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Le sillon d’une hypothétique émancipation : leçons et apprentissage

Quelques membres d’«Héritage et Modernité», le week-end dernier à Libreville. © Gabonreview
Quelques membres d’«Héritage et Modernité», le week-end dernier à Libreville. © Gabonreview
Percutant, incisif comme à son habitude, Noël Bertrand Boundzanga, docteur en littérature comparée et civilisations francophones déjà publié sur Gabonreview, livre, à travers le libre propos ci-après, une lecture philosophique et politique de l’inédite percée, au sein du PDG, du mouvement « Héritage et Modernité ». Psychanalyse et ontologie d’un phénomène au suc fourni par des racines profondes mais aux fruits résolument mutants et imprévisibles pour l’arène politique nationale.

Ali Bongo a voulu fragiliser le PDG et il a enfanté Barro Chambrier. Parmi toutes les erreurs humaines, certaines sont excusables, d’autres sont insupportables et impardonnables. L’an 2012 aura laissé des traces qui ne se cicatriseront que dans une tragédie politique. Parce qu’un congrès aura décidé de « décentrer le centre de décisions ». On aurait pu s’attendre à ce que cette mobilité du centre génère des décisions efficaces ; au lieu de ça, elle a pris des décisions contre-productives et provoqué des fissures bientôt abyssales. Ce nouveau centre du nom du MOGABO, dont on entend au lointain la dysphonie, laissa perplexes ceux qui, des siècles durant, étaient tout à la fois les ouvriers et les templiers d’un ordre contestable en dépit de tout. Les nouveaux visages qui s’affublaient des valeurs de fidélité et d’efficacité, Onanga Y’Obégué, Moubelé Moubeya, Bilie-Bi Nzé, Manfoumby et consorts, montrèrent trop tôt leur incurie et leurs relents ségrégationnistes. L’émergence nia l’héritage, impossible selon eux de faire du neuf avec du vieux. Ils croyaient faire l’ange, ils faisaient en réalité la bête. Ils n’étaient donc pas à leur place. Alors, ceux qui avaient les mains dans le cambouis s’en offusquèrent. Naquit alors, dans un fracas inédit, « Héritage et Modernité ». Enième histoire qui n’est plus qu’une histoire de clans, mais de scission. La guerre entre Ali Bongo et Barro Chambrier aura bien lieu ; les Mogabistes attachés à Bongo Ondimba et les Moderno-héritiers tomberont dans le feu ardent et impitoyable des luttes pour la conservation ou la prise du pouvoir. Les premiers tiennent la présidence de la République, les seconds le Parlement. Toute une histoire de sens ! Les souris sont bien dans le sac d’arachides, Guy Nzouba Ndama le sait… il en est probablement une.

Sortir de la route de la servitude

Ali Bongo avait pensé la politique en termes d’essence, réductible à la naissance, et d’identités (loges maçonniques et réseau d’affaires), voici qu’il découvre que la politique est affaire de devenirs, de transformations et que naître n’était pas suffisant pour sauvegarder les privilèges. Dans la bataille entre l’inné et l’acquis, il était demeuré dans l’inné pendant que les autres, ses amis et ses adversaires, sont le fruit d’une construction. Le constructivisme justement, il n’en savait rien ; c’est pourquoi il rêvait d’une monarchie. Ali Bongo est fondamentaliste parce que le nom du père est son fondement et sa seule certitude. Désormais, il y a des défondamentalistes ; ceux qui veulent ruiner les fondations patronymiques et désacraliser les faux dieux qui se veulent éternels. Chambrier, Michel Menga, Mabiala, Alexis Boutamba, Vincent Gondjout… tiennent non à l’héritage du nom Bongo, mais à l’héritage politique en tant que le PDG est le produit d’un travail de plusieurs hommes dont aucune famille ne peut revendiquer seule la paternité. Pour eux, c’est un patrimoine commun qu’Ali Bongo veut dilapider sous le prétexte de la fumisterie de l’émergence. Précisément. La racine, ce qui lui manque tant… Le geste de Barro Chambrier et ses amis est de sortir du dogmatisme patronymique, de sortir de l’idée que le PDG est une propriété exclusive des Bongo alors que des générations politiques entières l’ont façonné. Et ce n’est donc pas Ali Bongo qui peut investir tel ou tel candidat, notamment Barro Chambrier, mais le Parti Démocratique Gabonais… leur bien collectif. Ce fut une grossièreté de ramener à lui la prérogative de l’investiture et de rappeler que c’est lui qui nomme, qui défait, qui promeut et qui, comme son père, « fait d’un chien un ministre ». Peut-être que, enfin, ceux qu’il croit être des chiens sont des hommes. Et puisque les hommes sont le produit d’une culture, ils sont capables de construire une autre histoire et d’inverser une courbe. Ils viennent d’accéder à la pénombre, pas encore à la lumière. Emmurés dans l’existence, réduits à n’être que des objets (ontique), les voilà qui se posent désormais la question de l’être (ontologie), lieu où se révèle la valeur la plus éternelle et la plus spirituelle qui spécifie l’Homme. Ça aura duré, mais enfin mieux vaut tard que jamais ! C’est curieux qu’avec autant de philosophes qui entourent le légataire universel, il méprise le mécanisme de la dialectique du maître et de l’esclave, oubliant ainsi la sommaire logique de l’interaction sociale. Les esclaves font le maître qu’ils peuvent démettre et réciproquement. Le travail est leur seule foi ; travail au sens de construction et instrumentalisation, non en tant que valeur.

Le mandat de la fidélité est bientôt fini

En 2009, bien qu’il fut possible au PDG d’écrire son histoire avec un autre nom, les templiers tenaient quand même à donner à Ali Bongo le fauteuil présidentiel pour rester dans leur fidélisme habituel. Le fidélisme, c’est le courant défendu par Mboumbou Miyakou et qui a jeté aux orties la loyauté à l’égard de l’Etat. C’est une autre époque. L’Etat n’existe pas dans leur conception de la pratique politique, c’est pourquoi il n’y avait aucun sens à se battre pour la République. Aujourd’hui, les héritiers se réclament une modernité. Ceux qui sont encore dans le fidélisme sont en retard, ils ne voient pas que les choses changent. Les Mogabistes sont ceux qui incarnent cette doctrine qui poursuit la déification du pouvoir et de ceux qui l’incarnent. Et, d’une certaine manière, eux-mêmes se projettent ainsi, baignant dans une ténébreuse illusion qui les ruinera bientôt. Donc, on est passé de l’âge du fidélisme à l’âge de l’autonomie et de l’humanisme. Les templiers comme Sandongou, Joumas, Rogombe… sont morts. Et même s’il en reste deux ou trois, ils ne seront pas prêts à défendre Ali Bongo en 2016. Parce que l’un des templiers n’est autre que Guy Nzouba Ndama, dont le nom est maltraité par la grande fratrie de l’émergence. La repentance des barbares a commencé et il n’y aura pas un autre mandat de fidélité. Le retournement de Barro Chambrier et des parlementaires est pour l’instant un geste interrogatif, mais qui ne manque pas de montrer un projet émancipateur. Certains ont pris leur liberté, notamment Paulette Missambo, Casimir Oyé Mba, feu André Mba Obame, Ndong Sima, Jean Ping, Ndemezo’Obiang… qui ont décidé de rompre avec le fidélisme et le PDG. Les Moderno-héritiers veulent rester au PDG et tiennent à assumer leur patrimoine politique. C’est un choix qui a du sens parce qu’il faut aussi miner le fruit de l’intérieur.

Bongo est mort, vive le PDG

Ali Bongo n’a pas d’effet magnétique, et c’est sans doute son plus grand malheur. Aimant le spectacle, il croit toujours vrai ce qu’il voit… il ignore le simulacre. Que voit-il donc ? Des gens qui l’entourent, qui organisent des marches pour lui, des jeunes qui marchent… préférant le plébiscite médiatique à l’adhésion politique. Sous l’effet d’hypnose, les pédégistes avaient intériorisé certaines contraintes. La discipline équivalait à l’interdiction de critiquer, et ils avalaient la couleuvre malgré tout… l’argent du pétrole suffisait à leur fermer la bouche. Les Moderno-héritiers, dont on ne perçoit pas encore la ligne doctrinale au sein de la République, sont aussi riches que les fidélistes. Ce n’est donc pas l’argent qui les fait courir. On peut leur soupçonner une revendication émancipatrice qui déborde d’ailleurs le cadre du PDG. Ce désir d’émancipation est consécutif non seulement aux insuccès de l’émergence et à ses errements politiques, mais également au fait que Bongo est mort, lui dont l’effet magnétique exerce sur certains un vrai pouvoir hypnotique. En 2009, sur trois candidats, deux se réclamaient du « bongoïsme », notamment Ali Bongo et André Mba Obame. La totalité des suffrages exprimés en faveur de leurs noms était symptomatique de l’attachement au nom de « Bongo ». Le fils biologique (?) et le fils spirituel avaient un lieu commun : l’héritage de Bongo. Cette question fait toujours d’ailleurs débat et l’on commence sérieusement à se demander la nature et la valeur de cet héritage. Car le PDG n’est pas un legs d’Omar Bongo seul. Les Rawiri, Ntoutoum Emane et autres Myboto (bien que désormais opposant) méritent qu’on reconnaisse aussi leur paternité dans l’histoire de ce parti. Barro Chambrier fait une distinction capitale et certainement salvatrice pour les pédégistes. Assumer le PDG, ce n’est pas se condamner et se prostituer auprès d’Ali Bongo dont les turpitudes peuplent désormais la vie quotidienne. Acte de défiance certes, mais aussi volonté émancipatrice qui désacralise le nom de Bongo autant qu’il ouvre de nouvelles perspectives pour le PDG.

Et l’opposition donc ?

Ping et Maganga Moussavou occupent la scène médiatique de l’opposition, s’octroyant désormais les qualités de candidat à la présidentielle de 2016 au moment où les Parlementaires du PDG tentent de se défaire d’une candidature naturelle trop biologique et trop controversée pour être émancipatrice. La stratégie de l’Opposition ne rassure pas. Outre le Club 90, Marc Ona Essangui, Ndong Sima et d’autres cadres citoyens et politiques demandent la création d’une plateforme de discussions susceptibles de mettre à jour d’abord les conditions d’une élection transparente et ensuite la possibilité d’une candidature de l’Opposition. Obnubilés à l’idée d’être candidat à l’élection présidentielle, les potentiels candidats oublient même qu’ils peuvent devenir président de la République… à condition d’entrer dans une dynamique unitaire. Il n’y a pas deux fauteuils présidentiels, et pour changer le pays il n’est pas toujours utile d’en être le chef. Des choses curieuses apparaissent qui laissent cois les observateurs de la vie politique et le Peuple de l’alternance. L’apparition de la figure de Ping est symétrique à la déliquescence de l’Union nationale engluée dans les préoccupations de législatives partielles. Un boulevard était pourtant perceptible pour le parti de Myboto et le Front de l’Opposition pour l’Alternance. Mais la soudaine arrivée de Ping complique les équations, d’autant qu’il bouscule les hiérarchies. Ce qui n’est pas loin de rappeler la candidature d’André Mba Obame en 2009, perturbant l’électorat et ruinant les chances (improbables) d’une élection de Mamboundou. Et là, comme un être providentiel, un nouvel homme fort vient semer la zizanie des appareils politiques d’antan. On le sait, la seule condition pour rêver d’alternance, pour la rendre possible, c’est de s’entendre sur la méthodologie et le contenu de cette alternance. Les divisions ne rassurent guère. L’union est leur (notre) seule chance ; et pour l’heure, elle est bien loin. L’Opposition et la société civile acquise à l’alternance risquent de tourner en rond et d’être dans un éternel recommencement. Pour ne pas obliger les populations à se tourner vers une bataille de tous les dangers au PDG, l’Opposition doit donner un signale fort de leur capacité à s’unir. Son dilettantisme pourrait assurer à l’irrévérencieux Barro Chambrier la continuité du Régime, s’il réussit le miracle de faire tomber Ali Bongo. On lui souhaite, même dans le pire des cas, plein succès ! De part et d’autre, l’expérience enseigne, mais l’audace est une belle leçon à apprendre.

Enseignant-Chercheur à l’UOB

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