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Sommet de l’Élysée: Le repli sécuritaire compromet les nécessaires avancées démocratiques

François Hollande et Ali Bongo à l'Élysée, le 5 juillet 2012. © AFP PHOTO / ERIC FEFERBERG
François Hollande et Ali Bongo à l’Élysée, le 5 juillet 2012. © AFP PHOTO / ERIC FEFERBERG
Les 6 et 7 décembre 2013 se tient à Paris le Sommet de l’Élysée, consacré aux questions de paix et de sécurité et de développement sur le continent africain. Organisé à l’initiative de la France, l’évènement doit rassembler 54 représentants des pays africains, ainsi que ceux des Nations unies, de l’Union européenne et de l’Union africaine.

Reporters sans frontières appelle la France, les États d’Afrique, ainsi que les organisations internationales présentes à ce Sommet à aborder la question de la sécurité des journalistes et du respect de la liberté de l’information dans le cadre des actions destinées à garantir la sécurité nationale.

« Les crises du Mali et de la Centrafrique, la piraterie dans le Golfe d’Aden, le terrorisme des Shabaab somaliens ou de la secte Boko Haram, les conflits pro-tractés de la République démocratique du Congo ou du Soudan font du continent africain un lieu où les questions de sécurité et de paix se posent en priorité et mobilisent les puissances occidentales et africaines qui y voient une nécessité pour préserver un équilibre régional et international.

Ces mêmes nations savent bien que l’impératif sécuritaire immédiat ne dispense pas de considérer le moyen et le long terme : les transitions démocratiques et le renforcement des États, qui sont à l’agenda de toutes les négociations multipartites en faveur de la paix.

Or les jalons du moyen et du long terme se posent dès à présent. Il est illusoire de penser que des pays opérant un repli sécuritaire législatif aujourd’hui, adopteront des mesures démocratiques demain.

Nous demandons, qu’au cours de ce Sommet, les questions sécuritaires n’éludent pas les nécessaires considérations démocratiques sur le long terme, qui passent par le développement d’une presse libre et la garantie de la liberté de l’information », déclare Reporters sans frontières

« La tendance au repli sécuritaire à travers des lois liberticides pour l’information gagne de nombreux États africains. La sécurité nationale et la lutte contre le terrorisme ne doivent pas être utilisées comme prétextes pour affaiblir le débat démocratique et empêcher que les pratiques des dirigeants soient soumis au regard et à la critique légitime du public », ajoute l’organisation.

Argument sécuritaire

Dans de nombreux pays d’Afrique, les journalistes continuent de faire les frais de persécutions et de violences armées, malgré les protections dont ils bénéficient au niveau international aux termes de la Résolution 1738 du Conseil de sécurité des Nations unies, des Conventions de Genève et de la Résolution de l’Assemblée générale des Nations unies du 26 novembre 2013. Le plan d’action des Nations unies fait aussi obligation aux États « d’enquêter concrètement et poursuivre les crimes contre la liberté d’expression ». Ainsi la responsabilité de garantir la sécurité de l’exercice de la profession de journalistes échoit à ces mêmes États.

Pourtant dans son bilan annuel 2012, Reporters sans frontières a dénoncé une « hécatombe » pour les acteurs de l’information, avec 88 journalistes et 47 citoyens-journalistes tués, dont 22 sur le continent, sans que des enquêtes soient systématiquement ouvertes.

Reporters sans frontières a constaté que les États recourent de plus en plus à un arsenal législatif et judiciaire pour réprimer les journalistes. Dans ce cadre, l’argument « sécuritaire » se retourne alors souvent contre eux et devient un prétexte pour mettre en œuvre une politique liberticide. Les lois relatives au terrorisme, à la trahison, à la sécurité nationale ou au secret d’État sont utilisées de façon abusive et détournées de leur objectif pour réprimer des journalistes et en dissuader d’autres, en violation flagrante des obligations internationales, notamment de l’article 19 du Pacte International sur les droits civils et politiques. Car, si la « sauvegarde de la sécurité nationale » est un motif légitime pour restreindre la liberté d’expression, il n’est admis que sous certaines conditions, notamment de prévisibilité de la loi, de proportionnalité et de nécessité. Le rapporteur spécial sur la liberté d’expression Frank LaRue l’a rappelé : « La protection des secrets de sécurité nationale ne peut jamais être utilisée comme prétexte pour intimer la presse au silence et la contraindre à renoncer à son travail crucial de clarification des violations des droits de l’homme ».

Les exemples d’instrumentalisation de l’argument sécuritaire pour restreindre la liberté de l’information ne manque pas. D’autant plus que, le plus souvent, ce sont des pays « en paix » qui adoptent ces textes et comportement liberticides.

En Éthiopie, la loi anti-terroriste est utilisée comme un prétexte pour mettre derrière les barreaux toute personne critique du régime. Ironiquement, le porte-parole d’un syndicat de journalistes éthiopiens le revendique même : « Nous sommes fiers qu’en Éthiopie il n’y ait aucun journaliste emprisonné pour ses activités professionnelles ». En effet, les quatre journalistes emprisonnés en raison de leur activité professionnelle, le sont sous le coup de la loi anti-terrorisme de 2009.

En Sierra Leone, deux journalistes sont toujours inculpés pour « sédition » après avoir publié un éditorial jugé critique du chef de l’État.

Au Tchad, l’éditeur Samory Ngaradoumbé est poursuivi pour avoir « diffamé l’armée » dans un article faisant état du mécontentement de l’armée nationale tchadienne.

Au Burundi, la loi sur la presse, votée au printemps 2013 jugée très répressive, prévoit dans ses articles 14 et 18, vingt sujets que les journalistes ne peuvent tout simplement pas traiter. En premières places ont trouve évidemment les questions liées à « l’unité nationale », « l’ordre et la sécurité publics », « la souveraineté nationale.

« Régulation » à la dérive

Après les attentats du centre commercial Westgate et alors que ses deux plus hauts représentants comparaissent devant la Cour pénale internationale, le Kenya considère un projet de loi qui confèrerait à l’organe de régulation des médias, le Kenya Media Council, le pouvoir de modifier à loisir les textes relatifs au statut des journalistes, comprenant des provisions sur le ton que les médias doivent employer et la façon dont ils doivent présenter certains évènements sécuritaires.

Parfois, ce sont les organes de régulation, censés protéger les journalistes, dont la composition ou le fonctionnement sont cooptés par l’exécutif afin d’en faire des outils de contrôle et de répression.

Cette semaine même au Congo Brazzaville, deux journaux ont écopé d’une suspension de neuf mois de la part du Conseil Supérieur sur la Liberté de la Communication pour avoir « insulté la police nationale et manipulé l’opinion » après une interview d’une victime de violences policières, et pour avoir « insulté l’armée » à la suite d’un article critique de l’institution.

Au Cameroun, c’est le Conseil supérieur de la communication, dont le Président est proche du pouvoir, qui a lancé une procédure à l’encontre d’un journal accusé d’avoir enfreint le « secret défense » pour avoir parlé d’une opération de rapatriement de membres présumés de Boko Haram qui avait fait plusieurs morts civils.

Ce durcissement se retrouve à travers tout le continent. En 2013, la Tanzanie, la Gambie, le Rwanda et la Somalie ont soumis ou fait passer des textes faisant état de préoccupations sécuritaires justifiant des limites dans le traitement de l’information.

Au moment où les experts de l’ONU s’alarment dans une déclaration du 3 décembre 2013 des tendances au durcissement contre les libertés publiques en Afrique, il est important que la liberté de l’information soit, moins que jamais, sacrifiée.

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