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Police gabonaise : «Sapée comme jamais»… dans le capharnaüm

Les flics sur la voie publique sont résolument la vitrine de la Police nationale. Leurs uniformes dissemblables amènent à s’interroger sur la gestion de ce corps. L’enquête ci-après met en lumière des problèmes de nourriture, d’argent, de logistique, bref de management des hommes. Les policiers sur le grill.

L’uniforme se distingue du déguisement et du costume. Il impose l’obéissance, le respect. Ce qui n’est cependant plus le cas pour les policiers Gabonais, tant leur uniforme prête à confusion, sinon à rire, du moins à s’étonner. Un petit tour dans la capitale gabonaise permet, en effet, de constater que chaque policier porte les chaussures de son choix : escarpins et ballerines de tous genres pour les femmes ; sneakers, derbys usés, bottillons à zip, brogues et même pointininis (à bouts hyper pointus) pour les hommes… tout y passe, pourvu que ce soit de couleur noire. Le Gabon semble ainsi être devenu incapable de chausser correctement ses flics, de leur fournir des souliers uniformes. Le tableau est d’autant plus déplorable que, depuis l’Angleterre médiévale, tout le monde sait qu’une «armée ne peut vaincre que bien munie, bien couverte et bien chaussée». Heureusement, durant les parades et grandes manifestations officielles, la Police gabonaise sait se mettre sur son 31 et faire oublier son look habituel.

Le Cedoc et l’exception de la PAF

Si la police de l’Air et des frontières (Paf) offre une image autrement plus positive (uniformes neufs et sur-mesure, galons et fourragères impeccables, chaussures identiques et bien cirées, etc.), cela s’explique aisément : les policiers de la Paf sont des agents de la Direction générale de la documentation et de l’Immigration (DGDI), communément appelée Cedoc . «Le Cedoc est un service qui engrange beaucoup d’argent et qui n’a aucun compte bancaire ; l’argent qu’il amasse est principalement destiné à la présidence de la République. Là-bas on travaille dans des bâtiments flambant neuf. Les officiers du Cedoc roulent en 4×4 Prado TX. Ce qui explique que leurs agents aient une meilleure mise vestimentaire et un meilleur train de vie», explique un fonctionnaire du ministère du Budget et Comptes publics, avant d’ajouter : «le Cedoc dispose également d’un service dénommé Voyages officiels (VO) chargé d’escorter les hautes personnalités étrangères en séjour au Gabon. Il est donc important là-bas de soigner l’image».

De l’avis d’un bon nombre de policiers, hormis la DGDI, les autres services de police sont dans la même situation que toutes les administrations du pays : ils n’ont pas de budget. «Les agents affectés à la surveillance des édifices publics ne sont même plus nourris. La ration n’existe plus. La relève de ces policiers n’est même plus assurée du fait d’un manque de carburant pour les véhicules. Ils sont condamnés à aller au-delà de trois jours prévus avant qu’une autre équipe de relève n’intervienne». De tradition, les agents de police de faction devant les édifices publics sont alimentés par leur camp, leur base ; ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui. «L’alimentation n’est plus correctement assurée», maugrée un policier abordé sur le sujet. «Il n’y a plus de budget. En dehors du Cedoc, tous les autres services de police connaissent des problèmes de fonctionnement : pas de carburant, pas de papier, pas d’encre pour les imprimantes, bref ! On manque de tout y compris les uniformes», indique le même agent de police visiblement désabusé.

Sapé comme une police émergente ?

Les remarques de ce policier peuvent aisément se vérifier dans les rues de la capitale gabonaises, à travers les uniformes devenus disparates. Certains agents portent des chasubles d’autres pas du tout. Certains policiers arborent un attirail fantaisiste. À Ce titre, on peut par exemple rencontrer un policier avec des genouillères d’armure anti-émeute alors qu’il glandouille dans un bar. Autre exemple, les sifflets de la police ne proviennent plus jamais de la même dotation, si bien que chaque agent de la circulation achète lui-même son sifflet à la Gare routière. Faisant de l’autodérision, certains d’entre eux appellent ces sifflets de couleurs diverses «La Fifa», tant ils ressemblent à ceux des arbitres du football.

Ce manque de rigueur dans les dotations aux agents est en tout cas symptomatique d’un problème de prise en main des troupes par la hiérarchie. Ce manque de poigne sur les troupes se traduit par un désordre déconcertant : tout policier peut modifier, à sa fantaisie, son uniforme chez le tailleur du coin de la rue. Certains transforment l’uniforme pour le mettre à la mode du Slim (littéralement serré, très près du corps), d’autres arborent des pantalons presqu’au ras des fesses alors que certains transforment la veste de treillis en manches courtes. On note, dans le même ordre d’idée, que la police dite diplomatique arbore des bérets de n’importe quelle couleur, quand les autres sections portent à leur gré des bérets verts, rouges ou bleus, au point que les citoyens ont du mal à distinguer un gendarme d’un policier ou un policier d’un militaire. «Les policiers portent les treillis des gendarmes, les calots sont portés à l’emporte-pièce. Certains policiers ont des pattes d’épaules (galons) illisibles, bref c’est tout un désordre indescriptible», remarque un ancien policier à la retraite, avant d’asséner : «on a des policiers qui ne connaissent rien de la ville dans laquelle ils exercent. Les exercices de tirs sont mal régulés. Les agents détiennent des armes sans examens de vue ou enquêtes de moralité. Heureusement, la police manque aujourd’hui de munitions.»

Uniformisation des véhicules, absence de formation

Ce dénuement des policiers a certainement été remarqué par le président de la République, vu qu’en cas de pluie sur le dispositif déployé lors des sorties en voiture de celui-ci, les policiers sont trempés, mouillés par l’averse alors que les éléments de la Garde Républicaine disposent d’imperméables… uniformes. Ce qui certainement abime les armes de la police. Car une arme à feu mouillée nécessite un entretien approfondi avec un matériel spécialisé dont le pays ne dispose pas toujours, surtout pas la police nationale.

Ayant pour radical d’immatriculation le chiffre 30, les véhicules de la police nationale devraient, en principe, n’être peints que de deux couleurs : bleu et blanc. Or, au Gabon, les véhicules de police ont différentes couleurs (rouge, beige, gris, etc.). La police est pourtant un corps ayant un code de fonctionnement devant être respecté. «On voit même des commissariats de police peints comme des bistrots ou des bâtiments commerciaux, à l’instar de celui du quartier Belle-Vue», fait remarquer un ancien combattant.

Vient donc à se poser la question de l’attachement aux principes de ceux qui dirigent la police gabonaise. Ont-ils seulement été correctement formés ? Il est aujourd’hui connu que la formation continue a cessé de se pratiquer et que les écoles locales de formation ont littéralement disparu. Les écoles de police de Tchibanga et de Makokou ont été fermées tandis que celle de Franceville a été ramenée à l’Escap (Ecole secondaire des cadets de la police) de Libreville. «Aujourd’hui, il y a des officiers qui, à peine sortis de la formation, sont parachutés Commandant ou Lieutenant-colonel sans avoir suivi le moindre séminaire. Ce qui n’existe nulle part dans l’armée. À la police, on a des officiers n’ayant tout juste bénéficié que 9 mois de formation», explique un officier supérieur de ce corps.

Celui-ci s’étonne, par ailleurs, d’une drôle de gestion du personnel, notamment en matière de remplacements, en cas de départ à la retraite ou de décès. «Des gens partent à la retraite ou décèdent et ne sont jamais remplacés. À titre d’exemple, Edgard Ambenghat qui était DGA de la documentation, est décédé depuis et n’a jamais été remplacé. Idem pour Jean-Roger Nzamba Nzamba, commissaire central de Lambaréné ou encore le Commandant Okogho à Franceville. Parfois, quelqu’un est nommé ailleurs, mais son remplacement ne se fait pas. C’est, par exemple, le cas de l’ancien directeur des plans et emplois à la DGOP, le Commandant Andouka. Il a été affecté à la Haute autorité de sûreté et de facilitation des aéroports du Gabon et n’a jamais été remplacé. La ville de Koulamoutou, par exemple, n’a pas de commissaire depuis que le Lieutenant-colonel Toussaint Manganga Mbina est monté à Libreville pour raison de santé et ne peut plus retourner dans l’Ogooué-Lolo. La hiérarchie traîne le pas, on ne sait pourquoi», confie un officier subalterne, sans doute en embuscade pour une promotion.

Moyens financiers et racket

On évoquera toujours l’absence de moyens financiers, le manque de budget. Il est pourtant de notoriété publique que la police nationale est littéralement une régie financière parallèle. Les préfectures de police engrangent en effet de l’argent en facturant des prestations allant des ristournes du Trésor public sur les contraventions routières à la location d’agents motorisés pour escortes diverses, la sécurisation des bâtiments et lieux publics (stades, meetings, etc.) ou encore les ristournes sur les constats d’accidents payées par les maisons d’assurance.

Tout cet argent va-t-il dans les poches personnelles des hiérarques de la Police, de ses commandants en chefs ou au palais présidentiel ? Un secret de Polichinelle indique que les hiérarques de la police empochent également une partie du racket opéré dans les rues par les agents de la circulation. Ici se pose à nouveau la question d’une bonne prise en main des troupes. «Si la hiérarchie était exemplaire, si l’argent officiellement rapporté était bien géré et bien distribué, tous ces problèmes ne se poseraient plus. Or, il se trouve simplement que les officiers prennent l’argent disponible pour eux, obligeant les agents à instaurer des rackets sur le terrain pour essayer de se sucrer eux aussi», marmonne un jeune officier.

Ce tableau rappelle, dans une certaine mesure un film français, «Les Ripoux» (1984), avec des vieux flics adeptes des arrangements “à l’amiable” avec les petits truands, des jeunots frais émoulus de l’école de police et des méthodes aussi sournoises que douteuses. Vivement le coup de pied dans cette fourmilière. Allo, Lambert-Noël Matha ? Y a-t-il un ministre de l’Intérieur par ici ?

Auteur : Jean-Timothée Kakanga

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