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Côte-d’Ivoire : Alassane Ouattara, un président sans rival

Cinq ans après son arrivée au pouvoir, qui avait tourné à l’affrontement violent avec Laurent Gbagbo, le chef d’Etat sortant espère être réélu dès le premier tour de la présidentielle, ce dimanche, dans un contexte encore loin d’être parfait.

Le style rappelle celui d’un carton d’invitation : «La commission électorale a le plaisir de vous informer que la carte électorale n’est pas obligatoire pour voter», stipulait un message diffusé ces jours-ci par la télévision nationale. Les Ivoiriens sont effectivement invités à voter ce dimanche pour désigner leur nouveau Président. Et pour la première fois, sans forcément avoir à présenter le document sésame qui valide leur choix. Une simple carte d’identité devrait donc suffire.

En cause : l’échec flagrant de la distribution des cartes d’électeurs que près de la moitié des Ivoiriens ont négligé d’aller chercher. La commission électorale a eu beau rallonger exceptionnellement le délai de délivrance de ces cartes jusqu’à mercredi soir, l’engouement n’était pas au rendez-vous.

Reste à interpréter la signification de cette indifférence : est-ce parce que le président sortant, Alassane Ouattara, est donné largement favori, quasi assuré de remporter la victoire dès le premier tour et que, faute d’enjeu, l’élection ne passionne guère les Ivoiriens ? Ou bien est-ce l’expression d’un rejet, voire d’une résistance passive, face à une bataille électorale jugée inégale, qui a vu trois des dix candidats initiaux jeter l’éponge et dénoncer les conditions d’organisation du scrutin ? Essy Amara et l’ancien Premier ministre Charles Konan Banny se sont en effet retirés de la course alors que l’ancien président du parlement, Mamadou Koulibaly, affirme rester en lice… tout en appelant au boycott.

Le précédent douloureux de 2010
Cette élection présidentielle est pourtant censée rompre avec un passé douloureux. La Côte-d’Ivoire, principale puissance économique d’Afrique de l’ouest, est un pays encore traumatisé. Notamment à cause de la dernière élection présidentielle, en décembre 2010, qui avait provoqué une crise sanglante en opposant deux vainqueurs autoproclamés, Laurent Gbagbo, alors président sortant, et Alassane Ouattara. Cinq mois plus tard, c’est le second qui allait finir par s’imposer par les armes, alors que son adversaire était expédié à la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye où il attend toujours son procès, prévu à partir du 10 novembre prochain.

Cinq années ont passé et les deux camps ne sont toujours pas réconciliés, malgré le retour à une normalité apparente. Pour preuve, cet autre message peu banal diffusé également à la télévision, à la veille du scrutin : «Mon frère, ma sœur, détenir une arme illégalement constitue un danger et une menace pour le déroulement des élections.»

Tout semble pourtant avoir été balisé pour assurer des «élections apaisées», selon la formule consacrée. Personne ne souhaite renouer avec le chaos des années sombres, et tout le monde semble vouloir au contraire conforter la relance économique d’un pays qui fait figure de locomotive pour l’ensemble de la région. Contrairement aux précédents scrutins, l’Union européenne n’a pas jugé utile pourtant d’envoyer des observateurs, juste un groupe d’«experts», et l’Union africaine a dépêché au dernier moment ses propres observateurs sous la houlette de l’ex-Président nigérian Olusegun Obasandjo qui, à peine arrivé, se félicitait déjà du «bon climat» de la campagne.

Airs de kermesse, contexte verrouillé
Ouattara 73 ans, se pose justement en garant de la paix retrouvée et de la nouvelle ère de croissance dont il s’attribue le succès. «Réussir avec ADO [le surnom d’Alassane Dramane Ouattara, ndlr]» ; «J’avance avec ADO» : son visage auréolé de slogans conquérants est omniprésent sur les murs d’Abidjan. Et même dans le ciel, où des ballons appelant à voter pour lui flottent au-dessus des immeubles et des palmiers. Cette semaine, la machine électorale du Président avait des allures de bulldozer. Des caravanes ont sillonné jusqu’au dernier jour de campagne les quartiers populaires, des chapiteaux aux couleurs présidentielles ont été installés un peu partout, vantant «le candidat préféré des Ivoiriens» avec des airs de kermesse. Lors de son dernier meeting de campagne, vendredi, le Président sortant a été accueilli par une foule immense sur la place de la République, au cœur du Plateau, le quartier des affaires d’Abidjan. Une marée humaine plutôt jeune, voire trop jeune parfois pour prétendre voter, arborant des t-shirts flambant neufs, tous à l’effigie de l’homme fort du pays.

Mais pourquoi alors la faiblesse du taux de participation au scrutin inquiète-t-elle autant le camp présidentiel et les observateurs locaux ou les quelques «experts» dépêchés sur place ? «La commission électorale indépendante veut absolument que tout le monde aille voter», rappelait d’ailleurs vendredi matin dans les salons feutrés d’un hôtel de la capitale, un représentant de la Plateforme des organisations de la société civile pour l’observation des élections en Côte-d’Ivoire. Cette ONG qui dépêchera 755 observateurs dans 175 bureaux de vote sur… 19 833, ce dimanche, s’est déclarée elle aussi satisfaite de l’organisation de la campagne électorale. Sans dire un mot de l’interdiction de manifester opposée à Mamadou Koulibaly ces derniers jours, ni de la cinquantaine de personnes encore détenues suite aux manifestations du mois de septembre. Plusieurs organisations des droits de l’homme, dont Human Rights Watch et la FIDH (Fédération internationale des droits de l’homme) ont pourtant dénoncé jeudi dans un communiqué commun ces détentions, parfois arbitraires, parfois dans des lieux tenus secrets, qui ont abouti à des condamnations de six mois d’emprisonnement et de privation des droits civiques.

381 sympathisants de Laurent Gbagbo sont également toujours emprisonnés, certains ayant été arrêtés cette année, soit quatre ans après les événements sanglants qui ont endeuillé la Côte-d’Ivoire. Dans ce contexte quelque peu verrouillé, Ouattara apparaît effectivement sans réel challenger et bénéficie aussi du soutien réel de ceux qui ont été victimes de la précédente crise électorale. «Sous Gbagbo, dès que je présentais ma carte d’identité, je risquais de me faire tuer car mon nom m’identifie au nord du pays, comme ADO», expliquait vendredi, lors du dernier meeting présidentiel, Abdoulaye Bertin, un agent municipal de 37 ans. Ce dimanche, sa carte d’identité lui permettra au moins de glisser son bulletin dans l’urne.

Maria Malagardis envoyée spéciale en Côte-d’Ivoire

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