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Révision constitutionnelle : Dérive présidentialiste

Le renforcement des pouvoirs du président de la République, assortie d’une neutralisation de tous les contre-pouvoirs, ne correspond nullement à la demande démocratique sans cesse exprimée. Surtout que dans les régimes présidentiels, la prééminence du président de la République n’est pas juridique mais simplement politique.

Le débat sur la révision constitutionnelle est lancé (lire «Le maréchalat du Roi-Dieu»). Normalement, il devrait gagner en intensité. Au fil du temps, il devrait se densifier et prendre de l’épaisseur. Initiateur de ce texte, le gouvernement doit s’en douter. Fourbit-il ses armes ? Pour la richesse des échanges, on l’espère. Rode-t-il son argumentaire ? On le lui conseillerait volontiers. Modifier 56 des 119 articles d’un texte de loi ne saurait, en effet, être un acte anodin, décidé en opportunité ou par simple calcul politicien (lire «L’effacement de la république ?»). Surtout quand il s’agit de la Constitution. Seulement, entre le silence du ministre de la Justice et les imprécisions du porte-parole du gouvernement, l’opinion ne dispose toujours pas des outils pour une appréciation du bien-fondé de ces modifications. Comme si tout cela procédait d’un coup de tête ou d’une décision unilatérale sous-traitée à des entités extérieures sans concertation aucune.

Débat technique

Tout bien pesé, le gouvernement aura besoin de s’expliquer, de s’expliquer encore et de s’expliquer toujours. Dans cette campagne de sensibilisation, il lui faudra des arguments techniquement justes et socialement acceptables. En prend-on le chemin ? Rien ne le laisse penser. Depuis le début de ce débat, l’exécutif va de bouillabaisse en salade et d’inexactitudes en trouvailles. Sur la nature du régime induite par ce projet de révision constitutionnelle, on l’a senti hésitant voire aventureux. Si Zacharie Myboto a récemment dénoncé le passage d’un régime semi-présidentiel à un «régime présidentiel total, réduisant le Premier ministre au rôle de contremaître de ses ouvriers que sont les membres du gouvernement», c’était sans doute pour mettre en avant la perte d’influence du chef du gouvernement au bénéfice du président de la République. En ajoutant le qualificatif «total», il entendait visiblement mettre à l’index une dérive présidentialiste. Lui emboîter le pas, c’était s’engager dans un débat technique. Or, le droit constitutionnel a ses règles et catégories.

Le gouvernement s’est-il entouré de toutes les garanties avant de s’avancer sur ce terrain ? On peut en douter. Voulant donner le change au président de l’Union nationale, son porte-parole a récemment fait sienne l’idée d’un changement de régime. Dans la foulée, il s’est posé en défenseur du régime présidentiel. «Je ne vois pas en quoi un régime présidentiel serait antidémocratique», a lancé Alain-Claude Billié-By-Nzé, le 24 du mois courant. Pourtant, lors de la présentation du texte, le gouvernement n’avait rien laissé transparaitre de tel. Pourquoi s’aventurer alors sur ce terrain ? Est-ce le signe d’une impréparation ? Est-ce plutôt la marque d’une certaine ignorance ? A ces questions, on ne saurait apporter de réponses définitives. N’empêche, on aurait grand tort de ne pas revisiter nos classiques.

Régime mal connue des juristes

Contrairement à une idée reçue, le régime présidentiel ne consacre nullement la prééminence du président de la République dans l’organisation politique et administrative de l’Etat. Fondé sur une stricte séparation des pouvoirs, il accorde une place particulière à la justice, arbitre du jeu institutionnel. Si l’exécutif n’est pas responsable devant le Parlement, il ne peut dissoudre l’Assemblée nationale. Et s’il dispose d’un droit de véto sur les lois, le Parlement conserve le monopole de l’initiative et la pleine maîtrise de la procédure législative. Le porte-parole du gouvernement a-t-il tenu compte de ces spécificités avant d’acter un passage au régime présidentiel ? Peut-il être plus explicite sur le rôle et la place de la justice dans le projet de révision constitutionnelle ? Peut-il en dire davantage sur le statut juridictionnel du président de la République ? Peut-il éclairer l’opinion sur les relations entre l’exécutif et le législatif ? Peut-il s’appesantir sur le rôle du Premier ministre ? Surtout, peut-il dire comment la responsabilité des gouvernants se matérialise dans ce projet ?

Même si la prééminence présidentielle fait écho à la pratique politique des régimes présidentiels, le projet de révision constitutionnelle veut acter la naissance d’un régime hybride voire bâtard, au confluent de catégories très mal connues des juristes. Et pour cause : dans les régimes présidentiels, la prééminence du président de la République n’est pas juridique. Elle est simplement politique. Or, le gouvernement entend la graver dans le marbre de la Constitution. Du coup, il n’est guère risqué de parler de glissement vers le présidentialisme. Est-ce bien le dessein du gouvernement ? Peut-il motiver ce choix ? Dans de nombreux pays du continent, le présidentialisme a, dans un passé pas très lointain, systématiquement dérivé vers le parti unique. On l’a vécu chez nous avec la transformation du Bloc démocratique gabonais (BDG) en Parti démocratique gabonais (PDG), parti-Etat. Faut-il rééditer cette expérience ? Le soutenir reviendrait à refuser de tirer les leçons de l’histoire. Le présidentialisme répond-il aux aspirations des jeunes générations à plus de liberté, de sûreté et de bien-être ? Le prétendre équivaudrait à se prononcer pour un retour à une époque de peu glorieuse réputation.

Manifestement, le gouvernement s’engage dans une entreprise de liquidation définitive du consensus hérité de la Conférence nationale de 1990. Le renforcement des pouvoirs du président de la République, assortie d’une neutralisation de tous les contre-pouvoirs, ne correspond nullement à la demande démocratique sans cesse exprimée, notamment à travers les réseaux sociaux. Surtout, cette révision constitutionnelle porte en elles les germes de soubresauts préjudiciables à la stabilité du pays : n’étant ni le produit d’un consensus national, ni le fruit d’un compromis entre forces politiques antagonistes, ce texte pourrait bien se révéler contreproductif au lendemain d’élections. En vidant les législatives de leur sens, il pourrait devenir source de blocage voire de tensions autrement plus graves. On l’a vu en Amérique latine, où les voies extraconstitutionnelles ont finalement été utilisées pour mettre un terme aux dérives du présidentialisme. Le gouvernement est-il au fait de ces précédents historiques ? Peu importe sa réponse, on peine à deviner à quoi compte-t-il arriver.

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