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30 ans de la chute du Mur: «La RDA était économiquement à bout de souffle»

Matthias Gehler est rédacteur en chef de la radio-télévision MDR de Thuringe. Il a été le porte-parole du gouvernement de Lothar de Maiziere, le Premier ministre de l’unique gouvernement de RDA issu d’élections libres (12 avril – 12 octobre 1990). Lors d’un entretien accordé à RFI, Il raconte ses années sous le Rideau de fer, le tournant de l’année 1989 et la transition avant la réunification.

RFI :Comment voyez-vous ces commémorations des 30 ans de la chute du mur de Berlin ?

Matthias Gehler : Je suis particulièrement reconnaissant que le Mur soit tombé. Je crois que la RDA, dont je viens, n’allait de toute façon pas durer, le régime était sur sa fin. Quand j’étais porte-parole du gouvernement, j’ai eu chaque jour sous les yeux un rapport sur l’état du régime. Chaque jour. Il était très clair à que ça n’aurait pas pu aller plus loin.

C’était un régime économiquement à bout de souffle et d’ailleurs les gens n’en voulaient plus. Bien sûr, cela a totalement surpris tout le monde que tout soit allé si vite. Mais, j’avais vu venir ce changement. Dans les années 80, j’étais journaliste (Ndlr : dans un journal religieux, car Mathias Gehler était aussi théologue) et je me suis aussi déplacé ici et là dans le pays, car j’étais également chanteur et auteur compositeur, même si j’ai souvent été interdit de représentation.

J’avais remarqué que les églises et les théâtres où je me produisais étaient toujours pleins, et les gens s’intéressaient beaucoup à tout ce qui était critique, à la manière dont les choses pouvaient évoluer. À l’intérieur des églises, nous parlions aussi beaucoup (Ndlr : à une époque où les rassemblements étaient interdits) et nous avons aussi, plus particulièrement à l’intérieur des églises, beaucoup parlé de ce qu’était la démocratie. C’est de la pression du peuple que vient la chute du mur.

Que disaient les gens dans les théâtres et les églises ?

Les gens étaient mécontents du système. Nous ne pouvions pas voyager à l’ouest, nous ne pouvions pas lire ce que nous voulions, nous ne pouvions pas discuter librement de tout : c’est cela une dictature. Et ça ne peut pas marcher sur la durée. Un jour ou l’autre, cela s’écroule.

J’y ai personnellement été confronté. J’ai été interdit de scène, je ne pouvais plus chanter où je voulais. Il y a aussi autre chose de très important, lorsque l’on adhérait pas à l’idéologie, on ne pouvait pas étudier. Il y a beaucoup de choses que l’on ne pouvait pas faire. La première préoccupation, ce n’était pas ce qu’il n’y avait pas dans les magasin, c’était que nous étions cernés de toute part, que nous n’étions pas libres.

Après la chute du mur, des éléctions ont très vité été organisées. Vous avez alors été recruté comme porte-parole du premier et dernier gouvernement libre de RDA, pour organiser la transition. Avec le recul sur cette période, y a-t-il des choses que vous auriez pu mieux faire ?

C’est une question qu’on me pose sans cesse. Je ne peux pas affirmer qu’on aurait pu faire mieux, parce qu’il faut prendre en compte tous les paramètres. En politique extérieure, nous avions une toute petite « fenêtre de tir » : Mikhaïl Gorbatchev pouvait être destitué à n’importe quel moment, avec la France et François Mitterrand c’était l’attentisme, et Margaret Thatcher était totalement contre la réunification. À cette époque-là, Georges Bush père qui nous a aussi énormément soutenu. C’était une situation complexe et exaltante.

Helmut Kohl (Ndlr : alors chancelier de la RFA) s’est particulièrement occupé des relations avec la France. Notres rôle, lui, était auprès des Russes. En tant que gouvernement de la RDA, notre première visite à l’étranger a été fin avril en Union soviétique. Nous sommes venus remercier Mikhaïl Gorbatchev. Cela n’a pas été facile parce que les Soviétiques nous avaient toujours vus comme très dépendants d’eux et que Gorbatchev affrontait déjà de graves difficultés internes à ce moment-là.

La pression intérieure était forte aussi. Même après la chute du mur, il y avait toujours énormément de gens qui partaient de l’Est pour aller à l’Ouest, plus de 100 000 personnes par mois, parfois bien au-delà ! Les gens voulaient être libres et ils l’ont montré avec leurs pieds. Nous avions un problème : si cela continuait, nos régions de l’Est allaient se vider. Nous devions agir vite. Cela a pris 6 mois alors que nous pensions qu’il faudrait environ 3 ans.

Comment vous sentiez-vous, personnellement, à cette période ?

Nous n’étions pas expérimentés. À titre personnel, j’avais pour mon travail deux chauffeurs à disposition et ils ont tous les deux fait des heures supplémentaires pendant cette période, et moi je n’ai quasiment pas dormi.

À cette époque j’ai quasiment fait le tour du monde en visite d’État. Angela Merkel était mon adjointe et nous nous sommes partagé le travail. C’était moi qui lui disais : « Angela, tu dois faire ça et ça », tenir une conférence de presse ou venir en déplacement à l’étranger. Elle n’était pas qui elle est aujourd’hui, elle était encore timide. C’était très important d‘avoir toujours quelqu’un de l’équipe qui reste en Allemagne, car à chaque conférence de presse, il y avait environ 200 journalistes du monde entier.

Quand je suis allé en visite d’État aux États-Unis, il m’est d’ailleurs arrivé quelque chose de complètement fou !. Au Press Club à Washington, j’ai du prendre la parole, car Lothar de Maizière était un peu en retard. Je suis entré dans la salle, tout le monde s’est levé et a applaudi. Ils connaissaient mon visage aux États-Unis ! Ils m’avaient vu à la télévision ! Un américain qui s’intéresse à la politique étrangère, c’est rare. Mais la réunification allemande suscitait un intérêt quotidien. Tout cela, il a fallu le gérer. Cela a été une période courte, intensive, et j’ai fichtrement beaucoup appris. J’ai du mal à dire aujourd’hui que nous aurions dû faire beaucoup de choses autrement, nous avons fait ce qu’on a pu.

Comment se passait votre travail avec Angela Merkel ?

Au début, ce n’est pas elle qui s’occupait des conférences de presse, mais cela a été le cas plus tard.Comme nous faisions deux conférences de presse par semaine au lieu d’une, que nous prenions beaucoup de décisions, nous nous devions de les expliquer. Angela Merkel s’y est très vite et très bien mise. Nous avons très bien travaillé ensemble, vraiment très bien, elle est devenue très professionnelle et j’admire son évolution. Elle était déjà pragmatique. Bien sûr, elle a changé, mais elle avait déjà ce potentiel, ce pragmatisme, le fait de réfléchir en amont à toutes les conséquences. Elle a toujours eu cette manière de penser. Elle n’est pas entrée par la grande porte (ndlr : en politique) et je pense que le temps qu’elle a passé au sein du gouvernement d’Helmut Kohl est aussi une expérience qui l’a forgée.

Ce qui nous a tous imprégnés durant cette période, c’est une sorte d’altruisme issu de la culture prussienne : nous avons servi sans penser à nous-mêmes. S’impliquer sans penser à elle-même d’abord, ça c’est Angela Merkel. Elle a su le faire à un moment où l’Allemagne a traversé une période particulièrement difficile. J’ai quitté la politique juste après cette période, mais elle y restée et elle a formidablement réussi.

Il y a aujourd’hui des gens qui n’utilisent pas le mot de réunification et qui parlent d’annexion. Comprenez-vous pourquoi ?

Bien sûr ! Vous devez mesurer qu’à cette époque énormément de gens étaient au SED (ndlr : le parti officiel), presque une personne sur deux. À ces gens là, le système apportait des avantages. En RDA il y avait des gens qui voulaient la liberté et il y avait ceux qui étaient bien installés, et pour ces derniers, la chute du Mur a été comme une rupture dans le cours de leur vie. Ils parlent donc encore aujourd’hui d’annexion, parce qu’ils dépendaient du système.

Il y a toujours des gens en colère, mais que serions-nous devenus sans elle ? Lorsque l’on regarde les pays pour qui cela a été plus difficile que pour l’Allemagne, nous pouvons être reconnaissants d‘avoir eu un partenaire solide qui nous a aidé pour que l’on s’en sorte aussi bien.

Mais il y a aussi des vrais perdants de la réunification, des gens qui ont simplement perdu leur travail et n’ont rien retrouvé ?

C’est vrai, la génération qui avait la cinquantaine à cette époque a eu de gros problèmes pour retrouver un travail. Tout ne s’est pas bien passé. Mais demandez-vous pourquoi ! Je ne crois pas qu’il faille chercher les racines du problème en premier lieu dans le système de l’Ouest, mais plutôt dans le système de l’ex-RDA. L’industrie était à terre. Les entreprises endettées. Même celles qui avaient encore de bons équipements étaient endettées, cela a été confirmé. Les problèmes, c’est la RDA qui les a créés et entretenus pendant 40 ans. C’est difficile à expliquer, et j’aurais souhaité davantage de compréhension venant de l’Ouest, mais à la fin, tout cela a apporté beaucoup en Allemagne de l’Est. Lorsque l’on compare avec l’Ouest, nous sommes aujourd’hui bien plus flexibles, il y a bien plus de potentiel ici même si les sièges des grandes entreprises sont restés à l’ouest.

Le travail de la Treuhand (l’ organisme créé en 1990 pour mener à bien les privatisations et les restructurations industrielles de l’ex-RDA, 8000 entreprises et 4 millions de salariés) a été très critiqué qu’en pensez-vous ?

L’idée originelle de la Treuhand, c’était de rendre les usines aux salariés, au peuple, de faire des entreprises d’État, des sociétés anonymes qui donneraient aux travailleurs des parts dans le capital, et ensuite de voir ce qu’on pouvait en faire. Et puis, nous nous sommes rendu compte que l’idée ne fonctionnait pas parce que toutes ces entreprises étaient en faillite. Finalement, la Treuhand a fait le tri entre les entreprises qui étaient viables, celles que l’on pouvait sauvegarder et les autres. Mais, il est clair qu’il y a eu des abus, que les privatisations ont été en partie mal faites, et que des entreprises de l’Est ont été fermées au bénéfice d’entreprises de l’Ouest.

Ce processus était en partie inévitable, mais aussi en partie trop rapide et parfois, certains en on tirer profit. Il y a des choses qui se sont mal passées, mais je peux aujourd’hui encore poser la question : comment aurions-nous pu faire mieux face à une telle situation ? Aujourd’hui encore, je n’ai pas d’autre solution. Ce qui s’est passé était unique, exceptionnel.

Deux partis politiques (d’abord Die Linke suivi par l’AfD) ont demandé une commission d’enquête parlementaire sur la Treuhand. Qu’en pensez-vous ?

Evidémment, il faut enquêter sur ce qui s’est passé, mais cela signifie aussi qu’en fait, ont regarde dans le rétroviseur. Que voulez-vous construire avec toutes ces histoires ? Il faut regarder vers l’avenir. Je suis journaliste, je suis rédacteur en chef en Thuringe. Nous travaillons aujourd’hui sur ce qui touche notre région. Sur le manque de main-d’œuvre ici. Par chance, nous avons une tout autre situation que le très fort taux de chômage que nous avons pu avoir il y a des années. Nous avons réussi à assainir la situation. Nous avons construit des autoroutes, nous avons des trains qui n’existaient pas avant, ça, il faut s’en rendre compte.

Y a-t-il pour vous un lien entre les conséquences de la réunification et le climat politique actuel ?

Oui, nous avons été socialisés autrement qu’en Allemagne de l’Ouest, nous venons d’une dictature, par conséquent, nous avons un électorat plus volatil. Les gens deviennent plus rapidement réceptifs à des idées simples, il y a davantage de votes de protestation. Cela va plus vite dans les nouveaux Länder que dans un système ancien,établi avec des partis pour lesquels les citoyens votent depuis toujours. Ici le système de parti est différent et le rapport au vote aussi.

Quelles sont à vos yeux les priorités pour les prochaines années ?

La priorité la plus importante, c’est de rappeler la valeur cardinale de la démocratie, quelle valeur a ce système, de quelle manière nous échangeons et parlons entre nous. Il faut parler de l’importance de l’Europe, de l’histoire néfaste qu’il y a eu entre l’Allemagne et la France et à quel point cette relation est quelque chose de précieux.

Ces valeurs, nous devons à nouveau les expliquer notamment lorsque l’on regarde la Grande-Bretagne avec le brexit. Nous devons dire et répéter que ce n’est pas simplement le passé et pas seulement la même monnaie qui nous unit. Il faut dire aux gens :« attention nous vivons dans une période où nous devons chérir ces valeurs d’Europe et de démocratie et les préserver ». C’est là-dessus que nous devons nous battre aujourd’hui, l’Allemagne et la France qui sont au cœur de l’Europe doivent y travailler ensemble étroitement.

Trente ans après la chute du Mur, la démocratie n’est plus forcément perçue comme une valeur cardinale. Êtes-vous déçu ?

Non, je ne suis pas déçu. Je suis réaliste. Je pense qu’il y a toujours des périodes dans lesquelles il faut davantage se battre. C’est vrai que malheureusement nous apprenons peu de l’Histoire, mais il faut parler encore et encore, ensemble, de ce qui s’est passé et protéger nos valeurs. Peu importe que l’on vive en France, en Allemagne, en Pologne, ou ailleurs, c’est un devoir.

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