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Gabon : Jean Ping, le cacique d’Omar Bongo qui veut casser Ali

Jean Ping, candidat contre le président gabonais sortant Ali Bongo à la présidentielle à un tour du 27 août 2016.
Des yeux de bouddha, un corps rond et des lèvres minces d’où sortent des phrases tranchantes comme un rasoir : « Ali Bongo est un être malhonnête et féroce. »

Jean Ping, 73 ans, a été investi candidat unique de l’opposition gabonaise le 16 août après le ralliement de deux ténors, Guy Nzouba Ndama et Casimir Oyé Mba. Une position renforcée, samedi 20 août, par le soutien d’un autre candidat, Léon-Paul Ngoulakia, cousin germain d’Ali Bongo. M. Ping augmente ainsi ses chances de succéder, dimanche, à Ali Bongo Odimba, qui se présente pour un second mandat à la tête de ce pays pétrolier de près de 2 millions d’habitants sévèrement touché par la chute des cours du baril.

Poncifs de campagne

Jean Ping n’échappe pas au catalogue des poncifs de campagne (« Le pays doit être un équilibre de justice sociale et d’équité » ou « Je lutterai contre la fraude dans les affaires publiques »). C’est sans doute qu’il a été à bonne école : l’homme a été un cacique du régime d’Omar Bongo, jusqu’à la rupture avec le Parti démocratique du Gabon (PDG) il y a deux ans, et a eu largement le temps de tisser des liens puissants avec la famille qui règne sur le pays depuis plus de cinquante ans. Des liens qui suent la rage, la passion et l’amour. Il fut le compagnon de Pascaline, fille aînée d’Omar, une relation dont sont issus plusieurs enfants.

Il fut tour à tour chef de cabinet d’Omar Bongo et tellement de fois ministre qu’il faudrait un boulier pour compter les maroquins dont il a eu la charge.

De sorte que le répertoire de ses propres personnages, y compris celui d’ex-gendre du président, fera toujours de lui l’interprète assermenté des secrets et des turpitudes du clan Bongo.

Pour le candidat désormais unique de l’opposition, ce sera « l’alternance ou la mort », confiait-il, théâtral, au Monde Afrique en juillet dans un hôtel parisien, alors que les tractations au sein de l’opposition gabonaise étaient encore embryonnaires. « Le Gabon est devenu un Etat voyou et on sait ce qu’est capable de faire un Etat voyou contre ses propres opposants… On a commencé il y a quelques mois par geler mes biens. On m’a fait aussi endosser la responsabilité de détournements de fonds. Vous verrez, les derniers jours de la campagne seront encore plus diffamants à mon égard », disait-il avant de lâcher : « J’ai dit à mes enfants que je pouvais tout aussi bien mourir assassiné. Je me présente pour ne pas être comptable de ce désastre moral et économique qui frappe le pays. »

Une jeunesse flétrie

L’histoire de Jean Ping est connue, mais, quand il la raconte, c’est avec la cadence des récits de Paul Morand.

Il est le fils d’un riche fermier chinois de la région de Wenzhou qui débarque à Marseille dans les années 1930. Quand cet homme arrive Gare de Lyon, à Paris, il devient cordonnier, puis tailleur. « Il trouve ensuite un boulot à Sochaux, chez Peugeot Cycles. Il est accompagné d’un ami, aussi chinois, qui lui lance : “Deviens colporteur, comme moi !”. » Les deux compères filent à Bordeaux et sautent dans un bateau pour l’Afrique. Arrêt à chaque port pour vendre leurs bibelots. « Puis un stop à Port-Gentil un peu avant le début des hostilités en Europe. » Et qu’advient-il ? « Mon père loupe le bateau qui ne repasse qu’un mois plus tard. Etait-il au bordel ? Etait-il trop saoul ? Il reste. Achète une boulangerie à un colon français. Et devient boulanger. Puis pêcheur. Puis spécialiste en salaison. Ensuite, exploitant forestier. Il accumule du capital, devient Charles Ping pour l’administration française. » Ping père épouse la fille d’un chef traditionnel, a des projets pour ses enfants. « Il veut que je fasse médecine. J’ai horreur du sang. Je fais Sciences éco à Paris. »

L’écouter évoquer le Gabon, dont il fut l’un des dirigeants les plus loyaux sous Omar Bongo, c’est évoquer une jeunesse flétrie, un pays sclérosé et gâté par les fruits pourris du régime sous un soleil chaud « qui annonce l’orage ». « Ali Bongo est un incapable à la tête d’un pays qui prend l’eau, tranche-t-il. Il ne sait pas comment fonctionne son pays. Et la campagne ne manquera pas de rebondir sur son identité. »

La polémique a été lancée à l’automne 2014 après la publication du livre de Pierre Péan, Nouvelles Affaires africaines, qui affirme qu’Ali Bongo aurait falsifié son acte de naissance. Selon cette thèse, démentie par la présidence gabonaise qui a porté plainte, il serait en fait un enfant nigérian adopté pendant la guerre du Biafra, à la fin des années 1960.

« Repli français »

Pour Jean Ping, « Ali Bongo est la chose de Sarkozy et de Guéant. Ils l’ont fabriqué. » En 2009, lors de l’élection d’Ali Bongo, M. Ping est à la tête de la commission de l’Union africaine (UA), la seule organisation internationale à refuser l’intervention militaire étrangère en Libye. Jean Ping s’engage avec une initiative de médiation, qui sera balayée. Il tient donc Nicolas Sarkozy pour l’un des responsables du chaos libyen.

Jean Ping dit avoir rencontré depuis six mois à Paris « des leaders français de gauche comme de droite » pour leur expliquer « la nécessité d’une alternance et sur l’Etat dégradé du pays et de ses institutions ». Et ? « Paris a ses propres services et sait parfaitement ce qu’il en est du pays…. Mais Paris dicte et Ali fait… », souffle-t-il, en ajoutant qu’il considère le ministre de la défense Jean-Yves Le Drian comme « le seul ministre des affaires étrangères d’Hollande ».

Les rapports de Jean Ping, comme beaucoup d’opposants africains, avec l’Elysée auraient été marqués par « une incompréhension », notamment avec Hélène Le Gal, qui en dirigeait la cellule Afrique et vient d’être nommée ambassadeur de France en Israël.

Il est ennuyé et prend un temps de réflexion : « Comment dire ? La première impression est d’avoir eu à faire à une idéologue. La Françafrique, nous sommes tous d’accord, c’est fini, me dit-elle. Entendu, mais que fait-on ? Je lui réponds : nos liens sont forts, liés à colonisation, à la langue, etc. Alors, je renchéris : on jette tout ? Débrouillez-vous, me fait-elle. Mais qu’est-ce que ça veut dire : ce n’est pas possible de dire aux Africains francophones une chose pareille sans rien proposer. Je vois cela comme un repli que l’on peut mettre en parallèle avec un repli français sur lui-même et ça me désole », lâche-t-il.

Le Chinois aux « yeux de travers »

Jean Ping, après vingt-six années derrière les portes capitonnées des ministères, parle de lui avec un immense orgueil et une touchante innocence. « Au fond, j’aurais pu rester dans un exil parisien à gérer les affaires de mon cabinet de consulting. » Et quand il évoque Omar Bongo, il convoque Machiavel et Talleyrand : « Un homme extrêmement rusé, intelligent. Une intelligence instinctive, celle du fauve. Et patient, en toutes choses. Il n’avait pas fait d’études mais savait remarquablement manœuvrer les hommes. » La différence majeure entre le père et le fils, selon lui ? « Omar absorbait l’adversaire politique. Ali, lui, le rejette, l’expulse comme un corps étranger. »

Etranger, Jean Ping ? « A l’école, on m’appelait “yeux de travers”. On était trois métis dans le village. Deux Blancs et moi. Le métis en Afrique est vu comme l’homme “entre deux mondes”. Tu es chinois ! me disait-on. Mais je ne parle pas mandarin. Ma langue, c’est le français. » L’élection du 27 août, elle, est gabonaise.

Jean-Louis Le Touzet (contributeur Le Monde Afrique)

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