spot_imgspot_img

Élections – Gabon : et si Jean Ping créait la surprise ?

L’homme connaît bien le marigot politique gabonais, lequel vient d’enregistrer l’annonce-surprise de la candidature du président Bongo. Jean Ping, un présidentiable à suivre.

À 73 ans, Jean Ping se jette corps et âme dans l’arène politique. Plus d’une heure d’entretien et aucun signe de fatigue chez cet homme volontiers affable et plutôt séducteur qui vient de terminer un véritable marathon pré-électoral dans tout le Gabon. Que veut-il ? Qu’espère-t-il, et surtout, jusqu’où est-il prêt à aller pour prendre la forteresse Gabon longtemps acquise à la famille Bongo ? L’ancien bras droit d’Omar Bongo dispose, il est vrai, d’atouts incontestables pour ce poste : une longue expérience politique, une connaissance pointue des dossiers, et un carnet d’adresses bien fourni. Aujourd’hui, avec son programme de campagne autour du thème « un Gabon à l’abri de la peur et du besoin », Jean Ping fait figure d’outsider à prendre très au sérieux.

Rembobinons

« Je ne reculerai pas. » Droit dans ses convictions, Jean Ping s’est déclaré, le 13 février dernier, candidat à la présidentielle programmée à partir d’août 2016, au nom de l’opposition tout entière dans un premier temps, avant de voir cette unanimité se réduire au fur et à mesure que les ego se dévoilent. Assis dans l’un des fauteuils qui nous fait face, dans cet hôtel de la capitale française, l’homme est d’une courtoisie notoire, se veut proche de ses interlocuteurs, quel que soit le statut, remarque-t-on. Cette facilité à s’adresser à son prochain, de prendre le temps de connaître l’autre même s’il s’agit d’un détail, semble innée chez lui. De prime abord, ses années passées à servir l’ancien chef de l’État Omar Bongo Ondimba jusqu’à sa mort en 2009, apparaissent comme un sérieux handicap pour celui qui se présente comme l’homme de la rupture. Lui n’en fait aucun mystère : « j’étais un acteur important dans le gouvernement d’El-Haj Omar Bongo, je connais le système et ce système était un problème. Je fais partie du problème et donc je fais partie de la solution », justifie-t-il, avant de citer les exemples récents du Burkina Faso qui a élu en novembre dernier Roch-Marc Christian Kaboré, ancien cacique du pouvoir de Blaise Compaoré. Ou encore, le président sénégalais Macky Sall, ancien bras droit d’Abdoulaye Wade au sein du parti au pouvoir, jusqu’à la séparation des deux hommes et la suite de l’histoire lui avait alors donné raison. « Je crois qu’il faut vivre avec son temps et le temps de la dictature est terminé, j’ai travaillé dans un système qui était encore la dictature », reconnaît-il. Mais pour lui « il est temps de mettre fin à une situation inédite d’un demi-siècle de pouvoir par une même famille, ce n’est pas possible, au XXIe siècle, on ne peut pas entrer dans l’histoire en reculant », aime-t-il à proclamer comme un refrain bien appris par coeur.

Des défis immenses

Né le 24 novembre 1942 à Omboué, petite ville située au sud de Port-Gentil, fils de commerçant chinois, et d’une mère gabonaise de Port-Gentil, Jean Ping ne ménage pas sa peine dans cette élection, dont il craint pourtant que les dés soient « pipés ». Dans sa tournée démarrée dès août 2015 dans les provinces du Gabon à la rencontre des populations les plus reculées – car en dépit d’une reconnaissance à l’international, le diplomate Jean Ping est peu connu du peuple gabonais –, ce qu’il tend à corriger en racontant son histoire dans chaque village ou commune qu’il traverse. Son constat est sans appel : « j’ai visité la quasi-totalité de nos villages, de nos villes, de nos quartiers, des maisons, des familles, des femmes, des jeunes, des sages, l’impression est une impression de désolation. Il n’y a rien à l’intérieur du pays. Les gens ne demandent pas grand-chose. Surtout, les femmes qui ne demandent qu’à pouvoir envoyer leurs enfants à l’école », assène-t-il. Avec une population d’un million d’habitants, le Gabon est un pays à paradoxes. Petit État pétrolier d’Afrique centrale, le Gabon a fait partie entre 1975 et 1996 de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) – le sous-sol gabonais est riche en manganèse, en fer. Le bois est aussi l’une des principales richesses du pays, sans compter une faune et flore dense qui a toujours été plus ou moins protégée. Sur le terrain social, la situation est tendue, à Libreville la capitale, le bord de mer est vu d’un mauvais oeil, le faste de la République cadre peu avec les conditions de vie difficiles, des grèves paralysent régulièrement les entreprises publiques. Pour Jean Ping le pays a reculé sur la couverture des besoins primaires tels que la santé, l’éducation ou encore le logement. Avec son slogan, « un Gabon à l’abri de la peur et du besoin » veut redonner confiance avec des réformes institutionnelles et politiques fortes s’il parvenait à se faire élire. « Je crois qu’il faut faire en sorte que les Gabonais sortent de la peur. La peur de la tyrannie. La peur des crimes rituels. La peur d’être envoyé en prison, parce que vous avez exprimé librement vos opinions. La peur d’être traîné en justice. Et il faut tout faire pour qu’ils sortent de la peur. Et le moyen de le faire, c’est la démocratie et l’état de droit. » Il n’est pas tendre non plus avec le « Plan Gabon émergent » lancé par le gouvernement en 2011 et qui doit sortir le pays de la pauvreté d’ici 2025, dans son programme qu’il met sous nos yeux, il a pris soin de ne pas une seule fois utiliser ce mot. Pour lui toute la stratégie économique d’un pays repose sur la prospective. « C’est le budget annuel qui permet de réaliser une vision d’avenir sur 25 ou 30 ans, c’est-à-dire, une génération. Ce budget permet de franchir les étapes fixées, il faut ensuite les découper en plan de développement de cinq ou six ans et à l’intérieur, vous obtenez un plan triennal glissant et c’est le budget qui vous permet de faire ces réalisations, le reste n’est que slogan », ne peut-il pas s’empêcher de conclure. Qu’à cela ne tienne, la discussion se poursuit notamment sur les thèmes de la corruption qui gangrène le pays, et là aussi Ping prévoit de faire le grand ménage. La charge violente de l’ancien homme fort d’Addis n’est pas née brusquement, c’est un processus qui a germé lentement et qui atteint en cette veille de joutes électorales son paroxysme. Car au départ, Jean Ping était un membre du clan.

Vieux routier de la politique gabonaise

Son père a quitté la Chine à 19 ans pour rejoindre la France où il a travaillé comme ouvrier dans les usines de bicyclettes Peugeot à Sochaux. Devenu marchand dans les années 1930, il vendait des bibelots sur la côte d’Afrique avant de rencontrer sa mère à Port-Gentil, il se fixe dans la région et devient exploitant forestier. Ping quitte la lagune du Fernan Vaz pour poursuivre ses études au lycée Léon-Mba de Libreville, puis à Paris. En 1975, il obtient un doctorat de sciences économiques à la Sorbonne, tout en travaillant comme fonctionnaire international à l’Unesco. En 1978, il devient premier conseiller de l’ambassade du Gabon à Paris, puis ambassadeur auprès de l’Unesco. En 1984, il rentre au Gabon et devient directeur du cabinet civil du chef de l’État, Omar Bongo Ondimba en remplacement de Jean-Pierre Lemboumba Lepandou, alors tombé en disgrâce. Mais plus qu’une fonction, c’est un véritable sacerdoce. Ce rôle fait de lui, l’homme incontournable de la famille Bongo, dont il devient membre à part entière en ayant deux enfants avec Pascaline Bongo, alors grande argentière du clan familial. Jean Ping entre au gouvernement en 1990 en qualité de ministre de l’Information, des Postes et Télécommunications, du Tourisme et des Loisirs, de la Réforme du secteur public, chargé des Relations avec le Parlement. Homme-orchestre, et véritable confident, au lendemain de la Conférence nationale, c’est à lui que revient le maroquin sensible des Mines, des Hydrocarbures, de l’Énergie et des Ressources hydrauliques. Après une première expérience comme chef de la diplomatie en 1994, il est nommé aux Finances, puis au ministère de la Planification, de l’Environnement et du Tourisme jusqu’en janvier 1999, date à laquelle il devient ministre d’État chargé des Affaires étrangères, de la Coopération et de la Francophonie.

La brouille avec Ali Bongo

Après avoir passé quatre ans à la tête de la commission de l’Union africaine, il tente de se faire réélire pour un second mandat, en 2012, sans succès. Pire, c’est un échec personnel pour Jean Ping qui croit s’être fait piéger par son propre pays, qui ne l’aurait pas soutenu lors du vote face à la Sud-Africaine Nkosazana Dlamini Zuma. La brouille avec le chef de l’État Ali Bongo paraît inévitable. Alors qu’il avait avec une certaine diplomatie évité de prendre part à la vie politique interne de son pays, en sortant peu à peu du Parti démocratique gabonais (PDG) les deux hommes s’étaient progressivement éloignés, laissant les soupçons et autres rumeurs faire le reste. Mais surtout Ping tranche : ce qui est supportable chez le père et l’est beaucoup moins chez le fils est que « lorsque le fils est arrivé en 2009 comme on le connaissait un peu on était déjà réticent, mais surtout on se disait que le Gabon n’est pas une monarchie puis on lui a donné une chance de changer, de faire bouger les choses, mais voilà la situation d’aujourd’hui, c’est catastrophique, c’est pire qu’avant », assène-t-il.

Ping, candidat de toute l’opposition ?

Jean Ping franchit le Rubicon en 2014, en s’affichant avec l’opposition. Dans la perspective de la présidentielle, plusieurs de ces partis, dont l’Union des forces pour l’alternance (UFA) et l’Union des forces pour le changement (UFC), ont fondé un « front uni » – le Front de l’opposition pour l’alternance (Fopa) – pour désigner un candidat unique face au président sortant. Cette unité a volé en éclats avec l’annonce par Jean Ping de sa candidature contre l’avis d’une partie des membres du front. Sans compter, l’autre challenger de l’opposition, Casimir Oyé Mba de l’Union nationale (parti fondé par André Mba Obame, décédé en 2015). Mais la surprise pourrait venir du côté du parti au pouvoir, le Parti démocratique gabonais (PDG), en voulant museler une partie des frondeurs, le chef de l’État sortant a déclaré très tôt sa candidature surprenant certains caciques. À l’approche de l’échéance électorale, les déçus d’Ali Bongo oseront-ils franchir le pas et rejoindre Jean Ping ?

Exprimez-vous!

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

spot_imgspot_img

Articles apparentés

spot_imgspot_img

Suivez-nous!

1,877FansJ'aime
133SuiveursSuivre
558AbonnésS'abonner

RÉCENTS ARTICLES