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Le « train Bongo », la fragile ligne de vie du Gabon

Franceville (Gabon) (AFP) – Le « train Bongo » fend la forêt équatoriale du Gabon. De Libreville sur la côte atlantique jusqu’au sud-est riche en minerais, cette ligne de chemin de fer construite malgré bien des réticences financières est depuis trois décennies la colonne vertébrale d’un pays qui manque cruellement de routes.

« Le Transgabonais est le ciment social du Gabon, il traverse cinq provinces », s’enorgueillit Christian Antchouet Roux, le chef de gare de Franceville, terminus de cette voie de 648 km, aux confins de ce petit pays d’Afrique centrale riche en pétrole, bois et minerais – du manganèse au premier chef.

La nuit, ce train qui est le seul au Gabon transporte des passagers, reliant 23 gares, pour le plus grand bonheur des habitants.

Mais le jour, il a une toute autre vocation, qui fait les affaires du puissant groupe minier français Eramet: le Transgabonais, réalisation titanesque de l’ancien président Omar Bongo Ondimba, resté 42 ans à tête du pays, est d’abord un train minéralier, la seule porte de sortie du manganèse du Gabon.

07h00. La gare d’Owendo – port de Libreville – s’éveille avec l’arrivée du train. Miyha Koumba, les yeux gonflés par la fatigue, tire à bout de bras une lourde valise à roulette. Elle qui étudie à Libreville a passé la nuit à bord du Transgabonais, après un séjour dans sa famille à Franceville. Un voyage de près de 12 heures.

« Je prends le train au moins quatre fois par an, je peux rendre visite régulièrement à mes parents », se réjouit la jeune femme.

En période de vacances scolaires, difficile de trouver une place à bord des wagons bleu et jaune plutôt modernes. Mais le billet reste abordable pour une grande partie des Gabonais.

– Plus grand chantier d’Afrique –

Voulu comme symbole de « l’unité nationale » et de « modernisation du pays », l’ambitieux projet d’Omar Bongo a pourtant failli ne jamais voir le jour.

Au début des années 70, la Banque mondiale refuse de le financer. Trop coûteux, voire inutile, selon elle. « Le Transgabonais se fera, et s’il fallait pactiser avec le diable, nous le ferions ! », tempête alors le chef de l’Etat.

Et la chance sourit au Gabon à la faveur du choc pétrolier de 1973: les prix du pétrole s’envolent et le pays engrange des revenus lui permettant de lancer la construction de sa voie ferrée avec l’aide de prêts de pays occidentaux, dont la France.

« Depuis sa création, le Transgabonais est intimement lié à la France et à ses intérêts », affirme à l’AFP Douglas Yates, professeur américain de droit, auteur du livre « Etat rentier en Afrique: dépendance à la rente pétrolière et néocolonialisme dans la République du Gabon ».

Le 30 décembre 1973, Omar Bongo pose la première traverse, en présence du ministre français des Finances Valéry Giscard d’Estaing. Alors plus grand chantier d’Afrique, le marché du Transgabonais est confié à Eurotrag, consortium de plusieurs entreprises européennes, en grande partie françaises.

Des millions d’arbres sont abattus. Les travaux durent plus de dix ans. Plus de 1,5 milliard d’euros sont dépensés au total, selon la Société d’exploitation du Transgabonais (Setrag).

En 1986, le dernier tronçon est inauguré. Le Premier ministre français Jacques Chirac est là.

– « Instrument politique » –

Une victoire pour Bongo, qui relie ainsi Libreville à Franceville, le chef-lieu du Haut-Ogooué, sa région natale et son fief politique.

Si la plupart voient en ce train un formidable « instrument politique de Bongo », les avis divergent quant à son intérêt économique. « Gouffre financier inutile », jugent les uns, « outil de désenclavement et de développement », rétorquent les autres.

Le long de la voie, il existe bien une route. Mais comme ailleurs au Gabon, crevasses et fissures rendent son goudron difficilement praticable, quand elle ne se transforme pas en piste.

Quelque 320.000 passagers par an préfèrent le Transgabonais climatisé, pour un voyage nocturne à travers la luxuriante forêt.

Mais « sans le manganèse, ce train ne pourrait pas exister », analyse Mays Mouissi, économiste gabonais.

Ce minerai représente un quart des exportations gabonaises hors hydrocarbures, et c’est grâce au Transgabonais que les millions de tonnes extraites chaque année transitent jusqu’au port d’Owendo avant de prendre la mer.

– Déraillements et éléphants –

Ce train est une liaison stratégique pour l’économie du Gabon qui, durement touchée par la chute des revenus de son pétrole depuis 2014, connaît une bouffée d’oxygène grâce au cours élevé du manganèse ces dernières années.

C’est une voie cruciale également pour Eramet, qui exploite via sa filiale locale Comilog près de 80% du manganèse gabonais. Si vitale qu’en 2005 Comilog est devenu l’exploitant du chemin de fer.

Le manganèse représente environ la moitié du chiffre d’affaires d’Eramet. Et d’ici à 2023, le groupe français ambitionne d’augmenter sa production de 60%, annonçait Comilog en juin.

Mais plus de 33 ans après la mise en service du train et un entretien tout relatif, les infrastructures ne permettent plus d’assurer le transport sûr d’un tel tonnage, assure à l’AFP la Setrag.

Sur le premier tronçon construit en terrain très friable, les déraillements sont nombreux. En cause, un mauvais entretien et des wagons surchargés de manganèse, s’irritent certains responsables. Des problèmes techniques récurrents ou des éléphants en promenade sur les rails provoquent aussi régulièrement des retards.

Pour maintenir cette ligne de vie, un programme de réhabilitation lancé en 2015 prévoit un investissement de 330 millions d’euros d’ici 2023, dont plus de la moitié est financé par la France et… la Banque Mondiale. « Papa Bongo » tient sa revanche.

Par L’Obs avec AFP

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