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Mathias Eric Owona Nguini : « Les origines fangs sont disparates »

Mathias Eric Owona Nguini, enseignant à l'université de Yaoundé-II © Baudoin Mouanda pour J.A
La nation pahouine est une construction symbolique et non un projet politique, selon ce politologue camerounais.

Qu’est-ce qu’être fang aujourd’hui ?

Le mythe de « la marche des enfants d’Afiri Kara » situe les origines fangs en Haute-Égypte. Cette légende a été inventée pour lier des groupes plus hétérogènes qu’ils ne le disent. Dans la matrice dite fang-betie, des groupes ont des origines anthropologiques diverses, mais se sont retrouvés à partir d’un même répertoire culturel. On retrouve des éléments strictement fangs, des éléments assimilés aux Fangs et des non-Fangs qui ont été acculturés. Les Betis du Cameroun, au sens strict, ne sont pas des Fangs. Moins nombreux, ils ont été « pahouinisés » et se sont fondus dans la communauté, au point d’en perdre leur langue. La langue ewondo [telle qu’elle est parlée à Yaoundé, NDLR], aujourd’hui, est une variante du fang et non pas de la langue betie, qui, elle, a disparu.

Quel est le rapport entre identité fang et revendications politiques ?

Dans les années 1990, la perspective d’une grande nation transethnique fang a resurgi dans un contexte où les luttes politiques comportaient aussi un élément identitaire. Il est vrai que les identifications géoethniques et anthropoethniques fangs existaient, surtout dans des pays où ces communautés étaient proches du pouvoir. Ainsi, entre les années 1960 et 1970, avec la présidence de Léon Mba au Gabon, puis de Macias Nguema en Guinée équatoriale, on a évoqué l’idée d’une hégémonie des Fangs. Au Cameroun, cette idée n’était pas absente, mais elle a pris un poids considérable avec l’accession de Paul Biya au pouvoir en 1982. Elle s’est particulièrement cristallisée dans les années 1990.

Faut-il prendre au sérieux l’idée d’un État fang ?

La fameuse nation pahouine est une construction symbolique, puisque le registre politique de ces différentes communautés n’a jamais été celui de la centralisation. Elles sont marquées par une forte organisation segmentée et décentralisée. Ce ne sont pas des sociétés sans chef, mais elles ont des patriarches dotés d’une autorité décentralisée. Il pourrait y avoir des conjonctures qui les amèneraient à se fédérer autour d’une espèce d’épouvantail sous-régional. Mais cela ne peut survenir que dans des conditions particulièrement traumatiques.

Ce n’est donc pas un ensemble homogène…

Il y a une variation identitaire selon les pays. Elle montre que nous avons affaire à une construction extrêmement complexe qui recèle cependant des points de partage entre les groupes. En Guinée équatoriale, il existe une tension entre les Fangs ntoumous et les Fangs okaks. Aujourd’hui, la communauté fang-betie partage la langue mais ne partage pas forcément les références généalogiques, malgré l’invention de mémoires unificatrices comme le mythe d’Afiri Kara. En réalité, les origines sont disparates.

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Propos recueillis par Georges Dougueli

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