitions… Voyage au coeur d’une communauté incontournable.

C’est le débat interdit. Celui qui ne se tient ni à la télévision, ni à la radio, ni dans les amphithéâtres de l’université de Libreville, même s’il est souvent chuchoté avec passion en famille, entre amis, en petit comité… « Non, il n’y a pas de problème fang au Gabon », assure-t-on à Libreville, avec un certain malaise lorsqu’on évoque un sujet tabou, politiquement incorrect, dont on nie non sans hypocrisie l’existence…

>> Lire aussi l’interview de Mathias Eric Owona Nguini : « Les origines fangs sont disparates »
>> Et aussi : Quelques Fangs célèbres

Inspirateur de ce déni, le défunt président Omar Bongo Ondimba (OBO), qui n’a pas varié de sa ligne jacobine en quarante-deux années de pouvoir. « Il y a des ethnies dominantes, mais moi, délibérément, je ne parle pas de ça […]. En réalité, je ne connais pas une ethnie supérieure ni minoritaire : on est Gabonais, c’est tout », expliquait-il dans son livre-entretien avec Airy Routier, Blanc comme nègre (Grasset).

Les deux slogans de la présidentielle en 2009 : « tout sauf Ali » et « tout sauf les Fangs ».

Mais si l’ethnie n’existe pas, des remèdes contre l’ethnicisme sont néanmoins administrés, sous la forme d’une politique de quotas et de partage « géopolitique » du pouvoir. Selon une règle non écrite longtemps en vigueur, Omar Bongo Ondimba, natif du Sud gabonais en pays batéké, choisissait invariablement son Premier ministre parmi les Fangs natifs de l’Estuaire, alors que cette ethnie est présente dans cinq provinces sur les neuf que compte le pays. De même, pour recruter ses cadres, l’administration mettait en place des critères d’égalité provinciale…

Népotisme

Le pays n’a pas échappé pour autant aux replis identitaires favorables au vote ethnique, à la constitution de réseaux de népotisme tribal ni aux revendications d’essence régionaliste. À partir de juin 2009, quand la perspective de succéder au chef de l’État décédé a opposé frontalement ses anciens collaborateurs, le vernis de l’équilibre interethnique a craqué. La liste des candidats comptait une majorité de dignitaires fangs, dont l’ex-Premier ministre Jean Eyéghé Ndong (Estuaire), l’ex-ministre de l’Intérieur André Mba Obame (Woleu-Ntem), l’ex-ministre du Pétrole Casimir Oyé Mba (Estuaire), l’ex-vice Premier ministre Paul Mba Abessole (Estuaire). Fangs aussi, certains prétendants plus ou moins sérieux issus de l’opposition (Jean Ntoutoume Ngoua) ou de la diaspora (Daniel Mengara)… Des patriarches fangs, réunis en comité secret quelques semaines avant l’élection du 30 août, ont tenté en vain d’obtenir le désistement de Mba Obame en faveur d’Oyé Mba. « Avec un tel sens politique, jamais les Fangs n’arriveront à conquérir le pouvoir », a alors dénoncé l’ancien ministre de l’Intérieur, qui s’est finalement imposé au détriment de son rival de l’Estuaire. La veille du scrutin, ce dernier se retirait de la course après avoir subi d’intenses pressions.

Antagonismes

Les Fangs représentent selon différentes estimations entre 35 % et 40 % de la population gabonaise. Mais la classe politique non fang se méfie de leur « appétence » pour le pouvoir. Des politiciens peu scrupuleux se sont saisis de cette peur pour en faire un argument de campagne, s’alarmant de la volonté d’hégémonie de l’ethnie majoritaire, résolue à reconquérir coûte que coûte le pouvoir confié en 1967 au Téké Albert Bernard Bongo par le Fang Léon Mba. Les adversaires du Parti démocratique gabonais (PDG, au pouvoir) scandaient « Tout sauf Ali [Bongo Ondimba, candidat à la succession de son père, NDLR] » ? Leurs contradicteurs opposaient un « Tout sauf les Fangs ».?Par bonheur, aucun des deux slogans n’a abouti au résultat escompté. Échec au « Tout sauf Ali », car il a été élu. Pas plus de succès pour le « Haro sur les Fangs » : troisième du scrutin, André Mba Obame a recueilli des suffrages non pas seulement dans son ethnie, mais dans toutes les régions. Il n’empêche, cette campagne agressive a eu le temps d’imprégner les esprits. Les deux candidats ont fait le plein de voix dans leurs fiefs respectifs. Le Haut-Ogooué des Bongo a voté à plus de 90 % pour son champion, tandis que le Woleu-Ntem (Nord) a massivement soutenu l’enfant du pays, Mba Obame, renforçant les apparences d’un antagonisme ethnique. Dans l’ombre, quelques faucons incitent même le chef de l’État à « punir » ceux qui n’ont pas voté pour lui. Ce qu’il ne fera pas. Dans le Nord, on perd confiance et on n’attend plus grand-chose du Palais du bord de mer.

Plus de deux ans après cette crispation, le président a fait un geste d’apaisement en nommant début février un natif d’Oyem (Woleu-Ntem), Raymond Ndong Sima, au poste de Premier ministre, rompant ainsi avec la pratique héritée de son père. Cette main tendue va-t-elle finalement atténuer le ressentiment ? À Ndong Sima de faire mentir les pessimistes.

Frontières

Frontalier avec la Guinée équatoriale et le Cameroun, le Woleu-Ntem est la seule des neuf provinces du pays qui soit quasi exclusivement habitée par le groupe fang. S’y rendre n’est pas aisé. Il faut parcourir plus de 500 km entre Libreville et Oyem sur une « transafricaine » bitumée sur certains tronçons seulement. Premier obstacle, au bout d’une heure de route, le pont de Kango sur le fleuve Komo. Arrêt obligatoire, seuls les véhicules légers sont autorisés à emprunter l’ouvrage. Les camions sont dirigés vers un embarcadère en contrebas. À marée haute, deux barges assurent la traversée, évitant ainsi à la capitale gabonaise une rupture de ses approvisionnements en produits alimentaires en provenance du nord. Et les voyageurs de pester encore contre le capitaine d’une barge qui a endommagé début mars un pilier du pont… Les plus pressés peuvent quitter la route nationale par une déviation non bitumée serpentant dans la bruine vers le nord-ouest, par Medouneu. Ce voyage est entrecoupé d’arrêts imposés par des contrôles de gendarmerie auxquels nul ne déroge. Puis on entre dans Medouneu, ce bourg de près de 2 000 âmes, aux alentours du parc national des Monts-de-Cristal. À 2 km plus à l’ouest se trouve la frontière avec la Guinée équatoriale.

Medouneu, un paradis vert ? Pas vraiment. Le voisinage des mandrills et des éléphants rend l’agriculture quasi impossible. Cibles régulières des mammifères, les cultures sont saccagées et les rendements des parcelles si bas que les jeunes, dégoûtés, s’en sont allés grossir les quartiers populaires de Libreville. Jusqu’à la présidentielle de 2009, la ville de naissance d’André Mba Obame – même s’il ne s’y rend que rarement – vivait hors du temps, oubliée du reste du monde dans les moiteurs de la forêt primaire. Selon les échos de cette élection présidentielle, le président équato-guinéen, Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, Fang de Mongomo, aurait accordé un généreux soutien financier à l’opposant Mba Obame. Pis, des informations, jamais prouvées à ce jour, parlent de caches d’armes, de projets de rébellion, etc.

Du jour au lendemain, la petite commune a vu débarquer des escouades de gendarmes et d’agents des services secrets qui lui ont imposé pendant des mois un dispositif de sécurité inédit. Même la voiture de monsieur l’abbé Clément n’a pas échappé à la fouille méticuleuse effectuée avec zèle. « Ils ont confisqué ma pièce d’identité parce qu’ils doutaient de ma nationalité gabonaise », se plaint un villageois qui assure ne pas être le seul dans ce cas. Jusqu’à ces dernières années, les familles établies de part et d’autre de la frontière allaient et venaient librement, enjambant allègrement les limites territoriales. Pour eux, les frontières fixées au gré des intérêts des colonisateurs français (Gabon), allemands (Cameroun) et espagnols (Guinée équatoriale) sont moins fortes que les liens du sang et la conscience de partager les mêmes ancêtres et de parler la même langue. En plus, ces limites ont changé avec le temps. Ainsi la France dut-elle céder en 1912 le Woleu-Ntem à l’Allemagne, avant que la défaite de Berlin à l’issue de la Première Guerre mondiale ne favorise le rattachement définitif de ce territoire au Gabon.

En dépit de ces péripéties, les Fangs, Ntoumous et Mvaes, qui représentent 20 % de la population au Cameroun, 80 % en Guinée équatoriale et quelques milliers de personnes au Congo, en République centrafricaine et à São Tomé, n’ont jamais remis en question l’entrelacs de parentés interclaniques qui se ramifient depuis les Fangs de Libreville jusqu’aux Ewondos de Yaoundé, en passant par les Ntoumous de Bata… Ainsi retrouve-t-on des liens inattendus entre différents clans qui ont essaimé au gré des migrations du XIXe siècle. Selon des généalogistes, le président Obiang Nguema Mbasogo, du clan Essangui de Guinée équatoriale, l’activiste Marc Ona Essangui, du même clan au Gabon, et le directeur du cabinet civil à la présidence de la République du Cameroun, Martin Belinga Eboutou, du clan Esse de Zoétélé (Sud), auraient le même ancêtre. Et le président camerounais, Paul Biya, un Bulu de Mvomeka’a, dans le Cameroun méridional, est beti, un groupe rattaché aux Fangs. De quoi alimenter les suspicions d’un soutien à Mba Obame, alors qu’hier beaucoup extrapolaient sur un rapprochement entre OBO et son voisin congolais, Denis Sassou-Nguesso, pour contrebalancer une possible coalition Biya-Obiang…

Société

Ces craintes d’hégémonie sont-elles fondées ? « Si on interprète la cohésion des Fangs, on pourrait en effet considérer qu’il s’agit d’un danger régional, comme il en existe ailleurs, explique le politologue camerounais Mathias Eric Owona Nguini. Mais je ne vois pas de raison de craindre l’émergence d’un pays fondé sur des bases ethniques », conclut-il. D’autant que l’unification n’est pas le point fort de la société fang. Dans Le Petit Journal militaire, maritime, colonial du 26 février 1905, Émile Gentil, commissaire général de France au Congo, observe : « Ce qui fait le fond du caractère du Pahouin (Fang), c’est l’indépendance. Il ne veut se soumettre à personne et entend être le maître absolu de sa famille et de ses biens. Aussi, le rêve absolu de tout Pahouin est de vivre seul avec les siens. Et n’était le besoin d’être assez nombreux pour se défendre, on verrait autant de villages que de familles. »

La question fang ne date pas d’hier. Des tentatives d’unification eurent lieu, notamment en 1947, lors du congrès de Mitzic réunissant autour des Fangs du Gabon ceux du Cameroun et de Guinée équatoriale… Cette préfecture traversée par la route du Nord à 400 km de la capitale, Libreville, est une ville-symbole qui entretient la mémoire de la résistance au colonisateur, mais aussi celle de la bataille entre forces de la France libre et troupes vichystes. Léon Mba, futur président du Gabon, fut porté à la tête du congrès. Mais les querelles de personnes empêchèrent le consensus. En jeune leader « évolué » venu de la côte et formé à l’école catholique, il s’était montré trop ouvert à des influences extérieures, s’aliénant ainsi une partie des délégués issus pour la plupart du Nord. Ces derniers lui reprochèrent notamment de prôner l’extension du bwiti (religion traditionnelle) parmi les Fangs, alors que ce syncrétisme était issu des Mitsogos (une minorité du centre du pays). Ils lui firent également grief de fréquenter les milieux francs-maçons et communistes de Libreville. Élu président du pays en 1961, Léon Mba, rongé par un cancer, acheva de « trahir » la cause en confiant le pouvoir à Albert Bernard Bongo, un Téké du Sud. D’où une profonde fracture entre Fangs du Nord et ceux de l’Estuaire, d’autant que ces derniers se sont consolés avec le poste de Premier ministre.

Discrimination

Fracture aussi avec les Mpongwés, un sous-groupe européanisé et très métissé d’ascendance myénée, des « autochtones » de l’Estuaire qui cohabitaient avec les Fangs depuis leur arrivée au XIXe siècle. Dans sa tendance à créer une hiérarchie entre les ethnies, l’administration coloniale avait tout d’abord élevé les Fangs au rang de « peuple savant » en magnifiant ces hommes « grands » et « clairs » venus des rivages du Nil dans la Haute-Égypte et des Grands Lacs. Au départ déconsidérés par le colonisateur français à cause de leurs royautés esclavagistes et « décadentes », les Mpongwés ont ensuite été mis en avant et en concurrence avec les Fangs, quand le colonisateur comprit la difficulté de domestiquer ces derniers et l’impossibilité de les intégrer dans les cadres coloniaux. Selon l’historienne Florence Bernault, « les Fangs sont donc restés les grands perdants de l’État moderne au Gabon, un État qui n’a cessé de brider leur influence ». Plusieurs décennies d’instrumentalisation politicienne ont eu des effets néfastes sur le « vivre-ensemble ». « Pendant nos études, personne ne se préoccupait de savoir qui était du Nord, qui était du Sud », regrette Firmin Obame Nguéma, chef d’entreprise à Libreville. Mais, selon lui, à l’heure des concours d’entrée dans les grandes écoles, la politique des quotas reprend le dessus.

Les villas construites à l'occasion des "fêtes tournantes", en 2005, sont restées vides. © Baudoin Mouanda pour J.A.
Aujourd’hui, les Fangs se sentent mal aimés et se plaignent de discrimination. « Quand on est originaire du Woleu-Ntem, on est soupçonné de manquer de patriotisme », s’indigne un ancien haut cadre de l’administration qui a perdu son poste quand il a rejoint les rangs de l’Union nationale, un parti d’opposition dissous en 2011. Le 11 février dernier, le ministère de la Défense a publié, dans le quotidien L’Union, un avis de recrutement à la garde républicaine qui ne concernait que sept provinces. « Le recrutement dans l’Ogooué-Maritime et le Woleu-Ntem fera l’objet d’un communiqué ultérieur », précise l’avis. « Le portefeuille de ministre des Finances ne sera jamais confié à un Fang. Ainsi, ils sont exclus de toutes les régies financières et des postes stratégiques de l’État, tels que le ministère de la Défense », dénonce un opposant, qui oublie néanmoins de citer notamment Jean-Claude Ella Ekogha, le chef d’état-major de l’armée, ou René Aboghé Ella, le président de la Commission électorale nationale autonome et permanente (Cenap), qui sont bien fangs.

Souffrances

Les complaintes de ses jeunes sans-emploi ne semblent pas perturber l’indolente Oyem, capitale du pays fang. Avec ses vieilles routes « yougoslaves » datant des années 1970, son gouvernorat neuf mais à l’abandon, son hôpital fermé pour réfection depuis six ans, pillé sans vergogne et squatté par des fonctionnaires en attente de logement… Puis l’incroyable Mont-Miyélé, une ville nouvelle construite en 2005 à l’occasion des fameuses « fêtes tournantes » et dont les villas cossues exclusivement attribuées aux pontes du régime sont abandonnées dans l’herbe folle… « L’argent dépensé, à savoir plusieurs milliards de F CFA, aurait pu servir à refaire la voirie délabrée », fulmine l’ancien député local du Parti démocratique gabonais Jean-Christophe Owono Nguéma. « Moi, je me sens profondément gabonais avant d’être fang », se définit-il. À l’instar de l’opposition, il a boycotté les législatives du 17 décembre 2011 et consacre désormais son temps à ses plantations de bananiers. Avec Paulette Oyane Ondo, il s’était déjà attiré le courroux de son groupe parlementaire pour avoir refusé de voter la révision constitutionnelle de décembre 2010, qui accordait plus de pouvoirs au président. « Toutes les ethnies endurent les mêmes souffrances, relativise-t-il. Nos ennemis communs, ce sont la corruption, les détournements de l’argent de l’État et l’impunité. » La frontière avec le Cameroun et la Guinée équatoriale est à une centaine de kilomètres. De l’autre côté des bornes, d’autres citoyens en colère ne le démentiraient pas.

Malabo, sanctuaire Bubi

Bien qu’elle soit née aux Baléares, la chanteuse de flamenco Concha Buika n’oublie pas ses origines équato-guinéennes. Issus de la minorité bubie (40 000 personnes) qui peuple l’île de Bioko, où se trouve la capitale, Malabo, ses parents ont fui la dictature de Macias Nguema dans les années 1970. À Majorque, où elle a grandi, ils lui ont transmis la culture et la langue bubies, menacées de disparition. Les Fangs ont massivement quitté la partie continentale du pays (ancien Río Muni), pour s’installer à Bioko (ancien Fernando Póo), attirés par le développement des infrastructures urbaines et par la prospérité due à l’exploitation du pétrole. Ici, les Fangs, ethnie du président Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, sont accusés de discriminer le deuxième groupe ethnique du pays. Selon une politique d’équilibre en vigueur depuis l’indépendance (1968) jusqu’en 2006, le Premier ministre était désigné au sein de l’ethnie bubie. Il n’en est plus question : Ricardo Mangue Obama Nfubea (2006-2008) et Ignacio Milam Tang (depuis juillet 2008) sont fangs.

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Par Georges Dougueli, envoyé spécial au Gabon et au Cameroun

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Mathias Eric Owona Nguini, enseignant à l’université de Yaoundé-II © Baudoin Mouanda pour J.A
La nation pahouine est une construction symbolique et non un projet politique, selon ce politologue camerounais.

Qu’est-ce qu’être fang aujourd’hui ?

Le mythe de « la marche des enfants d’Afiri Kara » situe les origines fangs en Haute-Égypte. Cette légende a été inventée pour lier des groupes plus hétérogènes qu’ils ne le disent. Dans la matrice dite fang-betie, des groupes ont des origines anthropologiques diverses, mais se sont retrouvés à partir d’un même répertoire culturel. On retrouve des éléments strictement fangs, des éléments assimilés aux Fangs et des non-Fangs qui ont été acculturés. Les Betis du Cameroun, au sens strict, ne sont pas des Fangs. Moins nombreux, ils ont été « pahouinisés » et se sont fondus dans la communauté, au point d’en perdre leur langue. La langue ewondo [telle qu’elle est parlée à Yaoundé, NDLR], aujourd’hui, est une variante du fang et non pas de la langue betie, qui, elle, a disparu.

Quel est le rapport entre identité fang et revendications politiques ?

Dans les années 1990, la perspective d’une grande nation transethnique fang a resurgi dans un contexte où les luttes politiques comportaient aussi un élément identitaire. Il est vrai que les identifications géoethniques et anthropoethniques fangs existaient, surtout dans des pays où ces communautés étaient proches du pouvoir. Ainsi, entre les années 1960 et 1970, avec la présidence de Léon Mba au Gabon, puis de Macias Nguema en Guinée équatoriale, on a évoqué l’idée d’une hégémonie des Fangs. Au Cameroun, cette idée n’était pas absente, mais elle a pris un poids considérable avec l’accession de Paul Biya au pouvoir en 1982. Elle s’est particulièrement cristallisée dans les années 1990.

Faut-il prendre au sérieux l’idée d’un État fang ?

La fameuse nation pahouine est une construction symbolique, puisque le registre politique de ces différentes communautés n’a jamais été celui de la centralisation. Elles sont marquées par une forte organisation segmentée et décentralisée. Ce ne sont pas des sociétés sans chef, mais elles ont des patriarches dotés d’une autorité décentralisée. Il pourrait y avoir des conjonctures qui les amèneraient à se fédérer autour d’une espèce d’épouvantail sous-régional. Mais cela ne peut survenir que dans des conditions particulièrement traumatiques.

Ce n’est donc pas un ensemble homogène…

Il y a une variation identitaire selon les pays. Elle montre que nous avons affaire à une construction extrêmement complexe qui recèle cependant des points de partage entre les groupes. En Guinée équatoriale, il existe une tension entre les Fangs ntoumous et les Fangs okaks. Aujourd’hui, la communauté fang-betie partage la langue mais ne partage pas forcément les références généalogiques, malgré l’invention de mémoires unificatrices comme le mythe d’Afiri Kara. En réalité, les origines sont disparates.

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Propos recueillis par Georges Dougueli

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