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Présidentielle au Gabon – Jean Ping : « L’opposition fait tout pour ne pas accéder au pouvoir »

INTERVIEW. Sa désignation comme candidat du Front uni de l’opposition pour l’alternance (Fopa) est contestée. Il explique pourquoi il se maintient.

C’est officiel, Jean Ping a été désigné candidat du Front uni de l’opposition pour l’alternance (Fopa). Il reste maintenant à convaincre les principaux ténors de la plateforme.

Propos recueillis par Viviane Foison

Avec un scrutin à un seul tour, l’opposition gabonaise n’a d’autre choix que de se trouver un candidat unique pour la prochaine élection présidentielle qui doit avoir lieu en août ou en septembre 2016. La date du scrutin n’a pas encore été arrêtée. Mais le climat politique est déjà tendu. Car une question obsède la classe politique : qui pour affronter le président sortant Ali Bongo ? Réunis au sein du Front uni de l’opposition pour l’alternance (Fopa), 27 membres comprenant partis politiques et personnalités publiques gabonaises avaient mis en place tout un processus avec primaires et enfin désignation d’un candidat unique de l’opposition. Seulement, le 5 janvier dernier, Jean Ping, ancien président de la commission de l’Union africaine, a déposé sa candidature à la présidentielle et a été désigné candidat du Front le 15 janvier, lors d’un vote que contestent les principaux poids lourds de la plateforme. Le président en exercice de la coalition, Pierre-André Kombila, va beaucoup plus loin en qualifiant la désignation de Jean Ping d’« imposture ». Il est notamment reproché à l’ancien président de la commission de l’Union africaine de ne pas avoir suivi les règles internes au Front. Ainsi lors du vote n’étaient présents que quatre des membres fondateurs du Fopa, sur les quatorze, une problématique parmi d’autres. Une réunion de la dernière chance est proposée pour le 27 janvier prochain. Objectif : trouver un consensus pour organiser des primaires ouvertes à toute l’opposition et enfin désigner le candidat unique. Si Jean Ping n’y prend pas part, il risque d’être candidat indépendant lors de la prochaine élection. Il s’est confié au Point Afrique sur sa démarche.

Le Point Afrique : Quel regard portez-vous sur les conditions de votre désignation ?

Jean Ping : J’ai été désigné candidat unique du Front par 16 membres signataires de la charte du Front sur 27. Au Front, chaque membre a une voix, aucun membre n’a de voix prépondérante, même pas le président. Il n’existe par conséquent pas de ténors, comme vous le dites. Nous sommes tous égaux devant la charte que nous avons librement tous signée. Je vous rappelle aussi que notre loi commune, la charte, dispose bien que les décisions du Front se prennent par consensus, à défaut de consensus, on passe au vote et c’est la majorité absolue qui s’impose à tous. Les 11 autres membres qui n’ont pas pris part au vote ont opté pour la chaise vide, la majorité s’est prononcée et la démocratie s’est exprimée. Voilà les conditions qui ont prévalu à ma désignation comme candidat unique du Front et non de l’opposition tout entière.On dit que vous avez surpris tout le monde en déposant le premier votre candidature le 5 janvier dernier. Pourquoi avoir pris de court vos principaux soutiens ?Je n’ai surpris personne, encore moins les membres du Front qui étaient parfaitement au courant du calendrier adopté, là aussi, par la majorité des membres du Front. Je n’ai fait que matérialiser ce que j’avais déjà annoncé, c’est-à-dire ma candidature à la candidature unique du Front. La majorité des membres de la conférence des présidents du Front avait mis en place un chronogramme devant aboutir à la désignation du candidat unique du Front. Je l’ai respecté et, le 5 janvier, je suis allé déposer ma candidature qui a été examinée par le collège désigné (à la majorité) à cet effet. Voilà la stricte vérité des faits.Était-ce un calcul politique de votre part ?Je n’ai fait aucun calcul politique et, pour moi, la politique n’est pas l’art du calcul. J’appartiens à une structure, le Front, que j’ai contribué à créer ; je ne vois pas pourquoi je ferais des calculs pour le contourner ou pour le mettre en difficulté. On dit que certains sont guidés par des objectifs de blocage, mais avouez que les engagements que nous avons tous pris devant le peuple gabonais ne s’accommodent pas de ce genre d’attitude. Je ne me suis pas engagé dans l’opposition pour m’amuser ou pour m’éterniser, j’ai conscience des nombreuses souffrances du peuple gabonais qui n’a que trop subi ; mon devoir est d’aller à l’essentiel pour l’aider à en sortir. Je ne fais que m’en tenir à cet engagement.

Que répondez-vous à ceux qui vous accusent en interne d’être au cœur des dissensions ?

Les quelques membres du Front qui m’accuseraient en interne d’être au cœur des dissensions se trompent d’adversaire. Je n’ai rien entrepris qui aille à l’encontre des engagements que nous avons solennellement pris ensemble, le 19 février 2014. La charte du Front nous demande d’aller à la rencontre des Gabonaises et des Gabonais, individuellement ou collectivement. C’est ce que j’ai fait en invitant mes collègues à venir avec moi à mes frais et voilà maintenant que ceux qui n’ont pas répondu à mon invitation m’accusent d’aller sans eux sur le terrain, avouez quand même que c’est extraordinaire ! On m’a même accusé de débaucher à coups de millions les militants de l’Union nationale qui adhèrent à ma démarche de terrain, comme si ces militants étaient des moutons de Panurge ou des objets ; quelle insulte pour « leurs » militants qui seraient leur propriété ! Vous savez, en 2009, j’observais à distance les acteurs politiques qui s’illustraient pendant la période préélectorale, je constate que ce sont pratiquement les mêmes qui ont tout fait pour qu’André Mba Obame ne soit pas le candidat unique de l’opposition, avec les mêmes méthodes ! C’est comme si l’opposition gabonaise était habitée par quelque chose de curieux qui fait qu’à chaque fois qu’elle est à la porte du pouvoir elle trouve le moyen de le perdre. Ma détermination est, cette fois-ci, de conjurer cette malédiction et d’ouvrir la voie à l’alternance.

Craignez-vous d’autres candidatures au sein de la plateforme ?

Je ne sais pas si ces éventuelles candidatures vont s’exprimer au sein du Front ou pas, mais je ne suis pas dupe, encore moins naïf de croire que d’autres candidatures ne puissent pas s’exprimer d’ici là. Je suis même persuadé que le pouvoir va, et c’est de bonne guerre en Afrique, susciter des candidatures fantoches pour essayer de me gêner. Mais je crois que le peuple gabonais, qui est le seul juge, n’est pas dupe, il sait faire la part des choses et je compte beaucoup sur les Gabonais que j’ai côtoyés plusieurs mois durant pour que, dans cette élection qui n’est qu’à un tour, ils fassent le bon choix pour que notre pays sorte définitivement du chaos. Et je crois que, si ma profonde détermination est au diapason avec celle du peuple qui en appelle à l’alternance et au changement, personne ne pourra nous faire barrage.

Vous semblez ne plus avoir besoin de contester le scrutin à un tour. Est-ce par résignation ?

Je crois qu’en matière politique il faut savoir être réaliste. Je n’ai jamais cru en la volonté de ce pouvoir d’accepter les règles du jeu claires que nous réclamons tous ensemble et qui pourraient permettre à notre pays d’être à la hauteur des enjeux institutionnels du XXIe siècle. Et je crois que c’est aussi le constat de la communauté internationale qui a toujours tenté de faire entendre raison à ce pouvoir devenu de plus en plus autiste. Face à cette posture absurde, il n’y a que deux attitudes possibles : le boycott ou la participation. Or le boycott permet au pouvoir actuel de se pérenniser, donc sept ans encore. Ma longue pratique de la politique m’a appris à ne pas m’accommoder de la politique de la chaise vide dont on sort toujours perdant. Donc c’est plus par réalisme que par résignation que je vais participer à cette élection à un tour. Je ne ménagerai cependant pas mes efforts pour que la communauté internationale accompagne notre processus électoral, notamment par l’envoi d’observateurs sur une durée pertinente, c’est-à-dire plusieurs mois avant et jusqu’à la proclamation des résultats. Il revient certes au présent gouvernement d’en faire la requête : la pression internationale doit donc être suffisamment forte pour y parvenir. La confection des listes électorales, la formation des scrutateurs, l’accès aux médias, la composition de la Commission électorale nationale autonome et permanente (Cenap) sont des points fondamentaux de vigilance sur lesquels je me battrai.

Qu’est-ce qui vous motive dans cette campagne qui ne s’annonce pas de tout repos ?

Je n’ai jamais pensé que la campagne serait un long fleuve tranquille. Dès l’entame de mon engagement, j’ai commencé à subir les affres du pouvoir en place. Vous connaissez la liste de toutes les tracasseries ciblées dont j’ai été victime, je n’y reviendrai pas ici. A fortiori, la campagne elle-même s’annonce violente et les Gabonais en sont conscients. Mais mes compatriotes peuvent compter sur ma détermination, dont ils sont les moteurs. Tant que les Gabonaises et les Gabonais seront derrière moi, je ne faiblirai point, j’irai jusqu’au bout. Mes motivations sont essentiellement liées à cet engouement populaire que j’ai perçu tout au long des tournées qui m’ont amené dans toutes les provinces du pays, ce désir fort et ardent d’en finir avec un pouvoir qui n’a que trop duré et qui ne cesse de les infantiliser, de les spolier et de les maintenir dans un état de paupérisation permanente. Tels sont les ingrédients qui font mes motivations.

Comment voyez-vous le Gabon de demain ?

Je veux construire avec toutes les bonnes volontés et toutes les compétences disponibles, sans exclusive, une Nouvelle République fondée sur une vision et des valeurs que nous avons en partage avec le reste du monde, notamment avec l’Union européenne et avec la France, notre partenaire séculaire avec qui nous partageons une langue, une histoire, des intérêts communs. Ma vision du Gabon de demain, c’est une République unie dans la diversité au sein d’une Afrique solidaire et ouverte sur le monde, un État de droit fondé sur la démocratie participative, la concertation et le respect des institutions et des libertés individuelles et collectives chaque jour piétinées par le pouvoir actuel, un pays de justice sociale et d’équité, où les citoyens sont égaux en droit et animés d’un haut degré de sens civique, engagé pour le développement durable de leur territoire.

Qu’est-ce qui vous permet de penser que vous allez gagner cette présidentielle ?

J’ai des atouts pour gagner cette élection présidentielle. Et ils sont de deux ordres. Ils sont d’abord d’ordre interne : le rapport que j’ai tissé avec les Gabonais depuis bientôt deux ans a permis à ces derniers de mieux me connaître et surtout de mieux juger de ma sincérité pour les accompagner dans cette noble aventure de délivrance du pays. J’ai été dans ce régime, j’y ai passé une bonne partie de ma carrière politique, je le connais bien, je me sens donc à la fois comptable de ce qui a été mal ou pas du tout fait et à la fois capable et en mesure d’apporter des solutions et de mobiliser toutes les énergies au service de notre pays et de notre peuple. L’expérience que j’ai accumulée au niveau national, comme directeur de cabinet du président Omar Bongo pendant six ans, puis dix ans ministre des Affaires étrangères et enfin vice-Premier ministre, constitue une base solide pour prétendre briguer la magistrature suprême du pays.Mes atouts sont aussi internationaux. Pour la gouverne de vos lecteurs, j’ai dirigé l’Opep, présidé la 59e Assemblée générale des Nations unies avant la commission de l’Union africaine. Mes relations personnelles avec plusieurs chefs d’État d’Afrique et d’autres continents, sans oublier celles que j’entretiens avec les principaux responsables de la Banque mondiale, de la Banque africaine de développement et de l’Union européenne, seront utiles dans la résolution de nombreux problèmes que nous laissera ce pouvoir dont la boulimie financière a frôlé les records.

Alors, une alternance politique en 2016 ?

J’y crois à fond.

Le Point Afrique – Publié le 21/01/2016 à 16:47 – Modifié le 22/01/2016 à 07:40

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