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Annulation de la suppression de certains services publics : Un château de cartes

Soulignant la fragilité de nombreuses structures publiques, la décision n° 015/CC du 24 mars 2020 met en lumière l’ampleur des bricolages juridiques ayant eu cours ces dernières années.

Quand bien même elle ne suscite pas d’emballement médiatique, elle est lourde de sens. Par décision n° 015/CC du 24 mars 2020, la Cour constitutionnelle a jugé «inconstitutionnelle» la loi n° 013/2019 portant suppression de certains services publics. Autrement dit, les 11 services personnalisés de l’État dissous par le Conseil des ministres du 16 novembre 2018 peuvent fonctionner de nouveau. En d’autres termes, l’absorption de la Société nationale du logement social (SNLS) par la Société nationale immobilière (SNI) est annulée. Idem pour le transfert des compétences du Conseil gabonais des changeurs (CGC) à l’Office des ports et rades du Gabon (Oprag) ou de la dissolution du Bureau de coordination du Plan stratégique Gabon émergent (BCPSGE) et de l’Agence nationale des pêches et aquaculture (ANPA), respectivement dans le secrétariat général du gouvernement et l’Agence nationale des parcs nationaux (ANPN). On peut en dire de même pour le Fonds forestier et l’Agence d’exécution des activités de la filière forêt/bois (AEAFFB).

Légèreté dans la conduite des affaires de l’État

Peu importent les appréciations de circonstance, la décision n° 015/CC du 24 mars 2020 donne de notre État l’image d’un château de cartes. Soulignant la fragilité de nombreuses structures publiques, elle met en lumière l’ampleur des bricolages juridiques, la majorité n’ayant eu de cesse de se livrer à des «expérimentations hasardeuses», selon la formule de l’ancien Premier ministre français, Lionel Jospin. Profitant de la réforme constitutionnelle de 2011, le pouvoir établi s’est donné le droit de créer des services personnalisés de l’Etat par décret, c’est-à-dire sans recueillir l’aval du Parlement. Tirant bénéfice de la complicité de la Cour constitutionnelle, il s’est autorisé à rattacher des établissements publics à la présidence de la République, au mépris de l’esprit de nos institutions. Passant outre les incompatibilités prévues par la Constitution, il a cru pertinent de confier la présidence du Conseil d’orientation de l’Agence nationale des grands travaux (ANGT) au… président de la République.

Symptomatiques des dérives de «l’ère de l’émergence», la prolifération des établissements publics, comme leur positionnement institutionnel, découlent sinon du parti-pris, du moins de l’incurie de nos institutions. Commentant le Conseil des ministres du 16 novembre 2018, le ministre de l’Economie s’en était même félicité. Selon lui, il s’agissait de «donner corps aux recommandations de l’étude portant sur la rationalisation des services publics.» C’est dire si cette décision n’était pas le fruit du hasard. C’est surtout dire si son annulation révèle une grande légèreté dans la conduite des affaires de l’Etat. Trop sûr de son fait, le gouvernement ne s’embarrasse guère de scrupules. Comptant sur le soutien indéfectible du Conseil d’Etat et de la Cour constitutionnelle, il n’a d’égards ni pour la forme ni pour les procédures. Le Parlement ayant abdiqué depuis trop longtemps, tout se passe comme si la satisfaction des désirs de l’exécutif était sa raison d’être.

Examen de conscience

Fort des connivences institutionnelles, aveuglé par les arrière-pensées politiciennes, le gouvernement ne s’est pas senti dans l’obligation de «prendre une loi spécifique par matière traitée.» Il n’a pas non plus jugé utile de respecter le parallélisme des formes ou la hiérarchie des normes. Au final, il a pondu un «mélange confus et désordonné.» Est-ce bien étonnant ? Contrairement à l’injonction de Marie-Madeleine Mborantsuo et ses pairs, il n’appartient ni gouvernement ni au Parlement de «remédier à la situation juridique» ainsi créée. Sauf à se contenter d’un pis-aller, cette responsabilité incombe à l’ensemble des maillons de la chaîne législative : Conseil des ministres, Assemblée nationale, Sénat, Conseil d’Etat et… Cour constitutionnelle. Si ces institutions avaient rempli leurs rôles respectifs, on n’en serait pas arrivé là. Si elles s’étaient montrées moins partisanes et peu complaisantes, le gouvernement n’aurait jamais pris autant de liberté.

En effet, nulle part au monde, la primauté de la règle, le respect de la hiérarchie des normes ou la séparation des pouvoirs n’ont émergé par génération spontanée. Partout, ces éléments constitutifs de l’Etat de droit, ont été la résultante de l’attitude des institutions. Au lieu d’en rajouter à la confusion ou de se défausser, la Cour constitutionnelle aurait gagné à demander au Premier ministre de mieux se pourvoir. En clair, elle aurait pu se limiter à lui conseiller de saisir le Conseil d’Etat, quitte à réfléchir ensuite à sa propre responsabilité. C’est aussi cela le sens de l’Etat. Si elle entend conjurer un éventuel effondrement de l’ensemble de l’édifice institutionnel, elle doit, dès à présent, entamer cet examen de conscience.

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