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Sur France 2, le portrait inachevé d’Ali Bongo

Ce jeudi soir à 22h45, Complément d’enquête se penche sur « Le clan Bongo, une histoire française ». Hélas, le documentaire suscite autant de frustration que d’intérêt.

L’approche est pertinente, le titre -« Le clan Bongo: une histoire française »- prometteur. Hélas, le documentaire diffusé ce jeudi à 22h45 sur France 2 dans la case du magazine Complément d’enquête appelle un jugement mitigé.

Commençons par ses mérites. Riche en savoureuses archives, le film de Donatien Lemaître et Laurent Dy s’ouvre sur une figure de style classique mais inusable, incarnée jadis par le Haïtien Jean-Claude Duvalier, alias Baby Doc, ou plus récemment par le Syrien Bachar al-Assad: le despote en vadrouille au volant de sa limousine. Ici en l’occurrence Ali Bongo Ondimba, président du Gabon fort mal réélu l’été dernier. Voyez comme je me plais à aller à la rencontre de mon peuple en toute simplicité; voyez comme ces « gens de peu » me vénèrent et m’acclament…

Le président avait « foiré son bac »

Le meilleur du portrait vient ensuite. Il affleure au fil d’un entretien accordé dans un salon du luxueux Palais du Bord de Mer de Libreville, siège de la présidence, par le maître de céans, lorsque les questions faussement ingénues du journaliste le plongent dans un embarras palpable.

Ainsi en est-il à l’évocation de son baccalauréat, obtenu officiellement quand le successeur du défunt Omar Bongo fréquentait en élève médiocre la très huppée Institution Notre-Dame de Sainte-Croix de Neuilly-sur-Seine. Si Ali, prénommé Alain en ce temps-là, ne figure pas dans l’annuaire millésime 1977, c’est qu’il avait « foiré son bac », confie Jean-Paul Benoît, alors directeur de cabinet au ministère de la Coopération. D’où le dépit de papa Omar et l’intervention de René Journiac, conseiller Afrique de Valéry Giscard d’Estaing. Que croyez-vous qu’il advint? On prétendit que deux des copies du candidat né coiffé avait été égarées et on lui attribua d’office la moyenne… « Vous me l’apprenez », esquive aujourd’hui le lauréat pistonné. Ben voyons…

Une tricherie d’anthologie

Autre grand moment de solitude, à l’instant où il est question de l’annonce fracassante du 17 août 2015. Ce jour-là, le chef de l’Etat gabonais claironne qu’il cède à la jeunesse de son pays « tous les revenus de la part d’héritage qui [lui] revient » -et non la part d’héritage elle-même, observeront les esprits chagrins- et annonce la création d’une fondation censée mettre en musique sa prodigalité. Las!, deux ans après, lui fait-on observer, cette fameuse fondation n’a toujours pas vu le jour. « Officiellement, elle n’a pas encore été créée », concède l’intéressé, à l’évidence gêné aux entournures, avant d’invoquer les vertus de la discrétion comme la lenteur et le caractère délicat des procédures successorales.

Un dernier malaise, tout aussi patent, pour la route? Il résulte d’une allusion à la fraude arithmétique aussi grossière qu’éhontée qui aura permis de métamorphoser en victoire ric-rac le cuisant revers électoral du 27 août 2016. Ce scrutin est « derrière nous », se défausse Ali, et « la Cour constitutionnelle a répondu à cela ». Fort mal au demeurant, puisque cette juridiction aux ordres a validé une tricherie d’anthologie…

Des manifestants appellent lors d’un rassemblement à Paris au départ du président Ali Bongo, le 3 septembre 2016Des manifestants appellent lors d’un rassemblement à Paris au départ du président Ali Bongo, le 3 septembre 2016afp.com/Thomas SAMSON
Le téléspectateur aura droit, en prime, à quelques séquences délectables. A commencer par une session d’enregistrement dans le légendaire studio d’Abbey Road, celui des Beatles, au coeur de Londres. Demi-star de la scène pop-funk dans sa prime jeunesse, Son Excellence s’offre désormais, à 35 000 € la journée, les musiciens du London Symphony Orchestra. Chacun ses marottes, argue Ali. « Moi, je compose ». Exact, fût-ce avec la vérité.

Des impasses et un casting gênant

La frustration que suscite ce docu ne vient donc pas de ce qu’il expose, mais de ce qu’il omet. Ainsi, aux yeux de ses auteurs, la vie d’Alain-Bernard -son prénom avant la conversion à l’islam décrétée en 1973 par le patriarche du clan- semble commencer à six ans, lorsque le gamin débarque à l’Ecole primaire plan d’Alès, dans le Gard. Pas un mot sur sa filiation ô combien controversée. Est-il vraiment né des oeuvres du prolifique Omar? S’agit-il d’un enfant adopté, qu’il vint du Nigeria ou d’ailleurs? Cette énigme méritait a minima une mention, voire un développement.

De même, comment ne pas regretter l’absence de toute référence à l’obtention discrète par Bongo Jr, dans les années 1990, de la nationalité française? Enfin, on ne peut que déplorer la brièveté du passage consacré à la Première Dame, née Sylvia Valentin, fille au teint pâle d’un assureur bien de chez nous, tout comme l’impasse sur la vie conjugale pour le moins tumultueuse d’Ali.

L’enquête proposée ce soir pâtit d’un autre travers: la place démesurée réservée, dans le casting des témoins, à l’avocat Robert Bourgi. Certes, l’ancien porte-coton empressé de Bongo Père ne manque ni d’entregent ni de charme. Mais pourquoi diable accorder un tel crédit à cet intrigant aux loyautés aléatoires, si prompt à se donner le beau rôle et qui fut tour à tour l’un des agents d’influences zélés d’Ali puis son procureur le plus acharné? Un chouïa de distance critique à son égard n’aurait pas nui.

On terminera par deux regrets. Le premier porte sur les quelques à-peu-près historiques qui ternissent le commentaire. On ne peut prétendre que le Gabon a « connu le chaos pour la première fois » à l’été 2016, ou qu’Ali, en choisissant alors la manière forte contre les partisans de son rival Jean Ping, aurait « fait ce que son père n’avait jamais osé faire ».

Quid de la répression meurtrières de 1993?

Quid de la répression meurtrière -23 civils tués selon le décompte officiel- des émeutes déclenchées en 1993 par l’annonce hâtive de la réélection à l’arraché du sortant ? Et quid des quatre morts -un à Libreville, trois à Port-Gentil- recensés au lendemain du scrutin présidentiel de 2005? Le second a pour origine le recours excessif au conditionnel et au registre hypothétique.

Pourquoi avancer prudemment qu’Omar Bongo « aurait offert des millions à nos hommes politiques », alors que lui-même s’en vantait? Et à quoi bon suggérer que son héritier « est accusé d’avoir volé » son élection avant d’en fournir la preuve irréfutable? Donner à voir et à entendre, c’est bien. Afficher un point de vue et s’y tenir dès lors qu’on a réuni assez de pièces à conviction pour l’étayer, ce serait mieux encore.

Vincent Hugeux

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