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Révision constitutionnelle : Le regard acéré de Jean Christophe Owono Nguema

Combattant de la première heure contre la révision constitutionnelle en cours, le 6e vice-président du Sénat revient avec Gabonreview sur les contours de ce projet actuellement examiné par la deuxième chambre du Parlement. D’ans l’interview ci-après, Jean Christophe Owono Nguema dit être conscient que le projet de révision constitutionnel devrait être adopté en 2018. Il espère cependant que les sénateurs feront tout pour introduire la disposition relative à la limitation des mandats du président de la République.

Gabonreview : Pensez-vous que le projet de révision constitutionnelle sera validé d’ici la fin de l’année ?

Jean Christophe Owono Nguema : Je peux vous assurer que non. Aujourd’hui nous sommes à la fin de la session budgétaire. Elle s’achève le dernier jour ouvrable du mois de décembre, donc le 29 décembre. Et aujourd’hui, la loi d’habilitation permettant au chef de l’Etat de légiférer par ordonnance pendant l’intersession a été votée. Cela veut dire que nous sommes aujourd’hui en intersession. En d’autres termes, la boucle est bouclée en ce qui concerne le projet de révision de la Constitution. Il ne reste plus que deux possibilités au gouvernement. Soit il convoque une session extraordinaire de 15 jours avec un ordre du jour précis. Soit, le gouvernement attend l’ouverture de la session de loi, en mars 2018.

Selon vous, quelle est la solution appropriée ?

Pour moi, la solution serait de retirer ce projet de révision constitutionnelle. Car, nous n’avons pas besoin de cela en ce moment. Le Gabon a des problèmes urgents et importants. Mais comme le gouvernement a jugé utile d’initier ce projet de révision, il ne lui reste plus que les deux termes de l’alternative que je viens de décrire. Vu que nous sommes maintenant en intersession, la loi d’habilitation ayant été votée, elle ne permet au président de légiférer que pour des cas d’urgence. Or, la Constitution de notre pays ne peut pas être une banale affaire d’urgence ou une affaire courante. Ce n’est pas possible. Pour moi, mon travail et celui de Jean de Dieu Moukagni-Iwangou ont porté leurs fruits. Dieu merci, les députés ont également apporté leur expertise en la matière et ont revu assez sérieusement, le projet du gouvernement. A mon avis, nous retournons pratiquement à la case départ.

Cette révision constitutionnelle est-elle de nature à renforcer le socle démocratique ?

Comme je l’ai déjà dit auparavant, cette révision constitutionnelle a été initiée pour consacrer le pouvoir absolu dans les mains d’un seul individu. C’est la monarchisation de la République. Cela n’a rien à voir avec le volet démocratique. Les dialogueurs d’Angondjé se prévalent d’avoir introduit l’élection à deux tours. Mais là n’est pas le fond du problème. L’élection à deux tours c’est bien. Mais si vous avez des institutions vous faisant gagner l’élection au premier tour, à quoi sert alors l’élection à deux tours ? Le plus important, et c’est ce que le peuple attend, c’est la limitation des mandats. C’est ça qui peut ramener la sérénité dans le pays. Si le Gabonais a la possibilité d’espérer qu’un jour, l’on peut arriver à l’alternance avec la limitation des mandats, ce serait un point positif. Ce qui n’est pas du tout le cas actuellement.

Telle que proposée aujourd’hui, la Constitution dit que le président est le seul à déterminer la politique de la Nation. Il n’a plus à se référer au gouvernement. Il détient seul, le pouvoir suprême de l’exécutif, il n’a plus à le partager avec le Premier ministre. Les chefs d’Etat-major qui sont censés protéger les personnes et les biens, défendre la République, sont maintenant au service d’un individu, d’un monarque auquel ils ont prêté allégeance. Non, ce n’est pas possible ! Le Premier ministre, les ministres, les généraux, tous prêtent serment devant le président de la République. Mêmes les directeurs généraux de l’administration, qui eux, sont déjà soumis au statut général de fonctionnaire. C’est une monarchie existante qu’ils veulent contextualiser. Et, les députés ont aujourd’hui rejoint notre position.

Vous félicitez les députés, qu’ont-t-ils fait concrètement ?

Premièrement, les députés ont repris tous les articles qui me font dire que nous tendons vers la monarchisation de la République. Au niveau de l’article 8, par exemple, le président de la République décide seul et détermine la politique de la Nation comme il le souhaite. Et, en cas de cohabitation, le Premier ministre étant issu de l’opposition, celui-ci ne pourra pas appliquer le programme de gouvernement pour lequel son parti a été élu. Tout simplement parce qu’il a l’obligation de prendre des instructions chez le président de la République. Vous avez également l’article 10, en rapport avec le critère de l’âge et de résidence. Celui-ci indiquait que pour être candidat, il fallait avoir 40 ans et avoir résidé au Gabon 12 mois d’affilée. Il y a aussi les articles 15 à 28, où les ministres, les généraux, l’administration, doivent prêter serment. Tout comme l’article 78, qui dit exactement ceci : «Le président de la République ne peut être poursuivi, entendu, recherché, pour les fautes commises pendant, avant et après son élection». Tous ces éléments font que nous ne pouvons accepter ça, pour un pays se disant démocratique. Dieu merci ! Tout cela a été balayé.

Ces articles ont-ils sauté ?

Ils n’ont pas sauté mais ont été entièrement revus. Les députés sont revenus à la phase initiale. C’est-à-dire, à la Constitution actuelle. Ils sont même remontés plus loin : ils sont allés jusqu’à la Constitution de 1991. Parce que, dans la mouture modifiée en 2011, je m’étais déjà opposé à cette révision, du temps où j’étais député du Parti démocratique gabonais (PDG). On enlevait au chef de l’Etat, la possibilité de protéger l’intégrité nationale, les accords internationaux, etc. Les députés sont allés exhumés cela et l’ont réintroduit dans le projet actuel. Je pense qu’ils ont fait un travail de fond. Au niveau de l’article 8, où le président était seul à déterminer la politique de la Nation, ils ont dit non, estimant que le chef de l’Etat doit déterminer la politique de la Nation avec le Premier ministre. Au niveau des articles 15 à 28, ils ont supprimé les prestations de serment. Je pense qu’ils ont fait un travail courageux pour des députés de la majorité. Ce que le grand public ne sait pas. Maintenant, au niveau du Sénat, nous ne devons pas faire moins que les députés. Nous devons faire plus. Comment ?

Il y a un problème de fond qui se pose : c’est la limitation des mandats présidentiels. Au niveau de l’article 9, il est dit que «Le Président de la République est élu pour sept (7) ans au suffrage universel direct. Il est rééligible». Il suffit seulement que nous, à la suite des députés, nous ajoutions deux petits mots : «une fois». Ce qui donnerait «rééligible une fois». Si on arrive à introduire ces deux mots, je pense que cela ramènerait la sérénité au niveau du peuple. Car, les Gabonais vont se mettre à rêver, à espérer, en se disant : «comme c’est renouvelable une seule fois, peut-être demain, il (le président, ndlr) sera battu à l’élection et quelqu’un d’autre pourra prendre le pouvoir». Mais si on empêche aux Gabonais de rêver et espérer un changement, par la voie des urnes, ça donne la situation actuelle que nous avons dans le pays.

En cas d’insertion de cette disposition dans la nouvelle Constitution, le chef de l’Etat peut toujours brandir la non retro activité de la loi ?

Justement, c’est ce que je dis à nos amis de la majorité. Aujourd’hui, si Ali Bongo termine ce mandat, nous serons en 2023 et il aura 65 ans. Il cumulera donc 14 ans au pouvoir. S’il est réélu en 2023, il aura alors 72 en 2030. Et là encore, s’il est réélu, il aura 79 ans en 2037. Franchement ! Moi, je me dis que tout ceci c’est de la politique. Si déjà nous avons un acquis avec le fait que le président est rééligible une fois, le temps de nous brandir la non rétro activité de la loi, beaucoup d’eau aura coulé sous le pont. Si nous arrivons ne fut-ce qu’à limiter les mandats, même le fait que l’article 78 mette le président au-dessus de la loi serait secondaire, pour les uns et les autres. Parce que, ce qu’on ne nous dit pas, c’est que les gens ne sont pas allés à Angondjé parce que le président le voulait. Mais parce qu’il y a eu une crise à l’issue de la présidentielle de 2016. Au niveau de l’opposition, nous avons tenu notre monologue. Le pouvoir en a fait de même. Mais ce n’est pas ça qui va ramener la sérénité dans le pays. Le problème se situe au niveau du fond : on nous a volé l’élection, nous n’avons plus la possibilité de rêver, Ali Bongo peut être candidat et élu à vie. Le problème se situe à ce niveau. Comment sortir de là ?

L’intersession du Sénat s’est achevée. Concrètement, quelle sera la démarche pour l’année prochaine ?

Aujourd’hui, la commission ad hoc qui a été mise en place cesse ses fonctions. Parce que nous sommes en intersession. Il faut donc qu’il y ait une convocation, par le gouvernement, d’une session extraordinaire avec un ordre du jour unique. Personnellement, ayant la pratique de ces choses, le facteur temps ne jouera pas en faveur de la majorité, bien que mécanique. En effet, en 15 jours nous allons adopter notre rapport du Sénat. Si ce rapport n’est pas en de termes identiques avec celui de l’Assemblée nationale, nous serons obligés d’aller à une commission mixte paritaire Sénat-Assemblée nationale. A l’issue de cette commission, si on arrive à s’accorder, à ce moment-là, éventuellement, le gouvernement pourra convoquer le congrès pour le vote définitif de la Constitution.

Mais je pense que le travail abattu par monsieur Moukagni-Iwangou et moi, a fait en sorte que le chronogramme du gouvernement ne soit plus respecté. Le gouvernement avait l’idée de conclure toute la révision aujourd’hui (le 28 décembre, ndlr). Et de là, le président allait légiférer par ordonnance la loi sur les élections, pendant le mois de janvier. Et, en février, on serait allé aux élections législatives. Avec tout ce qui a été fait, je doute que tout ceci soit encore possible.

Confirmez-vous la rumeur de pots-de-vin des députés à hauteur de 20 millions de francs CFA chacun ?

A ce niveau, tout se dit et tout se sait. Je préfère ne pas m’immiscer dans ce débat. Car je n’ai pas de preuves concrètes sur les montants évoqués de part et d’autre. Je préfère donner ma langue au chat.

Selon vous, la Constitution sera-t-elle au moins modifiée, à défaut d’être adoptée ?

Tel que modifiée par l’Assemblée nationale, c’est une bonne chose. Parce que, tous les articles mettant le pouvoir inclusif, intégral et total entre les mains du président ont été revus. Maintenant, à notre niveau, nous devons justifier l’existence du Sénat. D’autant que le débat se pose sur l’existence des parlements bicaméraux. Nous avons vu comment Macky Sall a supprimé le Sénat au Sénégal. Et, les économies engrangées ont permis de créer une station solaire. Si le Sénat gabonais est incapable d’introduire la limitation des mandats, je dirais haut et fort au peuple gabonais que nous ne servons à rien. Et, qu’il vaut mieux supprimer le Sénat. Car le challenge de celui-ci, dans cette révision de la Constitution et d’insérer cette phrase : «Le président est rééligible une seule fois».

Qu’en est-il de la disposition relative aux syndicats et à la négation du droit de grève ?

Cela fait partie des points positifs de notre combat. Au départ, dans la version initiale du gouvernement, avant qu’elle ne soit transmise à l’Assemblée nationale, il était question que le paragraphe 17 de l’article 1er soit modifié ; faisant en sorte que la responsabilité de la jeunesse, qui est du ressort de l’Etat, soit maintenant remise à la famille. Et le gouvernement avait inscrit dedans que les enseignants, les médecins, ne pouvaient plus interrompre le service pour fait de grève. Le fait que nous ayons dénoncé cela a fait que le gouvernement a reculé. Le paragraphe 17 a été remis et à côté de ça, le gouvernement a introduit le paragraphe 14, article 1er. Celui-ci stipule que le mariage est entre deux personnes de sexe contraire. Je ne sais pas s’il en était autrement, mais comme cela a été précisé, c’est une bonne chose.

Y a-t-il un élément sur lequel vous souhaiteriez revenir ou insister…

Le combat contre ce projet n’a pas vraiment pris au niveau du peuple. Tout simplement parce que certains leaders de l’opposition continue de privilégier leurs égos. Ils ont oublié que la Constitution est une affaire nationale. Et d’ailleurs, l’alinéa 25 du paragraphe 1er donne le droit à tous les Gabonais de défendre la Constitution. Eux, ils ont cru que c’était une affaire de diversion. Comme cela nous l’a été reproché à moi et à monsieur Moukagni-Iwangou, par un leader de l’opposition. Quelle erreur de penser cela ? Alors que, par ailleurs, sous d’autres cieux, cette démarche a entrainé la chute des dictateurs. Quelle incompatibilité il y a entre le fait de défendre la Constitution et réclamer notre victoire du 27 août 2016 ? Aucune ! Pour moi, cela a été une grosse déception. J’ai compris que les leaders de l’opposition, du moins certains, se battent plus pour leurs maisonnées, leurs questions d’intendance, que pour l’intérêt du Gabonais. Je continue le combat, je l’ai mené avec monsieur Moukagni-Iwangou et nous avons fait reculer le programme du gouvernement. Nous sommes conscients que la Constitution sera adoptée. Mais nous, en tant que citoyens, nous avons fait notre devoir qui est celui de défendre la Constitution.

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