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Jean Ping : « Les Français ont torpillé la position de l’Europe sur les résultats de l’élection »

Le candidat malheureux à la présidentielle du 27 août accuse Paris d’avoir finalement validé des résultats dénoncés par les observateurs de l’UE.

Propos recueillis par Christophe Châtelot

Candidat malheureux à l’élection présidentielle du 27 août face au président sortant Ali Bongo Ondimba à l’issue d’un scrutin qu’il juge frauduleux, Jean Ping a entrepris une tournée en Europe et aux Etats-Unis pour tenter de sensibiliser les autorités occidentales. L’ancien président de la Commission de l’Union africaine se dit convaincu que le résultat de l’élection peut encore être inversé et critique vertement l’attitude de la France.

Quel message êtes-vous venu délivrer ?

Jean Ping: Avant l’élection, je suis venu régulièrement pour dire aux pays occidentaux que je serai un interlocuteur meilleur que l’autre [le président Ali Bongo Ondimba]. Depuis le scrutin, le monde entier sait que j’ai gagné ces élections, Ali Bongo aussi le sait. Pour la première fois au Gabon, il a été pris la main dans le sac en train de tricher. Les observateurs de l’Union européenne l’ont constaté. En 2009, on sait qu’il avait déjà triché, qu’il avait inversé les résultats pour sortir gagnant mais il n’y avait pas d’observateurs.

Cette année, dès le 31 août [jour de l’annonce des résultats], le pays était en ébullition. Les partenaires étrangers nous ont alors posé un certain nombre d’exigences : stopper la rue et faire marcher les institutions. On leur a dit qu’on sait que, depuis 50 ans, les institutions gabonaises sont biaisées. Mais ils nous ont promis de faire pression sur elles. On a donc accepté en pensant que la communauté internationale allait jouer son rôle et faire en sorte que la Cour constitutionnelle gabonaise dise le droit. Je crois que nos partenaires ont fait pression, mais ça n’a pas marché. A partir de ce moment-là, ces mêmes partenaires auraient dû le dénoncer et prendre des sanctions. Nous avons arrêté la rue qui manifestait son rejet d’Ali Bongo même si ce n’est pas moi qui avais instrumentalisé les violences.

Des promesses n’ont pas été tenues ?

Nous avons l’impression d’avoir été roulés dans la farine par certains qui, aujourd’hui, s’en lavent les mains. Ça veut dire quoi ce lâchage ? Comment dire un certain nombre de choses puis son contraire ? Je ne veux citer personne parce que je suis en France et que je ne veux vraiment pas critiquer les personnalités françaises…

Mais on ne peut que constater les ajustements de langage des autorités françaises…

Absolument. C’est pourquoi nous avons l’impression d’avoir été roulés dans la farine. Pas par l’Union européenne, je ne crois pas. Les Américains, je vais prochainement aux Etats-Unis, je ne sais pas encore.

Êtes-vous déçus par l’attitude de la France ?

Les Gabonais sont très, très, très déçus par la France. Moi, pour ce qui me concerne, je ne m’attendais pas à voir ce gouvernement-là faire des choses extraordinaires. Nous comptions davantage sur l’Union européenne et nous pensions que la France allait se cacher derrière elle. C’est beaucoup plus sage lorsque vous ne voulez pas prendre de décision ouvertement. Mais là, les Français ont torpillé la position de l’Union européenne.

Craignez-vous des attaques contre les intérêts français (10 000 Français ou binationaux vivent eu Gabon) ?

Ce serait contre-productif parce que cela dresserait les Français encore plus contre nous, et nous faisons tout pour éviter ça. Nous devons travailler avec ces intérêts dominants. Jusque-là, nous avons été entendus. Est-ce que ce sera comme ça tout le temps ? Nous ne pouvons pas le savoir.

Attendez-vous quelque chose d’un changement de majorité en France ?

Oui et non. Je pense que, n’importe lesquels seront plus courageux, qu’ils prendront des décisions. Et non, parce qu’en avril ce sera trop tard. Ça se joue maintenant. Imaginons qu’Ali soit encore là dans six mois, la droite ne pourra pas faire grand-chose.

Que peut faire Bruxelles ?

J’attends que la Commission dise le droit, en termes diplomatiques, mais le dise, c’est important, sur la base du rapport des observateurs de l’UE qui devrait être rendu public d’ici au 15 novembre. Mais, encore une fois, on ne pensait quand même pas que les autorités françaises allaient contrarier ce rapport, avant même sa publication. Voyez les déclarations du premier ministre français Manuel Valls [le 31 octobre sur les ondes de RFI, il déclarait : « Le Gabon a un président. Et le seul souhait que nous pouvons émettre, c’est qu’il y ait un dialogue, une réconciliation »]. Pour lui, c’est évident, tout est réglé, il s’en lave les mains, il n’y a plus rien à voir, circulez ! Comment dire ça ! Avant même la publication d’un rapport de l’UE que l’on sait critique vis-à-vis du scrutin !

Un rapport de l’UE n’a jamais inversé le résultat d’une élection…

On ne demande à personne de venir voter ou de faire la révolution à notre place. On demande seulement à l’UE de dire le droit. Et on demande l’application de sanctions ciblées telles que celles souvent utilisées dans des situations de ce genre.

Mais vous pensez donc que la victoire que vous revendiquez peut-être reconnue ?

Le résultat va être inversé. Je vous le dis. De gré ou de force.

La répression des manifestations post-électorales ne les a-t-elle pas découragées ?

C’est sans doute ce que se disent Manuel Valls et autres. Ils se disent que c’est calme, que rien ne bouge, qu’il n’y a pas de manifestation. Il pense : « Ali [Bongo Ondimba] a verrouillé le système, il a volé mais ça marche. Quel autre choix que de le reconnaître ? Il a réussi son coup. » Mais si on creuse un peu, on s’aperçoit que ça ne marche pas. Le Gabon est ingouvernable, rien ne s’y passe : les écoles sont fermées, les grèves sont là, dans le pétrole, l’enseignement…

Contrairement à 1993 et 2009 [élections marquées par des violences], nous avons incité les gens à ne pas s’attaquer aux outils de production, ni aux investisseurs étrangers, même à ceux de Vincent Bolloré qui soutient Ali Bongo Ondimba. Ce sont les engagements que les Etats-Unis, notamment, nous ont demandé de tenir vis-à-vis de leurs investissements. Les grèves sont donc une sorte de “gentleman agreement” pour ne pas s’attaquer aux outils de production. Ça va continuer. La conséquence est qu’il n’y a plus d’argent dans les caisses de l’Etat pour payer les fonctionnaires.

La société gabonaise est généralement considérée comme pacifiste voire peureuse. Nous n’avons jamais connu de guerre d’indépendance ni contre un autre Etat. Mais brutalement les choses ont changé, j’ai du mal à reconnaître mes concitoyens. Ils se sont battus.

Pourquoi ne pas participer au dialogue proposé par le pouvoir gabonais ?

L’élection était une forme de référendum pour ou contre Ali Bongo Ondimba. Aujourd’hui, ceux qui ont voté pour moi dise que, si je pactise avec lui, ils viendront brûler ma maison, que ce serait une trahison. La colère monte.

Et puis on a arrêté mes partisans, on a tout cassé chez moi. On a tué des gens. Et je devrais aller dialoguer ? Pour arranger ma situation personnelle, à mon âge ?

Votre coalition anti-Ali va-t-elle résister aux mois à venir ?

Avez-vous déjà vu, dans le monde, un mouvement comme le nôtre dans lequel des gens n’abandonnent pas, ne collaborent pas ou ne sont pas achetés ? Ça se passe comme ça partout. C’est normal.

Quel est le bilan humain de la crise ?

La rumeur parle de 300 morts sur l’ensemble du territoire. Mais nous n’annonçons pas ces chiffres parce que nous n’en avons pas la preuve. Nous, au 26 octobre, nous avons identifié 22 morts par balle à Libreville dont 10 à mon siège électoral. Nous avons déposé un dossier à la Cour pénale internationale et Ali Bongo Ondimba n’y échappera pas.

Je suis moi-même physiquement menacé. Un camion de gendarmes et un blindé sont stationnés devant chez moi comme si j’étais en résidence surveillée.

Vous vous dites déçu par la réaction française, mais qu’en est-il des organisations sous-régionale ou continentale africaines ?

L’Union africaine est une organisation intergouvernementale, pas supranationale comme l’UE, si bien que les décisions sont prises par la conférence des chefs d’Etat. Ce sont eux qui donnent la voie à suivre. Ensuite, la Commission exécute. L’UA est un syndicat de chefs d’Etat qui se protègent les uns les autres. Le seul pouvoir dont dispose la Commission c’est en cas de coup d’Etat, parce que les présidents africains qui sont arrivés au pouvoir par un coup d’Etat ne veulent pas se faire déposer par autre coup d’Etat ! Ils ont donc donné carte blanche à la Commission et ça marche. Quant à la Communauté économique des Etats d’Afrique centrale, l’organisation sous-régionale, elle n’a jamais fonctionné.

Christophe Châtelot

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