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Gabon : duel à distance entre Jean Ping et Ali Bongo Ondimba

Je dialogue… moi non plus. À la veille des assises censées dénouer la crise postélectorale, qui ont commencé mardi 28 mars, les chances étaient minces de voir ABO et Jean Ping s’asseoir autour d’une même table.

Il avait promis de ne rien lâcher. Candidat malheureux à l’élection présidentielle du 27 août 2016, Jean Ping mène depuis sept mois une guerre des nerfs contre Ali Bongo Ondimba (ABO), dont il conteste la réélection.

Le processus électoral joue les prolongations et la prochaine échéance était prévue le 28 mars, date de l’ouverture du dialogue politique organisé par le pouvoir. Selon le comité ad hoc chargé d’organiser ce forum censé réunir l’ensemble des forces politiques du pays, l’objectif est d’apaiser les tensions sociopolitiques, de renforcer l’État de droit, de relancer le développement économique et d’enraciner une gouvernance saine et efficace. Mais l’opposant ne veut pas en entendre parler. Gratifié du titre de « président élu » par ses partisans, il a organisé son propre dialogue en décembre et les a appelés à boycotter les assises décidées par son rival.

Tenez bon ! Nous pouvons encore le chasser

Ne laissant aucun répit à ABO, Ping est récemment repassé à l’offensive : il s’est rendu à Paris mi-mars, multipliant les rendez-vous avec ses soutiens français avant de se rendre à Bruxelles, où il compte des amis au sein des institutions européennes. « Tenez bon ! Nous pouvons encore le chasser », clame-t-il à ses partisans tentés de prendre part aux législatives prévues en juillet.

Dans cette guerre de tranchées, une éphémère paix des braves avait été conclue. En janvier, des contacts informels entre les belligérants ont fait naître l’espoir d’un apaisement. Jean Ping a alors laissé des modérés de son entourage discuter avec le régime. « Nous avons même évoqué la possibilité d’un rendez-vous », confie l’un des négociateurs.

Et puis patatras ! Le 2 février, le Parlement européen fait tout capoter en adoptant une résolution au vitriol s’appuyant sur le rapport de la mission d’observation électorale mandatée par Bruxelles au Gabon : selon les députés européens, le processus électoral a manqué de « transparence », au point de produire des résultats « extrêmement douteux ».

Enfonçant le clou, le Parlement demande au Conseil européen, instance ministérielle habilitée à prendre des décisions contraignantes, de se saisir du dossier pour faire jouer les dispositions de l’accord de Cotonou. Dans ce cas de figure, celui-ci prévoit l’ouverture de consultations avec le pays mis en cause et, le cas échéant, le recours à des sanctions ciblées contre certaines personnalités au pouvoir. Revigoré par ce soutien venu de Bruxelles, Jean Ping enjoint dès lors à ses émissaires de rompre tout contact avec leurs interlocuteurs.

Départs de feu

Les hostilités reprennent de plus belle, sur fond de front social en ébullition. Connectée à l’agenda politique, la puissante Convention nationale des syndicats du secteur éducation (Conasysed) hausse le ton. Déjà en grève générale illimitée, les enseignants refusent de reprendre les cours tandis que les élèves investissent la rue. À bout de patience, le gouvernement tape donc du poing sur la table : le 17 mars, le ministre de l’Intérieur interdit le syndicat pour faits de « troubles manifestes à l’ordre public, entrave à la liberté du travail, violence et voies de fait ».

Sur le plan international, le pouvoir s’emploie également à éteindre les départs de feu. Ancien ministre des Affaires étrangères et ex-président de la Commission de l’Union africaine, Jean Ping a activé ses réseaux pour tenter d’isoler son adversaire. À Paris, le plaidoyer de l’opposant à d’abord reçu un écho favorable.

Le 1er septembre 2016, après une nuit de violences consécutive à la proclamation des résultats, l’ambassadeur français auprès des Nations unies, François Delattre, demande l’inscription de la crise postélectorale gabonaise à l’ordre du jour du Conseil de sécurité – dans la rubrique « divers » – afin que l’examen de la question soit sanctionné par un communiqué de son président.

Même si elle n’a pas la même force qu’une résolution, cette procédure couramment utilisée peut se révéler désastreuse, en matière d’image, pour le pays concerné car elle est susceptible d’entraîner une saisine du Comité des droits de l’homme. Toutefois, l’initiative n’aboutit pas, en raison du veto de la Chine et de la Russie.

Durant la même période, une autre bataille diplomatique se joue au sein de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), en prélude au sommet de Madagascar. Initialement, une résolution sur les troubles postélectoraux, portée par la France et le Canada, était inscrite à l’ordre du jour. Mais les diplomates gabonais parviennent à déconstruire le projet point par point.

Jean Ping a gagné l’élection mais il y a un seul président au Palais, et c’est Ali Bongo

À la veille du sommet, Paris revient à de meilleurs sentiments. « Le Gabon a un président et le seul souhait que nous pouvons émettre, c’est qu’il y ait un dialogue, une réconciliation », déclare le Premier ministre Manuel Valls en novembre. Ping accuse le coup mais ne baisse pas les bras.

Le 18 décembre, il convoque son propre « dialogue », où il n’est question que du départ d’ABO. Mais les décisions qui en sortent n’auront aucun impact. « Comment pouvons-nous faire en sorte que nos propositions s’accordent avec la réalité juridique, constitutionnelle et politique du pays ? s’interroge Casimir Oyé Mba, ex-candidat à la présidentielle avant son ralliement à Ping. Jean Ping a gagné l’élection mais il y a un seul président au Palais, et c’est Ali Bongo. »

Dans les rangs du pouvoir, on a la dent dure contre le Parlement européen. « La résolution du 2 février 2017 a torpillé les efforts de réconciliation entrepris, regrette un ministre. Elle a redonné espoir aux “faucons” de l’entourage de Ping, comme Zacharie Myboto et Guy Nzouba-Ndama, qui l’incitent à camper sur une ligne intransigeante. »

On est loin du scénario des accords de Paris, signés en septembre 1994 : tout en jouant à la perfection le rôle de l’opposant radical, chauffant à blanc ses partisans afin d’être en position de force face à Omar Bongo Ondimba, le père Paul Mba Abessole avait laissé ses lieutenants négocier. « Peut-être René Ndémezo Obiang joue-t-il ce rôle de négociateur pour le compte de Ping ? » susurre un habitué des joutes politiciennes gabonaises.

Beaucoup se comportent comme s’il ne s’agissait que d’un partage de postes

Hier directeur de campagne de Jean Ping, ce politicien rusé est aujourd’hui le premier vice-président du bureau du comité ad hoc chargé du dialogue. Officiellement, il a lâché son champion. Mais en coulisses tout semble possible…

Participer ou non aux assises ? La question menace de faire imploser l’opposition. Contre l’avis de leur chef de file, plusieurs personnalités de la coalition formée autour de Ping sont aujourd’hui prêtes à discuter avec le pouvoir. Patron de l’une des trois tendances de l’Union du peuple gabonais (UPG), David Mbadinga n’est pas insensible à la perspective de refondre le code électoral. L’ancien président de l’Assemblée nationale et patron du Congrès pour la démocratie et la justice (CDJ), Jules Aristide Bourdes Ogouliguendé, pourrait bien en être, lui aussi. Quant à la société civile, elle a en partie sauté le pas.

Reste qu’au bout du compte le pouvoir fait un pari risqué. Discuter d’apaisement en l’absence de Ping peut en effet sembler une vaine démarche. En outre, la très active société civile a dû attendre son tour pour se faire entendre : « Beaucoup se comportent comme s’il ne s’agissait que d’un partage de postes. Moi, je n’y vais pas pour cela », s’indigne Dieudonné Minlama Mintogo, candidat indépendant à la présidentielle, qui était plutôt partisan d’une commission vérité et réconciliation susceptible d’aboutir à l’indemnisation des victimes des violences postélectorales. Il n’était pas trop tard, ce 28 mars, pour tenter de recoller les morceaux de ce pays fracturé.

LE RETOUR DES GRANDES PALABRES

Réunie autour de Jean Ping, une partie de l’opposition ne veut pas y aller. Ali Bongo Ondimba lui-même s’y rend à reculons. Cohérent avec sa volonté de rompre avec les petits arrangements qui ont perverti la longue présidence de son père, compromettant par ricochet le développement du pays, il ne voulait plus entendre parler de ces palabres politiques.

Au cours de son précédent septennat, il avait tenté de réactiver une instance en sommeil : le Conseil national de la démocratie, un organe consultatif ayant notamment un rôle de médiateur dans les conflits opposant des acteurs politiques. Mais la seule évocation de ce « machin » suscite les sarcasmes.

Reste donc le bon vieux dialogue, comme sous « Omar ». Convoqué le 28 mars, il doit se tenir en plusieurs phases et permettre aux participants de tout mettre sur la table. Réuni du 15 au 25 février, un comité ad hoc présidé par le Premier ministre, Emmanuel Issoze-Ngondet, en a fixé les thèmes et les objectifs, avec la participation d’une partie de l’opposition.

Les Gabonais pourront notamment discuter de la durée des mandats – ceux du président, des députés, des sénateurs, des élus locaux et des membres de la Cour constitutionnelle. Ce sera également l’occasion de réviser le code électoral, de redécouper les circonscriptions, de redéfinir le rôle et les missions des instances chargées de l’organisation des élections (ministère de l’Intérieur, commission électorale et Cour constitutionnelle). Les résolutions qui en sortiront pourraient changer profondément le cadre institutionnel et constitutionnel du pays.

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