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Gabon : « De mémoire de Gabonais, nous n’avons jamais eu aussi peur »

REPORTAGE. Tenaillés par l’angoisse et la peur, les Gabonais attendent la proclamation définitive des résultats de la présidentielle. Ils racontent.

« Nous n’avons jamais vu ce qui s’est passé dans le pays le 31 août 2016, jour de la proclamation des résultats provisoires de la présidentielle. Nous avons vraiment peur », a confié sous couvert de l’anonymat un homme d’affaires français, établi dans la zone industrielle d’Oloumi, dans le 5e arrondissement de Libreville. Le 31 août 2016, après la proclamation des résultats provisoires, qui donnaient Ali Bongo vainqueur (49,80 %) d’une courte tête contre son principal challenge Jean Ping (48,23 %), les manifestations de violence ont éclaté à Libreville et à l’intérieur du pays.

Les manifestants avaient brûlé et pillé de nombreux magasins appartenant aux étrangers. Mohamed Taleb, commerçant au 2e arrondissement de Libreville, s’étonne de ce déferlement de violence contre les biens privés appartenant aux expatriés. Il explique : « Nous ne votons pas et ne nous mêlons pas du processus électoral en cours dans le pays, mais nos biens ont été pris pour cible par les manifestants. Beaucoup de nos compatriotes ont perdu leurs magasins dans plusieurs quartiers de la ville. Nous avons vraiment peur. Plusieurs frères sont rentrés en Mauritanie les mains vides, alors que d’autres ont enlevé leurs marchandises dans les magasins pour les cacher dans les domiciles privés. Moi j’ai choisi de rester et je fais confiance au bon Dieu. Nous voulons plus de sécurité et de paix au Gabon. C’est très important pour les affaires », a déclaré Mohamed Taleb. Ibrahim So, Sénégalais, vendeur d’outils informatiques, envisage pour sa part un retour au pays natal, « en attendant l’accalmie sur le front politique à Libreville ».

Les populations dans le stress

Dans les quartiers de Libreville, les populations vivent dans l’angoisse et le stress en attendant la proclamation des résultats de la présidentielle par la Cour constitutionnelle. Isabelle Nzang Mba, fonctionnaire, raconte : « Personnellement la situation que traverse actuellement le pays me stresse. Je vis à Nkembo, un quartier du 2e arrondissement de Libreville, où une bonne partie des habitants sont proches de l’opposition. Chaque fois qu’il y a des émeutes, nous sommes visés par les éléments des forces de sécurité, parfois dans une confusion totale. Les bandits venus d’autres quartiers y arrivent également pour semer la désolation. » Elle ajoute : « Le 31 août 2016, il ya eu beaucoup de casse dans notre quartier. Par la suite, nous avons été encerclés par les forces de l’ordre. C’est traumatisant pour les enfants et difficile pour tout le monde. Nous comptons faire des provisions en eau et nourriture avant le 23 septembre. »

De nombreux Librevillois vivant dans les quartiers à risque et réputés proches de l’opposition ont rejoint des parents dans les zones périphériques, un peu plus calme en cas de violences. D’autres ont choisi de quitter la capitale gabonaise pour se rendre à l’intérieur du pays. C’est le cas de Fernand Mombo, père de famille, rencontré le 14 septembre dernier à la gare ferroviaire d’Owendo. « J’ai fait voyager ma femme et les enfants il y a une semaine. Moi-même je quitte Libreville dans quelques heures pour me rendre au village », confie-t-il.

Changement d’habitudes

Le contexte politique actuel au Gabon oblige bon nombre de citoyens à modifier leurs comportements. Beaucoup ne sortent plus la nuit malgré le déploiement des forces de l’ordre dans les principales artères de la capitale gabonaise. « Lorsque je sors avec mon chéri, on fait tout pour rentrer à la maison avant la tombée de la nuit. Et désormais, nous ne nous éloignons plus de la maison », confie Melissa Aboghé, journaliste. Au sein des entreprises, l’heure est également au respect strict des horaires de travail. Plus personne ne reste au bureau après 15 heures. « Avant on travaillait parfois jusqu’à 16 heures ou 17 heures. Maintenant les gens se précipitent à rentrer chez eux. Plus personne n’est ici après 15 heures. Les gens vivent dans la psychose et les activités vont au ralenti depuis le début de la crise post-électorale. Notre souhait est que nos leaders politiques fassent preuve de beaucoup de patriotisme. Une élection est un jeu. Il faut savoir accepter l’échec au nom du peuple », a souligné Steeve Mbella, agent à la société Gesparc. Plus grave, les prix des denrées alimentaires ont flambée partout. « Le kilogramme de poulet qu’on achetait à 12 00 francs CFA est vendu actuellement à 17 00 francs. Les prix ont augmenté et c’est un coup dur pour le panier de la ménagère », s’est plaint Josiane Mvé, fonctionnaire.

L’école prise en otage

La plupart des établissements scolaires, qui devaient ouvrir leurs portes le 5 septembre 2016, pour la rentrée administrative, restent encore fermés. Les promoteurs des écoles veulent voir clair avant de lancer les inscriptions et la publicité dans les médias. La semaine écoulée, le ministre gabonais de l’Éducation nationale, Florentin Moussavou, a tenté de rassurer les parents quant au démarrage des activités pédagogiques pour l’année 2016-2017, tout en restant prudent. « Les choses se mettent en place progressivement pour la rentrée des classes. Mais nous ne pourrons pas envoyer les enfants à l’école dans l’insécurité », a-t-il dit. Dans une déclaration lue devant les médias mercredi, le secrétaire général du Parti démocratique gabonais (PDG) Faustin Boukoubi avait enjoint au gouvernement avec le concours des enseignants de prendre des dispositions particulières afin d’assurer le bon déroulement de la prochaine rentrée des classes. De nombreux étudiants rentrés à Libreville ont lancé l’appel à Ali Bongo et Jean Ping de ne pas sacrifier l’école sur l’autel de leurs intérêts. « La jeunesse et l’école seront les premières victimes d’un conflit politique long. Nous savons que la rentrée des classes n’aura jamais lieu dans une situation d’insécurité. Si les deux rivaux aiment les enfants du Gabon, ils doivent se surpasser, se parler et faire prévaloir les intérêts collectifs au détriment de leurs ego », a laissé entendre Paul, étudiant. « Au regard des positions actuelles et de la détermination des deux camps, les étincelles sont visibles et nous craignons pour la vie des Gabonais, notamment, les jeunes, les femmes et les personnes du 3e âge. Je vois mal les Gabonais devenir des réfugiés de guerre. Il faut faire très attention. Le Gabon est un bien commun. La jeunesse doit être consciente de ses responsabilités et sa place n’est pas dans les théâtres des conflits politiques. J’appelle les hommes politiques à ne pas sacrifier la jeunesse », a lancé Martial, étudiant gabonais.

Des appels au calme et à la vigilance

Mardi, le président de la République, Ali Bongo Ondimba, a invité ses compatriotes à l’extrême vigilance, dans un discours radiotélévisé : « L’histoire nous a appris des choses. À travers les siècles, ceux que la démocratie gêne agissent et ont toujours agi de la même façon. Ils ont créé des événements dramatiques pour rendre son exercice impossible. Alors je veux appeler les Gabonais à l’extrême vigilance », a dit Ali Bongo, avant d’ajouter : « Je sais que la violence ne laisse qu’une chose derrière elle ; cette chose c’est le malheur. » Mercredi, le secrétaire général du PDG, Faustin Boukoubi, a pour sa part plaidé pour la préservation de la paix, à quelques jours de la proclamation des résultats de la présidentielle par la Cour constitutionnelle. Pendant ce temps, l’opposition met la pression sur la plus haute juridiction en matière de contentieux électoral du pays. Le 15 septembre dernier, les avocats de Jean Ping ont à nouveau exigé le recomptage des voix dans la province du Haut-Ogooué, en présence des observateurs internationaux.

PAR NOTRE CORRESPONDANT À LIBREVILLE, PIERRE-ERIC MBOG BATASSI

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