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La guerre sans fin de l’héritage Bongo

L’affaire de la filiation du président du Gabon, Ali Bongo, rebondit. A Nantes, où elle a obtenu copie de son acte de naissance dans les archives du Quai d’Orsay, l’une de ses demi-soeurs porte plainte pour faux.

L’actuel président de la République du Gabon, Ali Bongo Ondimba dit ABO, est-il bien le fils biologique d’Omar Bongo, dirigeant de ce pays d’Afrique centrale durant quarante et un ans, et de son ex-épouse Joséphine Kama ? Oui, répond l’acte de naissance n° 47 du 10 février 1959 issu des archives du Service central d’état civil de Nantes (Loire-Atlantique), dont « le Parisien » – « Aujourd’hui en France » publie en exclusivité la copie.

« Pas sûr. Ce document ne clôt pas les doutes », rétorque, par la voix de son avocat parisien Me Eric Moutet, Onaïda Maisha Bongo, l’une des jeunes demi-sœurs du chef de l’Etat. Considérant que cet acte n’arbore « aucun des attributs officiels requis », cette dernière vient de porter plainte contre X pour « faux et usage de faux » auprès du parquet de Nantes, qui nous en a confirmé hier la réception.

Cet extrait d’acte de naissance d’Ali Bongo, anciennement prénommé Alain-Bernard, est… le troisième qui surgit dans cette vaste querelle politico-familiale qu’est l’histoire des origines du président. « Il n’est pas rédigé sur le formulaire type en vigueur à l’époque de l’Afrique équatoriale française (AEF) ; il ne comporte ni tampon ni signature de l’officier d’état civil, énumère Me Moutet. Loin de répondre à nos questions, il sème encore davantage le trouble. » « Extravagant ! » réagit l’avocate d’Ali Bongo, Me Claude Dumont-Beghi, qui souligne que cette « surprenante » plainte, dont elle n’avait pas encore eu connaissance, vise un document « conservé dans les archives françaises du ministère des Affaires étrangères depuis la décolonisation. » Obtenu par Onaïda à l’automne dernier après un an de procédure auprès du tribunal de grande instance de Nantes dans le cadre d’un conflit d’héritage pour la succession d’Omar Bongo, décédé en 2009, ce document de filiation était censé mettre un terme à une polémique lourde d’enjeux (lire plus bas). A la clé en effet se jouent la candidature d’ABO à la prochaine présidentielle en août et la légitimité de sa précédente élection, l’article 10 de la Constitution du Gabon stipulant que « toute personne ayant acquis la nationalité gabonaise ne peut s'(y) présenter ». Petite-fille d’un ancien baron du régime passé à l’opposition, fille de Chantal Myboto-Gondjout, ex-conseillère et maîtresse de Bongo senior, Onaïda figure parmi les 53 héritiers de l’ancien chef d’Etat, trois de ses enfants, dont Ali, étant seuls légataires universels. « Ses motivations sont liées au partage, car si Ali n’est pas le fils d’Omar, cela change la répartition », assure Me Moutet. « Tout cela ressemble à une manipulation politicienne », contredit Me Dumont-Beghi.

D’où vient « le trouble » qui conduit la demi-soeur du président gabonais à contester l’authenticité de cet acte de naissance nantais, supposé être un original ? La requête d’Onaïda Maïsha Bongo avance maints arguments. Parmi ceux-ci figure d’abord l’existence, révélée par l’écrivain Pierre Péan, d’un extrait de naissance d’une « vraie soeur d’Ali Bongo » née… en juin 1959, soit quatre mois après lui, des mêmes parents, « ce qui est physiologiquement impossible », ironise Me Moutet.

La plainte s’appuie aussi sur la comparaison détaillée des trois actes de naissance d’Ali Bongo actuellement connus. Celui de 2009, fourni lors de sa première élection, dont le chef d’Etat a lui-même admis sur RFI début 2015 qu’il était un faux. Celui publié par « le Monde » en décembre 2014 et présenté comme ayant été « découvert par des proches de la présidence gabonaise dans les registres de la mairie de Brazzaville » (Congo), l’ancienne capitale de l’AEF, où Ali Bongo serait né. Celui enfin obtenu à Nantes le 18 novembre dernier : ses informations sont similaires au précédent (n° 47, date, noms des parents, etc.) mais sa forme, écriture et couleur de l’encre, différente. S’agissant d’un acte toujours réalisé en deux exemplaires, ces manuscrits ont pu avoir deux auteurs, décrypte un généalogiste consulté, étonné en revanche par l’absence totale de signature de l’officier d’état civil au côté de celle du déclarant sur les deux. « C’est à eux (NDLR : ceux qui mettent en doute sa filiation) de démontrer que je ne suis pas le fils d’Omar Bongo », déclarait Ali Bongo, toujours sur RFI, l’an dernier. « Nous ne manquerons pas de donner les suites qui s’imposent », promet son avocate. « Seule une enquête judiciaire pourra lever les doutes suscités par l’ensemble de ces éléments », insiste Me Eric Moutet.

Les dessous politiques d’une affaire d’Etat

C’est à la mort du patriarche Omar Bongo, en 2009, que la question des origines de son fils Ali, candidat à sa succession à la tête de l’Etat gabonais, a surgi sur la scène politique de ce pays d’Afrique centrale, un pays ami, avec lequel la France ne tient pas à se brouiller, comme l’a montré l’issue du récent incident diplomatique après la bourde de Manuel Valls. Deux raisons à cela, rappelle le militant Marc Ona Essangui, figure de la société civile gabonaise : l’une est « d’ordre constitutionnel », du fait de l’article 10 qui impose aux prétendants à la magistrature suprême d’être nés gabonais. L’autre « d’ordre légal », parce qu’« il est reproché à Ali Bongo d’avoir fourni un faux acte de naissance en 2009 », explique-t-il. « Cela aurait dû entraîner une enquête de la justice de notre pays, mais elle est, malheureusement aux ordres du président », avance Ona Essangui.

« Ce n’est pas le fait qu’il soit adopté qui pose problème, mais l’inconstitutionnalité », renchérit Thomas Bart, porte-parole de l’ONG Survie, pourfendeur de la Françafrique. Au-delà de la querelle d’héritiers pour le partage d’un patrimoine paternel colossal, dont « personne ne connaît le détail », souligne Thomas Bart, « l’enjeu politique est très clair », confirme le spécialiste de l’Afrique Antoine Glaser. Pour lui, qui jauge cependant que l’hypothèse Péan d’un enfant biafrais adopté « n’est pas absurde », les démarches de la demi-sœur d’Ali Bongo visent aussi « à contester la possibilité pour le président de se représenter en août prochain ». « Les Gabonais sont las de presque cinquante ans de règne de la famille Bongo. Ils ont vu dans le débat sur l’identité du chef de l’Etat un moyen de le délégitimer », analyse Jean Merckaert, de la revue « Projet ». « Chaque citoyen doit produire des papiers d’état civil. Si ces documents sont douteux, les polémiques naissent. C’est ainsi que les Gabonais posent le problème et non pas, comme Ali Bongo tente de le véhiculer à l’international, en termes de xénophobie », conclut Marc Ona Essangui.

La thèse de l’enfant adopté

« C’est une très vieille histoire, avance le journaliste Pierre Péan, fin connaisseur du Gabon, où il a travaillé dans sa jeunesse et enquête depuis trente ans. Il n’y a pas besoin d’acte d’état civil pour dire qu’Ali n’est pas le fils d’Omar. Tout le monde le savait à l’époque, sauf que cela ne posait aucun problème. »
Dès 1983, dans « Affaires africaines », l’écrivain indiquait que certains des enfants du couple Omar Bongo/Joséphine Kama avaient été adoptés durant le conflit du Biafra, province sécessionniste du Nigeria, à la fin des années 1960. « Je ne citais pas Ali parce qu’il n’avait alors aucun rôle », explique-t-il. Au grand dam de l’actuel pouvoir gabonais, il a persisté dans « Nouvelles Affaires africaines », ouvrage au vitriol contre le clan Bongo paru fin 2014 (Fayard) qui lui vaut procès en diffamation. Grâce à des témoins anonymes, il y relate une adoption organisée par l’ancien ambassadeur de France Maurice Delaunay, afin d’impliquer davantage le régime gabonais dans le soutien aux Baierais.

C’est en enquêtant sur ce sujet que Pierre Péan a découvert l’acte de naissance d’une « vraie sœur » d’Ali Bongo, Annick, née quatre mois plus tard. Il possède d’autres documents, issus de vieux registres, qu’il n’a pas hésité à produire à l’appui de la plainte d’Onaïda Maïsha Bongo. « Ce qui m’intéresse, c’est la vérité », affirme-t-il.

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