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Françafrique : Jacques Foccart, le prince des ténèbres

De 1960 à 1974, le « Monsieur Afrique » des présidents français tira toutes les ficelles de la Françafrique. Son ombre tutélaire continue d’écraser ses successeurs.

C’est une rencontre secrète qui en dit long sur la fascination que Foccart a exercée sur ses contemporains. En mai 1981, quand la gauche est arrivée au pouvoir, tout le monde a cru que l’homme des coups tordus serait mis sur la touche une bonne fois pour toutes. Mais aujourd’hui, Jacques Godfrain révèle à Jeune Afrique que, quelques mois après son élection, François Mitterrand a reçu très discrètement Jacques Foccart dans son bureau.

« C’est Guy Penne [le premier « Monsieur Afrique » du président] qui a joué les intermédiaires, précise l’ancien ministre de la Coopération. L’entretien a duré un bon moment et s’est mieux passé qu’on n’aurait pu le croire, car les deux hommes partageaient l’idée que l’Afrique donnait une dimension plus grande à la France dans le monde. » Mitterrand et Foccart avaient aussi un ami commun : Houphouët-Boigny, le pivot de la Françafrique.

Le premier des coups tordus de l’ère Foccart a été un crime d’État. Le 3 novembre 1960, l’opposant camerounais Félix Moumié est empoisonné au thallium dans un restaurant de Genève par William Bechtel, un agent du Service de documentation extérieure et de contre-espionnage (Sdece) – l’ancêtre de la DGSE – qui s’est fait passer pour un journaliste. Face au tollé diplomatique, l’agent français est « mis au vert » sur la Côte d’Azur. À cette date, Foccart dirigeait le secrétariat général des Affaires africaines et malgaches depuis déjà plus de six mois. Au soir de sa vie, dans Foccart parle, coédité en 1995 par JA et Fayard, l’homme de l’ombre reconnut qu’il était au parfum, tout en niant être à l’origine de l’assassinat.

C’était un humaniste. Je ne le vois pas commanditer la mort de quelqu’un », estime Jacques Godfrain

Peut-on le croire ? « On lui a attribué bien des turpitudes, car beaucoup se sont servis de son nom pour se couvrir, mais c’était un humaniste. Je ne le vois pas commanditer la mort de quelqu’un », estime Jacques Godfrain, qui connaît bien « son » Foccart – il l’a rencontré pour la première fois en octobre 1965. De son côté, Frédéric Turpin, son dernier biographe, écrit à son propos : « Gaullisme ardent, pragmatisme voire réalisme de terrain et dureté dans l’action forment les ingrédients de [sa] longévité. »

Un jour de février 1964, juste après que les troupes françaises eurent réinstallé Léon M’Ba à la tête du Gabon, Foccart confia à Alain Peyrefitte, le porte-parole du gouvernement : « Il ne faut jamais que le Général soit en première ligne pour ce genre de coups durs. Il faut les régler sans lui en parler. On parle en son nom. On le met au courant quand c’est fini. Il peut toujours nous désavouer si ça rate. »

Zones d’ombre

Pour la mort de Moumié – un « coup dur » ? –, il est donc possible que de Gaulle n’ait pas donné d’ordre formel et se soit abrité derrière son Premier ministre, Michel Debré, Foccart et le patron du Sdece, qui auraient servi de fusibles en cas d’échec. Déjà, le 24 décembre 1942, lors de l’assassinat de l’amiral Darlan à Alger, le chef de la France libre avait su rester très habilement en retrait, tout en étant informé des préparatifs de l’attentat.

La France a-t‑elle trempé dans l’assassinat de Sylvanus Olympio, le 13 janvier 1963 ? Le président togolais ayant été capturé dans l’enceinte de l’ambassade des États-Unis à Lomé, beaucoup espèrent que le département d’État américain finira par ouvrir ses archives.

La France est-elle derrière l’élimination physique de Thomas Sankara, le 15 octobre 1987 ? En octobre 2016, la justice burkinabè a enfin lancé une commission rogatoire pour demander à Paris la levée du secret-défense. La France est-elle impliquée dans l’assassinat, en mars 1988, d’une proche de Nelson Mandela, Dulcie September, représentante de l’ANC à Paris ? Comme le crime a eu lieu sous la cohabitation Mitterrand-Chirac, certains y voient encore la main de Foccart, qui était à l’époque conseiller à Matignon. C’est peut-être prêter beaucoup à l’homme de l’ombre…

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