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Gabon : Marie-Madeleine Mborantsuo en sursis à la Cour constitutionnelle ?

Accusée de partialité par ses détracteurs, sous le coup d’une enquête française, Marie-Madeleine Mborantsuo pourrait bien vivre ses derniers jours à la tête de la Cour constitutionnelle gabonaise.

«Je suis la Marie-Madeleine du Gabon, dans la lignée de la pécheresse de la Bible sur laquelle on jetait des pierres, il y a deux mille ans. À les entendre, je suis responsable de tout ce qui va de travers dans ce pays. » Son visage ne trahit aucune émotion, mais l’ironie mordante dont fait preuve la présidente de la Cour constitutionnelle gabonaise laisse affleurer son dépit. Marie-Madeleine Mborantsuo, 62 ans, vit mal d’être devenue le bouc émissaire désigné de la confrontation postélectorale qui agite le Gabon depuis août 2016. « Je serais donc la seule coupable ! Et eux, dans la majorité comme dans l’opposition, seraient tous blancs comme neige… »

Elle le sait bien : son avenir se joue à Akanda, dans les coulisses du stade de l’Amitié, où le pouvoir et une partie de l’opposition règlent leurs comptes d’après-présidentielle dans le cadre du « dialogue national ». À l’instar des précédentes assises qui ont émaillé la vie politique du pays, le dialogue en cours, destiné à panser les blessures nées de la réélection contestée d’Ali Bongo Ondimba (ABO), laisse augurer son lot de victimes expiatoires.

Des têtes doivent tomber ! Et les partisans de l’alternance ont dans le viseur la haute magistrate, devant qui l’opposition avait plaidé, en vain, l’invalidation des résultats des deux derniers scrutins présidentiels, en 2009 comme en 2016. Dans le camp adverse, le régime ne prend sa défense que du bout des lèvres, comme si le Palais du bord de mer s’était résolu à l’offrir en sacrifice. Marie-Madeleine Mborantsuo n’est pas dupe : la réconciliation du pays pourrait bien s’effectuer sur son dos.

Marie-Madeleine bashing

« Certains m’en veulent parce que des décisions rendues par la Cour lors de différents scrutins ne leur ont pas permis de remporter le mandat électif qu’ils convoitaient. Ils estiment que j’aurais dû accomplir ce miracle », se plaint-elle. Ses détracteurs ne supportent pas cette femme de pouvoir, raide et autoritaire, volontiers cassante face aux justiciables, mais d’un commerce agréable en privé.

Dans la majorité comme dans l’opposition, on dénonce sa longévité – vingt-six ans – à la tête de la Cour constitutionnelle, qu’elle préside depuis sa création en 1991. « Elle ne juge jamais sur le fond. Elle s’abrite derrière la procédure pour déclarer irrecevables la quasi-totalité des requêtes soumises à la Cour », tacle l’ex-haut fonctionnaire Jean Gaspard Ntoutoume Ayi, porte-parole de Jean Ping. Tout comme lui, qui avait déjà défendu les intérêts d’André Mba Obame en 2009, les opposants sont vent debout contre la juge depuis près de dix ans.

« Ces critiques sont injustes », proteste la magistrate, que Jeune Afrique a rencontrée début mai au siège de la Cour constitutionnelle, un palais à colonnades flambant neuf qu’elle a elle-même imaginé et conçu avant d’en superviser les travaux de construction. « Tout d’abord, je ne suis pas la seule décisionnaire au sein de la Cour, et je n’impose rien aux huit autres membres. Ensuite, le droit électoral suit des procédures spécifiques : les contentieux y sont réglementés de manière stricte puisqu’il en va du bon fonctionnement des institutions de la République. Par exemple, les délais sont très courts car on ne peut tolérer que les dossiers s’enlisent. Si vous les dépassez, votre requête sera jugée irrecevable, quand bien même vous auriez raison sur le fond », se justifie-t-elle.

Elle remet aussi en question le sérieux de plusieurs acteurs politiques venus précipitamment devant sa juridiction, flanqués d’un avocat recruté à la va-vite, sans avoir constitué préalablement de dossier sérieux et classant les pièces requises sur un bout de table, au greffe.

« Jean Ping lui a présenté les procès-verbaux du Haut-Ogooué [où ABO avait totalisé 95,46 % des voix], mais elle les a rejetés ! En revanche, elle a fait annuler les procès-verbaux du 2e arrondissement de Libreville [favorable à l’opposition] sur la base des éléments fournis par le parti au pouvoir », rétorque un opposant qui ne décolère toujours pas. « Les juges ne sont pas là pour organiser un tour de scrutin supplémentaire, plaide Marie-Madeleine Mborantsuo. Lorsqu’il reçoit le dossier visant à invalider son élection, l’adversaire du requérant cherche la faille et, très souvent, il la trouve dans la procédure. Il en profite donc pour soulever l’irrecevabilité de la requête, ce dont les juges sont obligés de tenir compte. »

Victime d’un « mauvais procès » ?

Des arguments dont ses contempteurs font peu de cas. « Elle fait de l’obstruction en permanence. Elle l’a fait avant même l’élection, lorsque nous avons demandé que la candidature d’Ali soit déclarée irrecevable. Elle a refusé de traiter le dossier et l’a renvoyé devant la cour d’appel », fulmine un autre opposant. Sur cet épineux sujet, la position de Marie-Madeleine Mborantsuo n’a pas varié. Selon elle, la Cour constitutionnelle n’est pas compétente pour se prononcer sur la validité des actes d’état civil, laquelle relève des juridictions de droit commun.

Elle s’insurge toutefois contre cette campagne autour de l’acte de naissance d’Ali Bongo Ondimba : « Pendant deux ans, je l’ai vécue avec un profond dégoût. Voir des hommes politiques aller de village en village pour clamer qu’Ali Bongo Ondimba ne serait pas le fils de son père, c’est une honte pour notre pays ! Pendant des années, il a siégé au gouvernement avec eux. Il a été ministre des Affaires étrangères et signait des accords au nom du Gabon sans qu’aucun d’eux ne s’en soit offusqué. Quelle indignité ! »

La Cour constitutionnelle n’est plus une juridiction à juge unique, comme à l’époque coloniale !

Son courroux vise aussi les opposants qui l’accusent de partialité en l’affublant du statut de « belle-mère » d’ABO – elle a eu deux enfants avec son père, Omar Bongo Ondimba. « Tous ceux qui se sont présentés face au président sortant entretiennent un lien de parenté avec lui. Certains sont le père de ses nièces et neveux, mais ça, personne ne l’a relevé ! », se défend la magistrate, qui vise notamment Jean Ping, sans le nommer.

À l’entendre, le soupçon de parti pris qui découle de sa relation passée avec Omar Bongo relève d’une allégation insultante. « Cela laisse supposer que je ne dispose pas de mon libre arbitre, que je ne suis pas patriote et que je mène à la baguette mes collègues, ce qui est absurde. La Cour constitutionnelle n’est plus une juridiction à juge unique, comme à l’époque coloniale ! » « Il est vrai que c’est un mauvais procès qu’on lui fait, estime un avocat. La juge à la Cour constitutionnelle Afriquita Dolorès Agondjo, fille du demi-frère de Jean Ping, n’a pas été récusée. Pourquoi s’en prendre à la seule Mborantsuo ? »

La justice française enquête

Le Marie-Madeleine bashing fait aussi les choux gras de la presse, parfois bien au-delà des frontières gabonaises. Dans les colonnes de l’hebdomadaire satirique Le Canard enchaîné, les Gabonais ont récemment appris que la magistrate avait maille à partir avec la justice française. Elle-même s’en défend. « On ne m’a jamais notifié une accusation me concernant », se dédouane-t-elle.

De fait, le dossier en est encore au stade de l’enquête préliminaire. Entre 2013 et 2014, des banques françaises où la juge gabonaise détenait des comptes – dont l’un, au Crédit lyonnais, depuis 1980 – lui ont écrit pour l’informer de leur intention de les clôturer.

Ils m’ont demandé de leur communiquer un compte sur lequel transférer mes avoirs

« Ils m’ont mise dans la catégorie des personnalités politiquement exposées et m’ont demandé de leur communiquer un compte sur lequel transférer mes avoirs, se souvient-elle. Grâce à l’aide d’une amie qui travaillait dans une banque monégasque, j’ai pu en ouvrir un nouveau à Monaco et y transférer mes économies. C’est cette opération-là – un million d’euros, selon Le Canard – qui a attiré l’attention de Tracfin, la cellule anti­blanchiment du ministère français de l’Économie. Et, comme Tracfin travaille en liaison étroite avec les limiers du parquet financier parisien, une enquête préliminaire a été ouverte. Depuis trois ans, on en est là. »

Devant ses visiteurs, « la Régente » évoque avec nostalgie les poids lourds politiques des années 1990. Ceux avec lesquels elle avait participé à la rédaction de l’actuelle Constitution, à l’instar de Joseph Rendjambé, Simon Oyono Abah, Max Mebalé, Isaac Nguéma, Pierre Agondjo Okawé, Serge Mba Bekalé et quelques autres.

« Nous travaillions de nuit comme de jour, sans recevoir le moindre per diem, portés par le seul idéal de faire de notre pays un État de droit », se remémore-t-elle, critiquant en creux la nouvelle génération, qui exige une indemnité journalière pour participer au dialogue national.

Recluse dans son palais

Fille d’un modeste charpentier venu du Haut-Ogooué, Marie-Madeleine Mborantsuo se pose en archétype de la méritocratie à la gabonaise, sauvée par l’école de la République et par son éducation catholique. Entrée dans la magistrature en 1979, elle avait poursuivi ses études à Paris, à la Sorbonne, avant d’effectuer un stage à la Cour des comptes française. Une affectation prémonitoire. Car, à son retour au pays, son mentor, Omar Bongo Ondimba, la charge de mettre en place l’équivalent gabonais de cette juridiction, qui voit le jour en 1983. Elle la présidera jusqu’à sa nomination, en 1991, à la Cour constitutionnelle.

L’essentiel est que personne ne piétine la loi fondamentale que nous avons adoptée. Le désordre provoquerait l’effondrement de notre système

Recluse dans son palais, témoin résigné des excès de la classe politique de son pays, elle attend désormais de savoir si, à l’issue de cette période politique troublée, on la renverra à ses chères études. Face aux critiques, la magistrate élude tout soupçon de collusion, préférant se poser en gardienne du temple : « L’essentiel est que personne ne piétine la loi fondamentale que nous avons adoptée. Le désordre provoquerait l’effondrement de notre système. »

De la régence au contre-pouvoir

Le 17 août 2008, Omar Bongo Ondimba l’adoubait devant sa cour tout entière réunie. Fait inédit, le chef de l’État ouvrait le bal de la fête de l’indépendance avec Marie-Madeleine Mborantsuo, et non avec la première dame, gravement malade. Un privilège dont la dimension symbolique se révèle à la mort du président gabonais, le 8 juin 2009. Sitôt la nouvelle annoncée, alors que tout le monde est pris de court et craint pour la stabilité du pays, la magistrate prend les devants pour imposer le strict respect de la Constitution.

Elle intronise alors la présidente du Sénat, Rose Francine Rogombé, comme présidente de la transition, tout en manœuvrant en coulisses pour que la commission électorale organise un scrutin crédible. C’est elle encore qui confirme la victoire d’Ali Bongo Ondimba face à André Mba Obame, avant de regagner la pénombre. ABO étant rétif à tout chaperonnage, elle s’efface ensuite, mais se posera néanmoins en véritable contre-pouvoir tout au long de son premier septennat. En décembre 2015, la Cour constitutionnelle fait ainsi annuler des ordonnances présidentielles portant sur l’organisation de la justice.

Et Marie-Madeleine Mborantsuo n’hésite pas à faire savoir au chef de l’État qu’il n’a pas le droit d’utiliser l’hélicoptère ni d’autres moyens de l’État pour sa campagne électorale… Pour elle, la Constitution est une « digue » qui ne doit jamais céder sous la menace de l’arbitraire ou du désordre. « Quand je fais la comparaison entre notre système et celui d’autres pays, je n’ai pas honte de nos institutions », se félicite-t-elle. Mais, pour tenir, mieux vaut mieux ne pas faire l’unanimité contre soi.

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