spot_imgspot_img

Le Gabon au bord de l’embrasement

Les forces de l’ordre répriment la colère des manifestants à Libreville, après la réélection contestée du président Ali Bongo.

Le Gabon s’est réveillé effaré jeudi, après une nuit d’émeutes et de cris. Selon des témoins, la capitale, Libreville, est marquée par les stigmates des violences, les rues jonchées de carcasses de voitures brûlées et de boutiques pillées. Les forces de l’ordre quadrillent la ville, armes visibles, filtrant les rares voitures et les passants, plus rares encore. D’après la police et plusieurs opposants, des rixes étaient encore en cours dans plusieurs quartiers populaires de la capitale dans la journée malgré ce déploiement.

Libreville a basculé dans la violence mercredi soir, après la publication des résultats de l’élection présidentielle donnant la victoire de justesse au président sortant, Ali Bongo, avec 49, 80 % contre 48,20 à son rival, Jean Ping. Un verdict vivement contesté par l’opposition, qui hurle à la fraude et appelle à la résistance. Jeudi, vers 1 heure du matin, les forces de l’ordre ont envahi le QG de Jean Ping, un vaste bâtiment placé dans le quartier Charbonnage, où se concentraient les militants.

«La garde présidentielle et des mercenaires sont venus et ils ont tiré. Ils ont tout saccagé, tout cassé dans l’espoir de saper la résistance. Ils espéraient saisir les preuves de la fraude que nous possédons. Mais elles sont en lieu sûr», décrivait jeudi matin, Jean Ping assurant que l’assaut avait fait au moins deux morts. Le clan présidentiel affirme, de son côté, avoir agi pour «maintenir l’ordre» après l’incendie partiel, quelques heures auparavant, de l’Assemblée nationale.

«La démocratie s’accorde mal des succès autoproclamés, des groupuscules formés à la destruction. La démocratie s’accommode mal de la prise d’assaut d’un Parlement et de la télévision nationale», a déclaré Ali Bongo. «Les incendiaires ont trouvé refuge dans le QG de Jean Ping», précisait Alain-Claude Bilie By Nze, le porte-parole d’Ali Bongo. «Les élections ont rendu leur verdict. Qui a perdu? Un groupuscule dont le seul projet était de prendre le pouvoir pour se servir du Gabon et non servir le Gabon», a continué le président sortant.

«Personne n’est venu chez moi. Et quand bien même. Est-ce une raison pour massacrer le peuple ? Tout le monde sait que j’ai gagné»
Jean Ping

Une version évidemment réfutée par l’opposition. «Personne n’est venu chez moi. Et quand bien même. Est-ce une raison pour massacrer le peuple? Tout le monde sait que j’ai gagné», a rétorqué Jean Ping, qui évoque «des arrestations arbitraires massives». Selon son porte-parole, Jean Gaspard Ntoutoume, plusieurs hauts responsables politiques d’opposition étaient toujours «séquestrés» jeudi en fin d’après-midi dans le QG de Jean Ping. Le ministère de l’Intérieur a reconnu «entre 600 et 800 interpellations» à Libreville et «200 à 300 dans le reste du pays». Le bilan des victimes est plus flou. Les autorités affirment que les émeutes ont fait trois victimes.

Les points de vue semblent irréconciliables et la situation de plus en plus dangereuse. La colère se concentre sur la province du Haut-Ogooué, fief d’Ali Bongo, que ce dernier aurait gagné haut la main, selon les chiffres officiels, avec une participation de plus de 99 %. «Ce sont des chiffres qui sont un peu difficiles à avaler», reconnaît un diplomate européen. Pour Jean Ping, c’est «sans nul doute impossible». Il exige donc, comme depuis deux jours, la publication des résultats bureau de vote par bureau de vote pour «apaiser» la situation. «La balle est dans le camp d’Ali Bongo.» Le président et les siens s’y refusent net. «Ce n’est pas dans les lois gabonaises», s’agace Arnauld Engandji, conseiller d’Ali Bongo.

Cette position de fermeté ne sera pas facile à maintenir. La communauté internationale, inquiète face aux risques de nouvelles violences, accentue ses pressions. Dans un communiqué, dès mercredi, la diplomatie de l’Union européenne a réclamé la publication des votes bureau par bureau. Tout comme le département d’État. Jeudi, la France, jusque-là prudente s’est jointe à la demande. «Des résultats ont été publiés hier. Il y a un doute sur leur sincérité (…) Avec l’Union européenne, la France appelle à la publication des résultats, bureau par bureau. C’est de cette manière que les Gabonais pourront avoir confiance dans les résultats», a déclaré le ministre des Affaires étrangères Jean-Marc Ayrault tout en appelant «chacun à la plus grande retenue».

Jeudi soir, alors que le ballet diplomatique s’intensifiait, les rues de Libreville se vidaient dans la crainte d’une nouvelle nuit chaude. «On a peur, on a peur de la nuit qui arrive. La guerre va recommencer», expliquait, jeudi après-midi, Germain un habitant des quartiers hauts de la ville.
Inquiétude pour les ressortissants français

L’inquiétude prévalait jeudi concernant les 11.000 ressortissants français vivant au Gabon, après les émeutes postélectorales qui ont éclaté la veille dans plusieurs quartiers de la capitale, Libreville. À Paris, une cellule de crise a été ouverte au Quai d’Orsay. Son porte-parole a demandé aux Français de reporter tout voyage au Gabon et, à ceux qui sont sur place, de rester chez eux. La France, qui dispose au Gabon de 450 militaires, n’entend toutefois pas intervenir dans le conflit. «C’est une affaire interne gabonaise», a déclaré le colonel Patrik Steiger, porte-parole du chef d’état-major des armées. «Les instructions (données aux militaires) sont très simples, c’est d’éviter de créer un malentendu, donc de limiter les déplacements», a-t-il précisé. En 2009, des manifestants s’en étaient pris au consulat de France à Port-Gentil, la deuxième ville du pays, et l’avaient incendié.

Par Tanguy Berthemet

Exprimez-vous!

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

spot_imgspot_img

Articles apparentés

spot_imgspot_img

Suivez-nous!

1,877FansJ'aime
133SuiveursSuivre
558AbonnésS'abonner

RÉCENTS ARTICLES