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La fraude électorale, une histoire (bien) gabonaise

Trucage des urnes, siphonage des voix de l’opposition, falsification de procès-verbaux, création de listes d’électeurs fictifs, propagande inégale, fraude via les procurations, biométrie incomplète, proclamation de résultats fictifs… le Gabon, en matière de fraude électorale, obtient la «mention bien» depuis 1990. C’est inscrit dans son «patrimoine génétique politique», comme l’a dit Vincent Hugeux.

Au moment où l’on prête à l’actuel ministre de l’Intérieur des propos peu empreints de partialité et d’esprit démocratique, et après la déclaration faite le 16 janvier dernier par le Premier ministre français sur l’élection présidentielle de 2009, de nombreux observateurs ne manquent pas de faire le lien avec le «péché originel» des institutions chargées du processus électoral au Gabon (ministère de l’Intérieur, Cour Constitutionnelle) il y a près d’un quart de siècle.

Le 9 décembre 1993, soit quatre jours après le scrutin présidentiel au cours duquel le chef de l’Etat sortant, Omar Bongo, était opposé à douze adversaires, dont Paul Mba Abessole (RNB), Pierre-Louis Agondjo Okawé (PGP), Pierre-Claver Maganga Moussavou (PSD), Jules Bourdès Ogouliguendé (CDJ), Didjob Divungi di Ndinge (ADERE), Léon Mébiame (indépendant), Léon Mbou Yembit (FAR) et Marc Saturnin Nan Nguéma (PLD), le ministre de l’Intérieur d’alors, Antoine Mboumbou Miyakou, avait interrompu le processus de dépouillement des résultats pour annoncer… les résultats de l’élection présidentielle : Omar Bongo, 51 %, Paul Mba Abessole, 26%, Pierre-Louis Agondjo Okawé, 4%, etc.

«Ces résultats fabriqués de toute évidence dans les officines de l’Avenue de Cointet» furent fortement et solennellement contestés par le gouverneur de l’Estuaire d’alors, Pauline Nyingone, en sa qualité de président de la Commission provinciale de dépouillement des résultats de l’Estuaire. «Au moment où la Commission de l’Estuaire est en train de dépouiller les résultats en présence des représentants de la majorité et de l’opposition, le ministre de l’Intérieur annonce des résultats. De quels résultats s’agit-il ? Où les a-t-il puisés ? Nous n’avons pas encore transmis nos résultats, car nous sommes en plein dépouillement», s’était-elle écriée devant les médias.

L’Ambassadeur des Etats-Unis, Joseph Wilson IV, trouva tellement gros ce «putsch électoral» qu’il se disait convaincu que ces résultats seraient rejetés par la Cour constitutionnelle. Il eut tort. La haute juridiction confirma les résultats donnés par le ministre de l’Intérieur. Et Martin-Fidèle Magnaga, le ministre de la Défense nationale de l’époque, et le Général Idriss Ngari, alors chef d’état-major général des Armées, mirent les chars dans la rue, dans tous les carrefours, dans tous les points névralgiques de la capitale gabonaise, et cassèrent les radios proches de l’opposition, notamment Fréquence Libre, proche du Parti Libéral démocrate (PLD) et Radio Liberté, proche du Rassemblement national des Bûcherons (RNB), ainsi que le domicile du leader de l’opposition à Lalala dans le 5ème arrondissement de Libreville.

«Tant que je serai ministre de l’Intérieur, Omar Bongo ne perdra jamais une élection»

Joseph Wilson IV fit l’aveu suivant devant des journalistes : «je croyais ce gouvernement plus intelligent que ça ; comment peuvent-ils militariser la rue ? On se croirait dans un pays en guerre». Le Gabon vivait là son premier coup d’État électoral dans un contexte multipartite. Ce ne fut pas si étonnant que ça, car Mboumbou Miyakou avait prévenu : «tant que je serai ministre de l’intérieur, le président Bongo ne perdra jamais une élection».

En 1997, la Constitution fut révisée : plus d’élection à deux tours. En 1998, Omar Bongo obtint officiellement 66%. En 2005, il fut crédité du score presque soviétique de 79%… Pourtant, ceux qui, hier, affirmaient que ces résultats étaient vrais, disent aujourd’hui «qu’ils n’étaient pas conformes à la réalité». Les coups d’Etat électoraux ont donc succédé, scrutin après scrutin, aux coups d’Etat électoraux.

On assiste ainsi à la confiscation du choix des électeurs. Selon un ancien rapporteur de la Commission nationale électorale (CNE, ancêtre de la CENAP), au-delà du bourrage des urnes, il y a surtout le siphonage des voix de l’opposition. Par exemple, affirme-t-il, si dans le Woleu-Ntem, les populations choisissent majoritairement un candidat de l’opposition, celui-ci restera officiellement en tête, mais ses voix seront considérablement réduites. «Imaginez, dit-il, qu’un candidat nommé Nguéma obtienne 50.000 voix sur les 70.000 votants, on va dire qu’il y a eu une forte abstention dans le Woleu-Ntem, et Nguéma n’a obtenu que 20.000 voix sur 36.000 votants ; en réalité, on fait perdre 30.000 voix à Nguéma».

Siphonage des voix de l’opposition et propagande inégale sur «la télé des citoyens-contribuables»

La fraude tient aussi de la propagande inégale. Quand il faut de l’égalité d’antenne pour tous les candidats, les institutions vous diront que «c’est l’équité qui est nécessaire». Ainsi, «le candidat du parti au pouvoir bénéficiera d’un temps d’antenne largement et outrageusement supérieur aux autres candidats. Dans un journal de 25 minutes consacrées chaque soir à la propagande électorale, le parti au pouvoir bénéficiera de 18 à 19 minutes de temps d’antenne : d’abord un long reportage sera consacré à ses rassemblements publics ; puis, les meetings de ses partisans bénéficieront eux aussi d’une large diffusion. Par exemple : Lepoukou, candidat du parti au pouvoir, va voir son activité politique quotidienne largement relayée sur le plan télévisuel, et si chacun de ses partisans tient un meeting à Libreville, chacun de ces meetings sera tout aussi largement relayé à la télévision publique, la télé des citoyens-contribuables. Puis, on consacrera vingt à quarante secondes aux activités de propagande des autres candidats. On l’a vu de 1993 à 2009 !»

«Putsch électoral» à la mairie de Libreville

Il y a aussi la falsification des procès-verbaux. Certains représentants de candidats de l’opposition dans les bureaux de vote sont approchés pour apposer leur signature sur de faux-procès verbaux moyennant quelques subsides généralement peu élevés- ce qui est étonnant ! «Des sommes ne dépassant pas 30.000 FCFA», selon l’aveu d’un représentant d’opposition «acheté» par le président du bureau de vote. Cette «corruption» se fait concomitamment avec une falsification des procès-verbaux.

Dans cette panoplie de la fraude, il y a aussi les fausses procurations. Cela s’est vu à la mairie de Libreville, en janvier 2014, lors du vote du président du Conseil municipal. Des bureaux de vote fictifs. Pour éviter d’éventuels votes en faveur du chef de file de l’opposition, de fausses procurations avaient été établies à l’insu des personnes concernées. Non informées de cette tactique frauduleuse mise en place par leur parti, les six conseillers municipaux PDG du 2ème arrondissement, dont Thérèse Ranaud Soka, s’étaient rendus à l’Hôtel de ville pour participer au vote ce dernier dimanche de janvier 2014. On les supplia ou de se cacher ou de déguerpir, car ils ne devaient pas être vus, parce que, leur avait-on dit, «le parti avait déjà pris des dispositions pour leur vote». Des procurations fausses ! Des procurations non établies par les intéressés eux-mêmes. «Entachée de telles irrégularités, l’élection du maire de Libreville en janvier 2014 était en réalité un putsch électoral», souligne un membre CLR du Conseil municipal de Libreville.

Concernant la biométrie, elle paraît incomplète. Il manque en effet l’authentification des électeurs qui, seule, peut permettre d’éviter des votes multiples pour un électeur. Le pouvoir n’a pas voulu aller aussi loin… Un peu de transparence oui, ma non troppo (mais pas trop quand même). Le système biométrique actuellement usité au Gabon ne garantit pas, de l’avis de plusieurs experts, une transparence totale. Mais peut-il en être autrement dans un pays où l’on aime les «passages en force» ?

«Les urnes ont parlé, mais leurs voix sonnent faux !»

Et à la fin de tout le processus – ou avant que le processus n’ait connu son épilogue – on vient annoncer des résultats fictifs, «des résultats non conformes à la vérité des urnes». Comme l’a dit un slammer lors du dernier concert de Pierre Akendengué fin-janvier dernier, «les urnes ont parlé, mais leurs voix sonnent faux !» – ceci pour dire le manque de sincérité des élections gabonaises.

La fraude se fait aussi «joyeusement» lorsque les candidats de l’opposition sont nombreux. Là, les institutions en profitent pour parler des divisions et des dissensions dans ce camp et déclarer vainqueur le candidat du pouvoir. Pourtant, depuis que des voix autorisées se sont mises à parler, l’opinion apprend, non sans surprise, que Paul Mba Abessole a gagné l’élection de 1993, et Pierre Mamboundou, celle de 1998, en dépit, à chaque fois, de la présence d’un grand nombre de candidats de leur bord politique ! Mais le pouvoir fait toujours croire que «c’est parce que eux-mêmes n’ont pas pu s’unir que le candidat du pouvoir a été élu».

Les élections législatives au Gabon ? Toujours de nombreux cas de fraude

Nulle élection législative n’a connu des contestations. Bourrage des urnes, achat des consciences, brutalités,… Il est même arrivé, selon des «voix autorisées», que le président Omar Bongo procède à la «nomination» des députés, «tout aussi bien de la majorité que du pouvoir». A l’élection législative de décembre 1996, Omar Bongo aurait «désigné» l’opposant Jean-Pierre Nzoghé Nguéma (Morena) comme député du canton Océan Gongoué, promettant au candidat de son propre parti de le nommer PCA de l’UGB, puis directeur général de la Société nationale des bois du Gabon (SNBG).

Le journaliste Vincent Hugeux, spécialiste de l’Afrique pour l’hebdomadaire français L’Express, affirme que «le recours à la fraude électorale, qu’il s’agisse de PV trafiqués, qu’il s’agisse de listes électorales bidons et le recours à l’achat de votes, appartiennent au patrimoine génétique politique de ce pays, le Gabon.»

«Depuis les élections législatives de 1990, les institutions chargées de l’organisation des scrutins électoraux ont toujours su jouer le rôle que leur a prescrit le pouvoir, celui de faire gagner les candidats du pouvoir, et elles le font avec une grande intelligence ; depuis 1990, le Gabon a, en matière de fraude électorale, la mention Bien», pense Hervé Grupaune, politologue franco-gabonais.

En tout cas, au Gabon, rien n’a jamais véritablement été mis en œuvre pour l’organisation de scrutins honnêtes et incontestables ; tout n’a jamais été fait pour la tenue d’élections impartiales et régulières. Que ce soit pour les élections locales, législatives ou pour l’élection présidentielle, le Gabon n’a jamais été en mesure d’organiser une élection honnête. Il faut qu’un jour, les voix des urnes sonnent juste !

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