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Ali Bongo: « Nous cédons nos hôtels particuliers à l’Etat gabonais »

INTERVIEW PATRICK FORESTIER
Pour le président du Gabon, environnement et migrations sont liés. Par ailleurs, il commente sa décision de renoncer à l’héritage de son père au profit de son pays et réagit aux polémiques avec la France.

Paris Match. L’Etat gabonais souhaitait davantage imposer Total, qui exploite le pétrole du Gabon. Un accord a-t-il été trouvé ?

Ali Bongo. Il n’y a jamais eu de crise entre le Gabon et la France à propos de Total. Dans tous les pays du monde, l’administration fiscale organise des audits auprès des entreprises. Cela n’a rien d’exceptionnel. Et comme cela se fait partout, il y a eu négociation entre l’administration et l’entreprise, jusqu’à ce qu’un accord soit trouvé. Nous avons procédé de la même manière avec d’autres sociétés, dont une, achetée par des intérêts chinois, qui a reconnu qu’elle devait des fonds à l’Etat. Mais avec Total, on a voulu en faire une affaire d’Etat. Cela voudrait-il dire qu’au Gabon nous n’avons pas le droit de regarder ce que Total fait ? C’est cela le message ? Nous n’avons pas compris le degré de crise donné à cette affaire qui est, Dieu merci, aujourd’hui résolue.

Vous avez annoncé, en août, que vous cédiez à la jeunesse gabonaise un grand terrain à Libreville et des hôtels particuliers à Paris qui vous appartiennent. Pourquoi cette démarche ?

J’ai été frappé par l’annonce faite par Bill Gates et Warren Buffett, qui ont décidé de consacrer une grande partie de leur fortune à une fondation. Je trouvais que c’était une bonne initiative, d’autant plus que, depuis la mort de mon père, Omar Bongo Ondimba, la succession n’est pas réglée. J’estimais que je devais pouvoir faire quelque chose pour aider nos compatriotes, car le Gabon est arrivé à une période importante sur le plan économique. J’ai donc lancé l’idée qu’il doit être classé parmi les pays émergents à l’horizon 2025, en s’appuyant sur trois piliers : le Gabon vert, le Gabon industriel et le Gabon des services. J’ai donc décidé d’affecter les revenus de mon héritage à une fondation qui soutiendra des programmes de construction d’écoles et d’universités, de bourses et d’apprentissage auprès de sociétés.

Cette initiative a-t-elle commencé ?

Bien sûr ! Au Gabon, j’ai déjà transféré le titre foncier de la propriété mitoyenne du camp De Gaulle à l’Etat. C’est du concret. Nous sommes en train d’étudier le démarrage effectif de l’université en matière de filières de formation et de contenus des programmes. Des architectes sont à pied d’œuvre pour que nous puissions commencer la construction.

« NOTRE PAYS EST LE SEUL EN AFRIQUE À OFFRIR UNE BOURSE À TOUS SES ÉTUDIANTS »

Pourquoi ce rôle n’est-il pas dévolu à l’Education nationale ?

Le gouvernement a déjà fait un grand effort. Notre pays est le seul en Afrique à offrir une bourse à tous ses étudiants, du secondaire au supérieur. De moins de 10 000, nous sommes passés à 30 000 étudiants boursiers, qui seront 35 000 en 2016. Du coup, les structures et les campus sont bondés. Huit pour cent des étudiants africains en France sont gabonais. L’Etat consacre plus de 12 % de ses ressources budgétaires aux secteurs de l’éducation et de la formation. J’ai donc voulu apporter ma part à cet effort global en faveur de la jeunesse gabonaise.

Vous avez aussi annoncé céder deux hôtels particuliers à Paris…

La famille n’a pas l’usage de ces hôtels. En particulier de l’un d’eux. Aucun de mes frères et sœurs ne l’occupe. Je pourrais le faire dans le cadre de mes fonctions, mais je n’en ai pas la nécessité. Nous préférons que notre pays et les Gabonais en profitent.

Les mettez-vous donc en vente ?

Non. Nous les cédons à l’Etat gabonais pour un franc symbolique. L’Etat en aura l’usage en totale propriété.

Que peut faire le Gabon avec ces hôtels particuliers si ce n’est les vendre ?

Le Gabon a des activités économiques et diplomatiques sur le territoire français. Ils pourront donc servir dans ce cadre au profit du peuple gabonais.

Vos opposants affirment que c’est la preuve qu’il y avait eu des biens détournés par votre père, décédé en 2009. Idem pour les avocats français qui ont saisi la justice hexagonale pour enquêter sur ce qu’on appelle “les biens mal acquis”…

A ceux-là, je dirai que le bien que la famille vient de céder à l’Etat pour l’université au Gabon est d’une très grande valeur, plus élevée que celle des deux immeubles parisiens. Rien ne nous obligeait à le faire. Et, concernant les biens dits mal acquis, c’est à ceux qui accusent d’apporter la preuve de leurs allégations. Huit ans après, bien qu’ils soient sûrs de leur fait et malgré les arguments qu’ils répètent tous les jours, ils n’ont rien prouvé qui démontre que l’origine des fonds était illégale, eu égard à nos lois.

« LA FORÊT GABONAISE N’EST PAS LA FORÊT DE SHERWOOD »

Que pensez-vous de la succession de contentieux où, en tant que président, vous êtes par essence associé ?

La réponse se trouve ici, au bord de la Seine. Pourquoi cet acharnement qui ne repose sur rien ? Je rappelle que, dans l’affaire des biens dits mal acquis, l’Etat gabonais s’est porté partie civile à charge et à décharge. C’est la justice gabonaise qui l’a décidé pour en savoir plus et pour œuvrer à la manifestation de la vérité. D’autres affaires sont présentées avec un caractère sulfureux, pour donner une perception négative du Gabon, alors que notre pays a toujours été ami de la France. Nous ne comprenons pas cette agressivité gratuite.

Avez-vous obtenu des explications au sommet de l’Etat français ?

Les réponses que nous obtenons ne sont pas à la hauteur des enjeux qui préoccupent les Gabonais. Ce climat n’est pas bon dans les relations que nous devons avoir avec la France, notre partenaire traditionnel. Derrière, il y a assurément une volonté manifeste d’envenimer les bonnes relations entre le Gabon et la France.

N’est-ce pas lié à l’élection présidentielle de 2016 au Gabon, à laquelle vous vous présentez ?

Si c’est comme cela qu’on veut brouiller ce scrutin, on s’y prend très mal. Les Gabonais sont soucieux de la souveraineté des autres. Aussi veulent-ils qu’on respecte la leur. Qu’on cesse de prendre les Gabonais pour des imbéciles. S’ils veulent des investigations, ils n’ont pas besoin de défenseurs autoproclamés. Maître Bourdon [partie civile dans l’affaire des biens mal acquis], et avec lui bien d’autres, n’est pas Robin des bois, la forêt gabonaise n’est pas la forêt de Sherwood et je ne suis pas le shérif de Nottingham !

Ces critiques et celles de votre opposition ne proviennent-elles pas des Gabonais qui ne souhaitent plus un Bongo comme chef de l’Etat, après que votre père l’a été jusqu’à sa mort, pendant quarante et un ans ?

Encore une fois, il ne faut pas mélanger fantasme et réalité. Venez avec moi sur le terrain, au Gabon. C’est nous qui incarnons le véritable changement en nous focalisant en priorité, comme les autres dirigeants de par le monde y compris en France, sur la question de l’emploi, et en particulier de l’emploi des jeunes. Je me préoccupe de ce que cette jeunesse va devenir. Soixante-dix pour cent de la population a moins de 35 ans. Mon but est de sortir mon pays de l’économie de rente. Nous sommes déjà parvenus à diminuer notre dépendance vis-à-vis du pétrole, avec une croissance du secteur hors pétrole à deux chiffres qui crée de nombreux emplois. Il est important que les investisseurs étrangers puissent trouver sur place une main-d’œuvre de qualité, d’où l’accent mis sur la formation professionnelle. Et n’oubliez pas que, finalement, les carnets de commandes signés au Gabon contribuent indirectement à combattre le chômage ici, en France. Les entreprises françaises constituent plus de 40 % du tissu économique gabonais.

« POURQUOI LES GENS PARTENT ? »

De quelle manière participerez-vous à la Cop21, la conférence sur le climat, en décembre, à Paris  ?

Notre plan de diminution d’émissions va être de 50 % d’ici à 2030, grâce à la réduction des gaz issus de l’industrie pétrolière. Ces gaz, qui étaient brûlés, servent désormais à éclairer nos villes. Nous interdisons l’exportation des grumes de notre forêt. Nous transformons désormais le bois sur place, et notre taux de déforestation n’est même pas de 1 %. Quant à notre plan national d’affectation des terres, nous avons créé une agence d’observation de la Terre, qui nous permet de surveiller la forêt et de juger si chacun fait bien son travail. La préservation, c’est bien, mais si le peuple est affamé, c’est voué à l’échec.

Et entraîne des flux migratoires…

Les migrations continueront tant que le manque d’eau et d’électricité sur le continent ne sera pas résolu. Avec l’eau, ils pourraient mieux cultiver et se nourrir. Avec l’électricité, les étudiants pourraient travailler le soir. Elle permettrait la création d’industries, donc d’emplois, qui réduiraient le nombre de migrants qui viennent chez vous. Tous les dirigeants africains sont d’accord sur ces points. La question des migrants ne peut se résoudre que si l’on regarde des deux côtés. En se posant la question : pourquoi les gens partent ? Si en Europe on ne prend en compte que les conditions d’accueil, cela peut être interprété comme un encouragement par les candidats au départ. On parle aujourd’hui des migrants de Syrie, mais ceux d’Afrique existent depuis des décennies. Et ce phénomène ne va pas s’arrêter. Pour résoudre ce problème, il faut se mettre autour d’une table, entre dirigeants africains et européens.

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