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Tribune libre : Cinq raisons de désespérer d’un Gabon émergent en 2025

WORKac_Gabon-View_Icon1Et revoilà Guy Romain Madienguela, sociologue, également chronique au journal La Loupe. Estimant que le «régime PDG joue au PMUG avec notre avenir et, entre un passé chaotique et un futur cahoteux, nous embrouille sur la réalité immédiate de ses résultats», il énumère cinq critères littéralement implacables, pour démontrer que le rêve de l’émergence à la gabonaise, n’est pas possible à l’échéance fixée.
Réalisée par Work Architecture Company, la maquette de la nouvelle Assemblée devant accueillir le prochain sommet de l’Union africaine en 2014 à Libreville

Depuis 2009, le sentiment d’insécurité, à tous les niveaux est grandissant. Fait gravissime, ceux à qui le président de la République a cédé une parcelle de son autorité use et abuse de celle-ci pour régler les comptes personnels. Conséquence, les Conseils de ministres sont devenus des repères privilégiés de «massacre» des citoyens de seconde zone dont la naissance ne s’explique pas. Pour peu, certains membres du gouvernement assassineraient volontiers ces indésirables. Dans ce contexte d’intolérance où le président de la République ne prend pas conscience du danger qui guette chacun de nous collectivement et individuellement, fatalement le Gabon va imploser. Parce que les opprimés d’aujourd’hui seront les oppresseurs de demain. Et tant que cette logique macabre ne s’arrêtera pas, le pire est toujours à craindre. C’est pourquoi, l’émergence de la «société gabonaise» en 2025, est une pure utopie. Ali peut-il se réveiller et démentir cette tragique prophétie ?

Quatre ans que nous sommes dans le quatrième dessous : à l’occasion des quatre ans d’Ali Bongo Ondimba à la tête du Gabon, Le quotidien L’Union a publié un «dossier» particulièrement riche et documenté sur ce que pouvait être un bilan économique de quatre années de pouvoir. Cette vision d’ensemble est ambitieuse (et plus favorable au pouvoir en place). Mais si l’exercice a un certain intérêt, il ne vaut rien dans la pratique tant les situations transitoires, les programmes contradictoires, et la pauvreté grandissante se sont ancrés dans notre pays.

Un bilan n’a de sens que s’il est pris sur un exercice, un programme précis, une période donnée qui en tout état de cause ne peut être de quatre ans, si l’on veut être sérieux. Aussi les performances de l’économie nationale ne peuvent être étudiées avec profit que si elles sont mises en parallèle avec celles des pays ayant la même taille ou faisant partie de la même zone géographique internationale ou du même espace économique (CEEAC par exemple) et d’un. Et de deux, l’histoire politique du Gabon d’après Omar Bongo Ondimba, qui est arrimée à la peur de son successeur de perdre brutalement le pouvoir (paradoxalement, il ne fait rien pour le conserver) ne peut que laisser l’impression d’un noir immobilisme pour ce qui est des réalisations sociales, morales et économiques.

La peur a des vertus politiques, elle participe de l’instinct de survie d’Ali Bongo Ondimba. Seulement, au plan économique, sa peur a des conséquences lourdes, la véritable science économique de monsieur Ali Bongo est la conservation de son pouvoir.

Autant l’idée d’un bilan «consolidé» des quatre années est peu glorieuse, autant celle d’un programme sur les trois prochaines années est hasardeuse, en l’état actuel des leviers et des outils de prévision dont nous disposons. Lesquels ne font pas la part belle à l’autodétermination économique. Comme pratiquement partout en Afrique francophone, le rêve de croissance soutenue est un espoir de découvertes de nouvelles ressources minières, un pari sur les revenus d’exploitation des richesses pétrolières.

Qu’à cela ne tienne ! On ne va pas refaire l’histoire, s’il fallait toutefois ne retenir qu’un bilan, ce serait celui de l’an I des Grandes Réalisations, qui est, lui, plus que mitigé. Le régime PDG joue au PMUG avec notre avenir et, entre un passé chaotique et un futur cahoteux, nous embrouille sur la réalité immédiate de ses résultats.

Que voudra dire «émergent» en 2025 ?

Le but n’est pas d’alarmer, les Gabonais ne m’ont pas attendu pour s’abonner à la fatalité, mais un minimum de lucidité rend tout à fait absurde l’illusion d’un Gabon prospère dans les 12 prochaines années. 2025 est plus près que ce qu’on croit. En considérant 2025 comme un horizon, c’est-à-dire la limite la plus lointaine du champ de vision d’Ali Bongo Ondimba, il nous reste 12 ans pour que ce qui jusqu’ici tient davantage du slogan auto-réalisateur se transforme en perspective soutenable et chiffrée, année après année.

L’économie n’est pas une science exacte, elle est une science sociale, c’est-à-dire qu’elle est par définition soumise à toutes sortes d’aléas humains, politiques, internationaux. Cette incertitude en fait souvent un art de l’esbroufe et de l’approximation.

La chance des Gabonais est d’avoir un pays où tout reste à faire

Le concept de pays émergent existe depuis une vingtaine d’années, rien ne dit qu’il aura la même charge symbolique, le même signifié, dans les douze prochaines années. Un nouvel acronyme ou un concept neuf sera probablement dans l’air du temps. Pour cette raison et pour celles qui suivent, le Gabon en 2025, personne ne sait ce qu’il sera, mais si l’on retient une modélisation mathématique sur la base des indicateurs actuels, on n’est pas sorti du tunnel et on sera toujours en immersion dans 15ans.

1 – Sans doute n’eût-il pas fallu s’aventurer au-delà de ce que Martin Luther king lui-même s’était permis. Il avait dit dans son anaphore célèbre I have a dream: «I have a dream that one day». Cette indétermination rendait à son discours toute sa part poétique de belle utopie. Au Gabon, on n’a pas dit «one day», on a dit à l’horizon 2025, c’est-à-dire en 2025 au plus tard. A cette échéance plus ou moins précise, on a accolé un concept vague et forcément fluctuant. A moins que cette «émergence» ne nous tombe du ciel, dans un paquet cadeau, on la voit mal arriver.

2 – Tous les pays dits émergents battent monnaie. Hier la Corée du Sud, Taiwan ou Singapour par exemple (les Dragons d’Asie aujourd’hui dits pays développés), de nos jours le Brésil, l’Inde, l’Egypte, l’Afrique du Sud, l’Indonésie ont une indépendance monétaire : le problème de la monnaie est réel. Et celui d’un marché boursier dynamique incontournable : en prenons-nous seulement le chemin ? Ce n’est pas le régime de change fixe qui est en cause, entendu que les pays d’Asie du Sud Est ont évolué vers cela par rapport au dollar, mais seulement l’idée de souveraineté et de libéralisation totale des mouvements de capitaux.

3 – Du riz, du lait made in Nigeria, des films, de la musique, le Gabon importe tout, jusque et y compris la propre compréhension de son économie (avec les conséquences attendues sur la balance des paiements)… Que ce soit sur le plan des nouvelles technologiques ou celui de l’agriculture, aucune action n’est amorcée qui permette de faire croire que le Gabon serait l’oiseau de Minerve d’Ali Bongo Ondimba, qui n’aurait attendu que le crépuscule de sa vie pour prendre son envol. Entre les pays émergents et les PRI (pays à revenus intermédiaires) dont nous faisons partie, il y a plusieurs étapes, plusieurs relais, comme les NPI (nouveaux pays industrialisés) que nous n’allons pas court-circuiter par un coup de baguette magique.

4 – Les Gabonais ont une mentalité faussement bourgeoise, ils sont un peuple de notables où les politiques les plus écoutés essaient de faire passer l’idée que certains métiers, qui sont le produit d’un contexte, sont honnis, et que les diplômes sont une valeur suffisante qui fait entrer leur titulaire dans la catégorie de citoyens auxquels le Gabon doit un emploi «noble». Cette admission sur titre à la grandeur rend tout le monde suffisant. Et ce sont des sous-diplômés que l’on voit améliorer leur niveau de vie et émerger au quotidien.

5 – Les universités et les pôles du savoir laissent à désirer. Combien de nos revues sont citées dans l’Impact Factor ? Combien de productions de nos savants sont indexées dans le Thomson Reuters Journal Citation Reports ? Aucune université gabonaise ne figure parmi les 100 meilleures universités africaines, les universités africaines sont pourtant les plus mal classées au monde : avec quelles compétences, quelles recherches allons-nous transformer ce Gabon, où tout n’est jamais que potentiel ? On peut évidemment discuter sur la pertinence de tout classement, mais les classements restent un indicateur intéressant d’un avachissement de notre personnel pensant et d’une tendance à la médiocrité qu’on ne saurait nier.

Un pays émergent est encore un pays en voie d’émergence

Rappelons pour finir que le concept de «Pays émergent» n’est pas forcément le plus flatteur. Il a une définition généralement négative : la Banque Mondiale considère comme pays émergent celui dont le PNB par habitant est inférieur à la moyenne mondiale, soit 8300 dollars par année ; les spécialistes de la revue économique Variances se déterminent, eux, sur la base de critères d’exclusion : «Serait émergent tout pays en dehors» de l’ALENA, l’OCDE ou n’étant pas repris dans les grands indices de marché tels que le MSCI (le MSCI World Index est un indice boursier mesurant la performance des marchés boursiers). Aucun indicateur précis pour les caractériser, c’est à croire que le concept a été créé exprès pour y loger les pays comme la Chine ou le Brésil qui, chacun le sait, sont bel et bien des pays «émergés» pour ainsi dire.

Seul, le Gabon ne peut rien. Et il ne sera possible de parler de notre économie comme d’un nouveau marché émergent que s’il intègre tous les autres Etats d’Afrique centrale, soit un marché d’environ 58 millions de consommateurs aujourd’hui, près de deux fois plus dans 20 ans. L’émergence du Gabon sera alors une réalité («one day»), l’horizon 2025 est une utopie.

Alors, qui voit pire ?

Guy Romain Madienguela, Docteur en sociologie

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