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Plongée dans les entrailles du harcèlement sexuel au Gabon

harcelement-sexuel-au-travail_gabon1Des popotins importunément tapotés, un gay qui agrippe les attributs sexuels de son collègue, une officière de l’armée qui bizute un soldat, des chercheuses d’emploi qu’on fait chanter, des élèves qui décroisent les jambes pour aguicher des enseignants, une improbabilité quant aux preuves, une quasi absence de la loi, etc. Le harcèlement sexuel sur le lieu de travail prospère décidément. Il reste mal défini et n’offre pas vraiment de protection juridique. Descente dans la lubricité en milieu professionnel.

En juin 2012 le président Ali Bongo dénonçait, dans un discours devant les hauts cadres du pays, la corruption, le harcèlement sexuel et le trafic d’influence dans l’administration. «Le harcèlement sexuel prend de l’ampleur et démotive les personnes compétentes», lançait-il pour fustiger les comportements rétrogrades de certains fonctionnaires. Un peu comme pour traduire ce réquisitoire en acte, Ida Reteno Assonouet, alors ministre de la Justice, proposait, le 21 novembre de la même année devant la Commission des Lois, des Affaires administratives et des Droits de l’Homme de l’Assemblée nationale, des amendements du code pénal gabonais actuel, visant à réprimer sévèrement le harcèlement sexuel en milieu professionnel. Depuis lors les choses n’ont pas vraiment bougé, même si en mai dernier un texte de loi, initié par Angélique Ngoma, était examiné à l’Assemblée nationale. La proposition de l’élue de Mayumba porte, a-t-on alors appris, sur les principes et mécanismes de lutte contre le harcèlement sexuel en milieu professionnel.

Ainsi, le sujet tabou du harcèlement sexuel en milieu professionnel sort de plus en plus de l’ombre. Le phénomène était en effet mal défini et ne donnait en général lieu à aucune protection juridique un peu partout dans le monde, encore plus au Gabon où de nombreuses femmes s’emmurent dans l’omerta, de peur non seulement de ne pouvoir avoir gain de cause, mais surtout de perdre leur emploi.

«J’ai gagné six millions de F.CFA dans un procès contre la banque qui m’employait. Si au tribunal, il s’est agit d’un procès pour licenciement abusif, le fond du problème est que j’avais été victime de harcèlement sexuel», raconte Cathy, une belle métisse de Libreville aux formes avantageuses. «Ne sachant que faire, poursuit-elle, j’avais fait convoquer à la police mon chef de service parce qu’il me soumettait à un chantage dont la rançon était de m’offrir à lui. Il a convaincu la hiérarchie qu’en l’amenant au commissariat j’avais porté atteinte à l’image de la banque. C’était la raison officielle de mon licenciement après de longues années de bons et loyaux services.»

Ce témoignage schématise la problématique du harcèlement sexuel en milieu professionnel dans sa globalité : Les moyens de recours sont inconnus ou difficiles ; il est facile pour celui qui harcèle de renier les faits et de retourner la situation ; souvent la victime est la seule à en faire les frais.

Le code du travail au Gabon ne comporte en effet aucune disposition concernant le harcèlement sexuel. Ce qui fait que de nombreuses femmes, ou même des hommes, faisant l’objet de ce type de chantage en viennent à perdre leur emploi. Même lorsqu’ils sont soumis à l’Inspection du travail, les cas de harcèlement sexuel sont aussi difficiles à prouver qu’à trancher. Dans les cas d’une conciliation réussie, l’Inspection du travail obtient tout au plus l’affectation de la victime dans un autre service afin d’éloigner les protagonistes. Aucun dédommagement pour le préjudice subi.

Me Fabien Méré, avocat au barreau de Libreville, soutenait en novembre 2007 que le Code pénal gabonais ne comporte aucune disposition relative au harcèlement sexuel. Tout comme le tribunal de Libreville n’a enregistré, à sa connaissance, aucun cas de jurisprudence qui pourrait servir de recours. Mais, cette absence de dispositif juridique ne saurait signifier que le harcèlement sexuel n’existe pas au Gabon. La pratique y est plutôt assez courante au regard de ce qu’on enregistre dans les milieux du travail au Gabon et de nombreux agissements remplissent bien les critères du concept de harcèlement sexuel tel que défini sous d’autres cieux.

© D.R.
La notion de harcèlement sexuel

On parle d’harcèlement sexuel lorsqu’une personne agit en vue d’obtenir des faveurs de nature sexuelle à son profit ou au profit d’un tiers. Son auteur peut être un employeur, une personne chargée du recrutement, un client de l’entreprise mais aussi un collègue de la victime. Le harcèlement sexuel peut prendre des formes diverses : chantage à l’embauche ou à la promotion, menaces de représailles en cas de refus de céder à des avances sexuelles. Victime ou agresseur, les deux sexes sont concernés et le harcèlement sexuel peut avoir des conséquences sur l’emploi, la carrière, les conditions de travail et la santé psychologique du salarié.

«Mon patron me répète souvent qu’il pourrait vraiment aider ma carrière si j’offrais un peu plus. Lorsque je lui demande quoi offrir de plus, il me répond : «vous devriez comprendre, vous êtes une femme.», raconte Félicité N. secrétaire dans une agence immobilière. Un autre cas est celui d’Anne-Florence, comptable et seule femme dans un service comprenant quatre hommes. Ceux-ci lui font souvent des remarques comme «C’est un travail d’homme» ou «Les femmes devraient rester à la maison pour faire la vaisselle et le lavage.» Parfois ils la frôlent, la serrent ou la pincent. Dans ces deux cas, qui pourraient sembler anodins, il y aharcèlement sexuel.

Il y a également harcèlement sexuel lorsque certains comportements ont lieu en dehors des heures de travail ou à l’extérieur du milieu de travail. Notamment si la soumission ou le refus de se soumettre à ce comportement influence des décisions concernant un emploi. Ce qui peut très bien s’illustrer par l’histoire que raconte Yolande N. : «Le directeur des programmes d’une radio où je sollicitais un emploi m’avait rencontré par hasard dans un night-club. Je lui avais accordé une danse au cours de laquelle j’ai refusé qu’il m’agrippe le postérieur ainsi qu’il s’évertuait à vouloir le faire. Du fait de son insistance dans ce geste, j’ai quitté la piste et j’ai repoussé par la suite toutes ses autres demandes à danser. Dans la semaine qui suivait, mon dossier était mystérieusement introuvable dans son bureau. Lorsque je lui ai ramené un autre dossier, il m’a invité à le retrouver dans la même boite de nuit en me précisant que je devrais être plus gentille que la dernière fois. Ce que j’ai refusé. Je n’ai plus jamais accédé aux auditions promises après étude de mon dossier et c’est ainsi que j’ai raté ma place dans cette radio.»

La grande majorité des cas de harcèlement sexuel sont en effet enregistrés au moment de l’embauche. Et, les principales victimes sont des femmes jeunes dans leur premier emploi ou des femmes qui reprennent leur carrière après une interruption. Ces victimes sont généralement vulnérables du fait de leur âge ou de leur statut professionnel. C’est le cas de Brigitte Malonda, une jeune dame timide au physique impeccable, embauchée comme technicienne de surface dans une entreprise d’informatique, «J’arrivais pour la première fois à Libreville en provenance de Mayumba. Comme je suis timide et polie, la plupart des hommes dans l’entreprise où j’avais été engagée comme ménagère avaient trouvé en moi “un gibier” qu’il fallait abattre. Dans presque tous les bureaux où je devais faire le nettoyage, ils n’hésitaient pas à me donner des tapes aux fesses, me toucher les seins ou fermer le bureau pour tenter de me persuader de faire l’amour. Lorsque que je me suis plaint au patron, lui aussi m’a proposé sa protection et même de m’affecter comme aide magasinier si j’acceptais de sortir avec lui. Je n’y comprenais rien. J’ai finalement été accusée de vol et on m’a renvoyée.»

Souvent de nombreuses femmes cèdent au chantage et, dans ce cas le maître-chanteur peut penser qu’il ne s’agit pas de harcèlement sexuel, puisqu’il y a consentement. Pourtant, d’un point de vue purement moral, le consentement ne saurait être un argument valable s’il est obtenu au moyen de menaces ou de promesses au sujet d’un emploi. De même, le silence ne signifie pas nécessairement qu’il y a consentement.

Les exemples de harcèlement sexuel se comptent également dans les remarques dégradantes sur l’un ou l’autre des sexes ; les pincements, étreintes, frôlements et tapotements importuns ; les demandes, remarques, plaisanteries ou gestes importuns à caractère sexuel ; les évaluations ou blâmes injustes, heures de travail réduites, surcharge de travail, licenciements, mesures disciplinaires ou refus d’embaucher, s’il s’agit de vengeance à la suite d’un refus de se soumettre au harcèlement sexuel.

Sandra O., diplômée d’une école de gastronomie, raconte : «J’étais engagée à l’essai dans un restaurant situé au bord de mer. A la cuisine j’étais la seule femme et le chef a commencé à me faire la cour. Au bout de deux mois, voyant que je ne voulais pas lui accorder mes faveurs, il m’a promis qu’il allait me faire partir. Je ne le croyais pas mais il a commencé à saper mon travail et à monter contre moi les autres cuisiniers ainsi que ma cousine qui travaillait en salle. Un jour, il a raconté des bobards à celle-ci et elle est en venue à se battre avec moi. Le témoignage de mon harceleur a été orienté contre moi et je me suis retrouvée à la porte. Il avait réussi et personne ne m’a crût lorsque j’ai raconté que le chef me haïssait parce que j’avais refusé de coucher avec lui. Comment d’ailleurs pouvais-je le prouver ?»

© D.R.
Des hommes également harcelés

Les femmes ne sont pas les seules à être victimes d’harcèlement sexuel dans le milieu du travail. Les hommes aussi. Si, par habitude ou du fait de l’usage, les faveurs de ceux-ci sont moins sollicitées par la gent féminine, ils sont parfois l’objet de harcèlement de la part des homosexuels qui peuvent travailler dans la même entreprise qu’eux. François N., stagiaire dans une agence de publicité, raconte : «Cela crevait l’œil : Cyprien, un cadre influent de l’entreprise était un homosexuel. Du fait de mon look branché, il était persuadé que j’avais des dispositions à accepter ses avances. Au début, j’ai poliment refusé mais il a fini par se montrer fou ou plutôt «folle». Il n’hésitait pas à suivre aux toilettes, à se coller derrière moi lorsque j’étais devant la machine à café ou à me tapoter les fesses. Un jour alors que nous nous étions croisés dans un couloir de l’entreprise, il s’est permis de m’agripper les attributs sexuels. Mon sang n’a fait qu’un tour. Je l’ai tabassé et l’ai mis à sang. Malgré que de nombreux collègues savaient ce qu’il me faisait subir et que son orientation sexuelle ne pouvait prêter à confusion, personne n’a voulu témoigner en ma faveur. Bien au contraire j’ai été traité d’homophobe et J’ai été renvoyé. J’apprendrais plus tard que le patron de l’entreprise était l’amant de mon harceleur.»

Le cas de François N. peut paraître extrême mais les exemples d’homosexuels puissants qui usent et abusent de leur position ou de leur autorité dans le milieu professionnel sont nombreux. Du fait que l’homosexualité est honteuse au Gabon, de nombreuses personnes se refusent à livrer des témoignages sur le harcèlement sexuel y relatif. Le cas de François N. relève en touts cas de l’abus d’autorité.

Pour en rester au cas des hommes victimes de harcèlement sexuel, on notera que les femmes qui harcèlent sont moins nombreuses et beaucoup plus fines et elles n’usent pas toujours de la répétition. Un refus au premier essai peut tout de suite déboucher sur le déploiement des représailles. L’anecdote d’un jeune militaire ayant requis l’anonymat est assez illustratif à ce propos : «Je venais d’être recruté et une dame officier m’a fait appeler dans son bureau. Devant d’autres dames officiers, elle s’est penchée en avant sur son bureau et m’a intimé l’ordre de mimer un acte sexuel sur son postérieur. C’était du bizutage et je me suis exécuté devant ses collègues qui me raillaient. Quelques jours après, le scénario a recommencé et cette fois nous n’étions que deux dans son bureau. J’ai un peu boudé et elle m’a demandé si cela ne disait pas de passer réellement à l’acte dans un autre endroit. Elle avait sensiblement l’âge de ma mère et je craignais la suite que cela pourrait avoir. J’ai donc décliné l’offre. Plus jamais, elle n’a réitéré sa proposition. Mais par la suite j’ai été l’objet de nombreuses autres brimades et de corvées difficiles de la part de nombreux de mes supérieurs qu’elle n’hésitait pas à monter contre moi sous le prétexte que je lui avais manqué de respect. Durant plus d’une année, j’ai été son souffre-douleur, son homme à brimer. Je n’avais aucun moyen de me plaindre et je n’ai connu le répit que lorsqu’elle a été mutée ailleurs. »

Dans la société gabonaise, la femme ne prend pas traditionnellement l’initiative de la conquête. Autrement dit, elle ne drague presque jamais. Il est donc difficile pour un travailleur gabonais d’être pris au sérieux lorsqu’il veut faire comprendre qu’il est victime d’harcèlement sexuel, entendu dans l’imagerie populaire que seule les «filles de Yogo santé», les « tuées-tuées», entendez filles de joie ou belles de nuit, peuvent aguicher un homme. Il faudra donc à un homme beaucoup plus d’argument ou de preuves.

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La problématique des preuves et l’absence de dispositions juridiques

Mais, des preuves pour faire quoi au Gabon, pays dans lequel, ainsi que précisé plus haut par Me Méré, il n’existe aucune disposition juridique. Il est pourtant légitime de faire cesser le harcèlement sexuel en portant le problème devant les supérieurs hiérarchiques de l’entreprise ou devant les autorités judiciaires. Mais comment établir la véracité des faits. Ainsi qu’on l’a vu dans de nombreux exemples, la plaignante ou le plaignant manque souvent d’éléments pour attester les faits qu’on voudrait faire cesser ou voir réparés. Comment donc prouver des gestes ou des paroles lubriques, surtout lorsque la loi n’a pas clairement défini ce qu’est le harcèlement sexuel ? Dans d’autres pays, notamment la France qui a souvent servi de modèle à la justice gabonaise, le harcèlement sexuel est juridiquement reconnu comme un délit. Il est réprimé par le code du travail et par le code pénal.

Le problème juridique tient toujours de l’absence d’élément matériel et de la possibilité de quiproquos ou de mauvaise interprétation de propos ambigus. Une décision rendue en mai 2007, par la Cour de cassation en France, reconnaît que l’usage d’un SMS envoyé par le harceleur est de nature à établir la réalité des faits. Ce qui pourrait également servir au Gabon. On peut également, solliciter le témoignage de quelques collègues. Mais, dans la plupart des cas, le harceleur étant un supérieur hiérarchique, les collègues de travail, craignant pour leur emploi refusent souvent de témoigner.

«Le harcèlement sexuel n’étant pas prévu par le code pénal gabonais, le tribunal jugera l’harceleur en invoquant les infractions de catégorie 3 du code pénal», poursuit l’officier de gendarmerie sus cité, avant d’ajouter : «Ce sont des délits assimilés qui serviront à juger le prévenu. Car le code pénal contient des dispositions sur « l’atteinte à l’honneur », « l’atteinte à l’intégrité morale » ou même « le harcèlement moral ».» Il s’agit là de ce que Me Fabien Méré nomme les délits connexes qui sont les seuls sur la base desquels le harcèlement sexuel peut être porté devant les tribunaux.

La plainte devant le tribunal étant l’étape ultime pour faire cesser un harcèlement, la victime (ou témoin) de harcèlement sexuel peut commencer par adresser aux représentants du personnel de son entreprise. Ceux-ci peuvent trouver de voies et moyens pour une conciliation devant garantir l’harmonie au sein de l’entreprise ou de l’administration.

Les entreprises et administrations publiques pourraient en effet réaliser des actions d’information et de sensibilisation des salariés sur les différentes formes d’abus d’autorité en matière sexuelle dans les relations de travail ; mettre en place une procédure interne visant à assurer un recours aux personnes victimes de harcèlement sexuel : nomination de la ou des personnes habilitées à recevoir la plainte de l’intéressé(e) et à tenter de résoudre le conflit, le cas échéant avec un membre de la direction. Il y va de la bonne marche de l’administration ou de l’entreprise et de l’harmonie entre ses différents acteurs. Sans pour autant condamner ou interdire la drague, dans les normes, en milieu de travail, chacun devrait comprendre que le marché de la rencontre est plus vaste et plus fourni à l’extérieur du milieu professionnel qu’il est déplorable de s’en priver pour s’acharner sur un(e) collègue qui a de bonnes raisons de préserver sa dignité. Le changement sera individuel ou il ne sera pas.

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