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La Cour constitutionnelle, dernière cartouche de l’opposition gabonaise

Jean Ping, adversaire malheureux d’Ali Bongo à l’élection présidentielle, a saisi la plus haute juridiction du pays pour dénoncer une fraude électorale de grande ampleur. Mais l’impartialité de la Cour est remise en question.

Jamais une décision de justice n’aura été aussi attendue au Gabon : la Cour constitutionnelle doit trancher le contentieux électoral entre Ali Bongo, officiellement désigné vainqueur de la présidentielle du 27 août avec une avance de 5594 voix, et son rival Jean Ping, qui dénonce une fraude massive et s’est autoproclamé «président élu». C’est la dernière chance légale pour l’opposition, qui a saisi la plus haute juridiction du pays, jeudi, quarante-cinq minutes avant l’expiration du délai prévu par la loi. La Cour a désormais deux semaines pour statuer.

Présidée par Marie-Madeleine Mborantsuo, 61 ans, qui fut une maîtresse d’Omar Bongo, l’instance suprême gabonaise est régulièrement moquée pour sa proximité avec le régime. «Marie-Madeleine Mborantsuo a été nommée à la Cour en 1991, année de sa fondation, et elle en est présidente depuis 1998, rappelle Slaviana Nze, membre du collectif Gabon Démocratie. Or, la Constitution précise que la durée du mandat des membres de la Cour est de sept ans renouvelable une fois. Marie-Madeleine Mborantsuo a dépassé le délai de onze ans ! C’est aussi le cas pour deux autres des neuf membres de la Cour, qui devient illégale.» La militante se fait peu d’illusion sur l’issue du contentieux : «La présidente de la Cour et le président de la République se tiennent par la barbichette : ils ont besoin l’un de l’autre et se soutiennent mutuellement.»

Lors des précédentes élections, l’institution a systématiquement rendu des décisions favorables aux Bongo. Cette fois-ci, cependant, l’Union européenne, les Etats-Unis et la France ont clairement émis des doutes sur le déroulement du scrutin. Dans la province du Haut-Ogooué, fief de la famille Bongo, le taux de participation de 99,9% et le vote en faveur du président sortant à hauteur de 95% sont difficilement avalables pour les observateurs. La mission d’observation européenne a pointé une «évidente anomalie» dans les résultats.

«Pression internationale»

C’est sur cette région clé que portent les recours de Jean Ping. «Sur les 297 bureaux de vote de la province, nous avons obtenu 174 procès-verbaux [la loi électorale prévoit que dans chaque bureau, un PV soit remis à l’opposition, ndlr]. Ils montrent déjà 11 000 abstentions sur 61 000 inscrits. Il est donc impossible que la participation ait été de 99,9%, explique Lionel Essono Ondo, porte-parole de Jean Ping en France. Nous demandons une confrontation PV par PV, de façon paritaire, en présence d’experts de l’Union européenne.»

La Cour constitutionnelle acceptera-t-elle cette demande ? Par le passé, ce recomptage «contradictoire» avait été refusé, note Anges Kévin Nzigou, juriste franco-gabonais (1): «Mais ce contentieux est différent de tout ce qu’on a connu auparavant. D’abord, la pression internationale n’est pas la même. Ensuite, la triche sur le taux de participation n’a jamais été aussi grossière. Enfin, quoi qu’on en dise à Libreville, je crois que paradoxalement Marie-Madeleine Mborantsuo est capable d’affronter Ali Bongo, car elle suit avant tout son propre intérêt. C’est ce qui la différencie des autres magistrats inféodés au régime.»

Ex-baron du parti présidentiel

Cette présidente qui a désormais le pouvoir de faire ou défaire le chef de l’Etat «se sent copropriétaire du pouvoir», poursuit Anges Kévin Nzigou: «Elle est visée par plusieurs dossiers de conflits d’intérêts. Si elle se sent davantage protégée avec Ali Bongo, elle le maintiendra en place. Si elle reçoit des assurances de l’opposition ou de la communauté internationale, en revanche, tout est possible.» Car pour la première fois, l’opposant numéro 1 n’est pas un étranger aux rouages du pouvoir. Ex-baron du parti présidentiel qui a aidé à façonner le système, Jean Ping a aussi ses entrées à la Cour constitutionnelle. Sa nièce en est d’ailleurs l’une des neuf membres.

L’espoir est donc encore permis pour les partisans de l’alternance. Quand Marie-Madeleine Mborantsuo rendra sa décision, en revanche, toutes les possibilités de recours légal seront épuisées. Une nouvelle vague de violences pourrait alors parcourir le Gabon. Et cette fois-ci, les deux adversaires y seront préparés.

(1) Auteur de Je plaide constitutionnel, éditions Jets d’Encre, 2010.

Célian Macé

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