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«Biens mal acquis» : fin de procès pour le «kleptocrate» Teodorin Obiang

Le parquet de Paris a requis mercredi matin trois ans de prison contre le fils du président de la Guinée équatoriale, et la confiscation de ses possessions dans l’hexagone portant sur 150 millions d’euros.

«Ce procès est une mascarade, un complot colonial de la France.» Ainsi s’exprime à distance Obiang Jr, fils de son Président de père, récemment propulsé au titre de vice-président de la Guinée équatoriale pour mieux bétonner son immunité diplomatique. Il aura refusé de comparaître en personne devant le tribunal correctionnel parisien, mais un trio d’avocats aura dénoncé des vices de procédure et multiplié les coups tordus en son nom. Peu lui importe la peine de prison qui lui sera éventuellement infligée pour blanchiment –en France – de détournement de fonds publics – en son propre pays. Seule la confiscation de ses biens pourrait éventuellement chagriner cette caricature de «kleptocrate» – le terme fut sur toutes les bouches au cours des audiences.

Frapper au portefeuille

«Ce procès est historique, votre jugement sera très attendu en Afrique et ailleurs, il sera à l’honneur de la justice française.» C’est William Bourdon qui plaide, avocat de l’ONG Transparency, qui bataille depuis dix ans pour faire émerger cette première affaire dite des «biens mal acquis», recyclés en France en toute impunité par des dignitaires africains, arabes ou d’ailleurs. Un rude combat, mené initialement contre l’inertie du parquet de Paris, peu soucieux de déranger des potentats amis de la France. Puis contre diverses mesures de rétorsion : «Nos témoins ont tous été harcelés, menacés sur place, un exilé victime d’une tentative d’assassinat. Jusqu’ou ira la barbouzerie ?» Me Bourdon ne désespère pas de convaincre la justice française d’être en pointe contre la ploutocratie internationale.

«Cette affaire est très simple à juger, les faits de blanchiment sont établis.» Dans un registre apparemment plus technique, le procureur Jean-Yves Lourgouilloux a requis ce mercredi matin trois ans de prison contre Teodorin Obiang, et surtout de le frapper au portefeuille : amende de 30 millions d’euros et confiscation du solde de son patrimoine hexagonal. Très honnêtement, il admet les retards initiaux du parquet, ferraillant des années contre la plainte déposée en 2007 par Transparency avant que la Cour de cassation ne la valide finalement en 2015 : «Pendant des années, la France a fermé les yeux, je le reconnais. C’était l’impunité absolue pour les responsables étrangers et leurs familles possédant des biens en France.» Avec l’intervention de «marionnettistes de l’Elysée», précise Me Bourdon. Le proc, qui n’était pas en fonction lors de l’étouffement initial de l’affaire des «biens mal acquis», entend signifier que les temps changent : «On ne peut plus accepter que la France soit un paradis judiciaire, permettant à des dirigeants étrangers d’y profiter de l’argent sale, de l’argent du crime.» Et si la justice française paraît moins active à ce jour sur les avoirs des familles Bongo ou Sassou (régnant au Gabon et au Congo-Brazzaville), ce serait à cause de la difficulté de recenser leurs innombrables ayants droit au festin, quand le cas Obiang se réduirait à sa seule personne, donc plus facile à juger : «Mais des personnalités publiques exposées comme lui, j’en ai des dizaines, et bien plus puissantes !»

Mascarade et simulacre

En défense, Obiang Jr fait produire un providentiel jugement, rendu par un tribunal de Malabo, capitale de la Guinée équatoriale, qui l’exonère de tout soupçon. Pondu le 12 juin dernier, une semaine avant l’ouverture du procès français, et rendu «au nom du chef de l’Etat», soit Teodoro Obiang Sr. «Situation assez cocasse, ironise le parquet français. Cela ne se voit qu’une fois dans une carrière de magistrat : un jugement rendu au nom du père de notre prévenu…» Pour Jean-Pierre Spitzer, avocat d’un collectif d’une vingtaine d’associations équato-guinéennes, également partie civile, ce jugement local ne serait que «mascarade, simulacre, le prévenu créant le droit dans son propre pays au fur et à mesure de ses besoins.»

Reste, en cas d’éventuelle condamnation, la question de son application. Une peine de prison risque d’être symbolique, Obiang Jr refusant par avance le jugement de la justice française. Tout au plus un mandat d’arrêt international pourrait l’empêcher de voyager dans la plupart des pays occidentaux, obligeant le flambeur à vivre reclus en son pays. Il y a l’amende, que le parquet propose de fixer à 30 millions d’euros. Elle serait acquise au Trésor public français, quoique le procureur ait précisé qu’il «serait hors de question que la France profite de l’argent détourné au préjudice du peuple équato-guinéen.» L’essentiel réside donc dans la confiscation de ses biens hexagonaux, évalués par l’accusation à «plus de 150 millions d’euros». Dont son somptueux hôtel particulier avenue Foch – plus de 1 000 m2 promptement reconvertis en local diplomatique. A ce titre, la Guinée équatoriale a traîné la France devant la Cour européenne de justice, qui devrait statuer l’automne prochain – mais «il est rare qu’une ambassade aménage une discothèque en ses locaux», pointe Jean-Yves Lourgouilloux.

Une solution à l’américaine pourrait se dessiner. Aux Etats-Unis, Obiang Jr a signé l’an dernier une transaction, sans reconnaissance formelle de culpabilité, versant 30 millions de dollars (26,5 millions d’euros) contre l’extinction des poursuites pénales, l’argent étant dédié à des bonnes œuvres locales. «Il ne faudrait pas que la poche droite alimente la poche gauche», prévient par avance le parquet français. L’imagination du tribunal parisien est désormais au pouvoir.

Renaud Lecadre

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